D. Reymond u.a.: La Bobine 1923-2015

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Titel
La Bobine 1923-2015. Un cinéma à la Vallée de Joux


Autor(en)
Reymond, Daniel; Roland, Cosandey; Patrice, Piguet; Daniel, Capt
Erschienen
Yverdon-les-Bains 2015: Editions de la Thièle
Anzahl Seiten
266 S.
Preis
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Gilbert Coutaz

C’est un livre rare et exemplaire par ses résultats que viennent d’éditer les Éditions de la Thièle sur le cinéma. Déjà en 2013, cette maison yverdonnoise s’était fait remarquer avec la parution d’un ouvrage de grande qualité dû à Thomas Perret et Roland Cosandey, Paillard, Bolex, Boolsky (Voir compte rendu dans RHV, 122, 2014, pp. 286- 288). Cette fois-ci, elle publie une monographie sur la salle de cinéma La Bobine, au Sentier. L’originalité de la démarche et du contenu tient à la densité exceptionnelle des archives de la Société immobilière, créée en 1889 par la Société locale de gymnastique et dissoute le 6 décembre 1983, pour gérer la salle de spectacles (elle fut remplacée par une nouvelle, inaugurée le 4 janvier 1936). La première salle, dite longtemps «l’ancien local», affectée exclusivement au cinéma, fut vendue en décembre 1981, comme la salle de spectacles, l’année suivante, au village du Sentier. Seule la salle de cinéma a survécu aujourd’hui à la démolition.

Neuf chapitres encadrent le propos. Les titres sont évocateurs des étapes du développement du cinéma: Le «Local», une salle pour la gym; Le cinématographe; Les années héroïques; Temps de crise, années de succès; Derrière les rideaux rouges (ils permirent l’obscurcissement de la salle durant les années 1942 à 1945); Passage de témoin (la génération des fondateurs passe la main au sortir du conflit mondial) ; Le déclin; La reprise par le Village; À l’enseigne de La Bobine. Trois annexes couvrent la période 1923-2013/2015: gérants et opérateurs; offre, fréquentation, recette; les plus grands succès, soit les films ayant dépassé les 1000 spectateurs. Un appareil scientifique, riche de 98 notes, de la nomenclature des sources et des publications, accréditent la démarche historienne du volume, rehaussé par la reproduction de quelque 150 documents et par les photographies commandées pour l’occasion, aux légendes soignées.

L’auteur nous invite à nous installer dans un fauteuil de cinéma; il déroule devant nos yeux le fil des événements, intègre à sa recherche tout ce qui va avec le fonctionnement d’une salle: les pionniers, les gérants, les responsables des programmes, les opérateurs, les musiciens du cinéma. La fièvre cinématographique est mesurée au travers des chiffres de fréquentation, le nombre de séances par année et par film, le coût et la vente des billets, le chiffre d’affaires entre 1923 et 1975. Pour conquérir et fidéliser le public, il faut lui trouver des films divertissants et à grand spectacle, que l’on loue à des distributeurs et à des intermédiaires et que l’on promeut dans la Feuille d’avis de la vallée de Joux et par affichettes. Au besoin, il faut défendre la programmation, lorsqu’elle est critiquée par voie de presse. Le cinéma du Sentier devient membre de l’Association cinématographique suisse romande (ACSR) et de Ciné-circuit, s’abonne à des périodiques spécialisés pour améliorer la programmation, non sans éviter les conflits. La sécurité (la peur du film nitrate jusqu’en 1950) nécessite l’adaptation de l’espace de projection, la Commission cantonale de contrôle veille depuis 1932 sur la moralité des films. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Confédération imposa aux salles le Ciné-journal suisse, en réponse aux actualités étrangères. Les équipements de projection furent régu liè rement changés, déjà en 1926, avec l’achat d’un appareil français de la Société Phébus. Dès 1933, la salle propose des films sonores (elle portera dès lors jusqu’à la fin des années 1940, le nom Cinéma sonore, puis prendra celui de Cinéma Sentier/Le Sentier). Elle fut dotée en 1957 du Cinémascope, en 2012 du numérique. Face à la diminution du public, ses responsables s’employèrent à modifier et élargir la programmation sous forme de séances d’initiation au cinéma, pour cinéphiles ou des publics particuliers (elles donnent naissance aux ciné-clubs et aux rencontres autour de films documentaires).

Les premiers témoignages cinématographiques en Suisse datent de l’Exposition nationale de 1896. En marge de celle-ci, des tourneurs qui vont de ville en ville présentent des films; des forains incluent le cinématographe dans leur programme d’attractions. Le cinéma devient sédentaire vers 1907-1908, quand le principal producteur de l’époque, Pathé, cesse de vendre ses films pour préférer leur location par des comptoirs de distribution régionaux. En 1916, on dénombre dans le canton de Vaud vingt salles de cinéma dont trois à Lausanne et dix-sept en dehors du chef-lieu. C’est en 1905 que se situe l’arrivée du cinématographe à La Vallée, avec l’installation itinérante au Brassus, au Sentier et au Pont du Cinématographe suisse de la famille Weber-Clément. Le succès fut immédiat, d’autant plus grand que les Combiers peuvent découvrir alors le film de Weber-Clément de la sortie de l’usine LeCoultre & Cie, au Sentier.

En fait, c’est le dimanche 22 avril 1923, avec l’inauguration de la salle, Cinéma Alcazar, au Sentier, que l’activité cinématographique allait s’implanter jusqu’à aujourd’hui à La Vallée. Cette longévité exceptionnelle découle de la ténacité et de la passion des quatre générations de membres, responsables de la salle, qui ont dû braver concurrence entre les salles régionales de cinéma, durablement avec celle du Brassus, et surmonter l’identité villageoise et le cloisonnement dans les activités de loisirs.

À l’origine, la salle de cinéma du Sentier offrait six films par année, puis une vingtaine à la fin de la guerre, la quarantaine dans les années 1950, avant d’atteindre la soixantaine la décennie suivante. En 1946, le cap des 10000 entrées annuelles de spectateurs fut franchi, doublant entre 1945 et 1962. Le record fut battu en 1966 avec le nombre de 25664 spectateurs. Si dans la première période, le nombre annuel de séances était de douze, il passa à cinquante, après 1945, et à plus de deux cents dans les années 1960. Entre 1924 et 1925, la fréquentation moyenne par séance évolua de deux cents à deux cent quarante personnes elle se montait à plus de 100 dans le courant des années 1960. Dès 1955, le nombre des séances hebdomadaires fut porté à trois. La population de La Vallée était de 8082 habitants en 1960, dont 3034 pour Le Sentier et 1732 au Brassus. Dès 1968, les statistiques de fréquentation s’effondrent, sous les effets de la télévision, de la motorisation, des changements d’habitudes dans la gestion du temps libre et d’internet. Elles tombent au-dessous de 10000 en 1972; trente des quarante et un films projetés sont alors déficitaires. Aujourd’hui, la fréquentation se monte à environ 5500 entrées pour cent vingt séances annuelles, soit une petite cinquantaine de spectateurs par séance. Deux films sont projetés par semaine, à raison de trois à quatre séances par film; ainsi plus de cent séances par année sont organisées pour une quarantaine de films.

C’est un cinéma conquérant qui prend le nom en 2002 de La Bobine: en 2009 Jaeger-Le Coultre s’affirme comme sponsor officiel, le 15 avril 2010, l’Association PROJO est fondée pour soutenir la programmation; en 2012, une somme de 160000 fr. est investie pour le passage au numérique. Parsemant sa narration de témoignages de différents dépositaires de l’aventure cinématographique du Sentier (on partage les souvenirs et la reconnaissance), dont Daniel Capt, né en 1924, Daniel Reymond souligne l’importance sociale et culturelle de cette salle qui s’est ménagé une place à côté des multiplexes. Elle fait partie des cinémas «utiles mais fragiles dont l’existence, jamais définitivement assurée, doit beaucoup aux multiples qualités de leurs responsables et à leur indéfectible dévouement. » Les futures études sur les salles de cinéma devront désormais toutes passer par Le Sentier, tant l’étude est stimulante et les pistes de recherche foisonnantes.

Zitierweise:
Gilbert Coutaz: Rezension zu: Daniel Reymond, Roland Cosandey, Patrice Piguet, Daniel Capt, Julien Roux, La Bobine 1923-2015. Un cinéma à la Vallée de Joux, Yverdon-les-Bains: Éditions de la Thièle,. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 275-277.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 275-277.

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