M.Gigase u.a. (Hrsg.): Le tourisme comme facteur de transformations

Titel
Le tourisme comme facteur de transformations économiques, techniques et sociales (XIXe–XXe siècles).


Herausgeber
Gigase, Marc; Cédric, Humair; Laurent, Tissot
Erschienen
Neuchâtel 2014: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
354 S.
Preis
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Mathieu Narindal

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les historiens ont longtemps largement ignoré le rôle joué par le tourisme dans le développement des sociétés contemporaines. Un groupe de chercheurs de l’Université de Lausanne, conduit par Cédric Humair, a comblé ce vide pour l’Arc lémanique, région touristique pionnière en Europe. Dans le cadre d’une recherche de longue haleine, outre l’analyse des facteurs inhérents à la success story lémanique, les historiens ont aussi étudié les effets du tourisme sur l’économie régionale. Cette recherche, qui a donné lieu à une première publication (voir compte rendu suivant dans le présent volume), a soulevé de nouvelles questions. Constatant l’impact majeur du tourisme sur l’Arc lémanique, les chercheurs ont interrogé la portée d’un tel exemple. Il était alors nécessaire de comparer les évolutions économiques, sociales et techniques induites par le tourisme. Un colloque international organisé à Lausanne, en novembre 2011, a répondu à cette démarche et a débouché sur l’ouvrage susmentionné dont le présent compte rendu a déjà été fait, en anglais, dans le Journal of Tourism History (vol. 6, 2-3, 2014, pp. 258-262)

Dans une première contribution introductive, les chercheurs lausannois, Cédric Humair, Marc Gigase, Julie Lapointe Guigoz et Stefano Sulmoni évoquent les effets sur l’économie régionale de l’extraordinaire essor touristique de l’Arc lémanique entre 1852 et 1914. Les dépenses considérables effectuées par les touristes irriguent l’ensemble des secteurs. Ce pouvoir d’achat importé contribue en particulier au développement d’indus tries produisant des biens consommation de luxe, comme le chocolat. Quant aux gigantesques investissements réalisés en lien avec le tourisme par des entreprises ou des collectivités publiques, ils profitent aux différents acteurs du bâtiment ainsi qu’à nombre de fabricants d’équipements techniques. Moteur d’industrialisation, le tourisme favorise aussi l’épanouissement de la place financière lémanique, à laquelle elle offre des possibilités de placement et procure une riche clientèle d’affaires. Véritable leading sector de l’économie lémanique, le tourisme impulse, de manière plus large, un processus de modernisation technique dans la région, non sans susciter parfois certaines oppositions. La création de réseaux de distribution d’eau et d’électricité ou encore de systèmes d’égouts performants est ainsi directement liée à l’essor du tourisme. La première section de l’ouvrage est consacrée aux impacts socioéconomiques du tourisme. John K.Walton montre que son essor, loin d’être une simple conséquence de la Révolution industrielle, participe de façon organique à ce processus. Le cas du fabricant de ski Rossignol, étudié par Anne Dalmasso et Régis Boulat, atteste l’importance des pratiques touristiques en tant que moteur d’innovation et de production industrielle. Quant à Annunziata Berrino et Ewa Kawamura, qui traitent de la Campanie, elles décrivent comment l’émergence d’une industrie lourde redéfinit la géographie touristique de la région. D’autres contributions se focalisent sur des régions périphériques. Johan Vincent, pour la Bretagne, et Mari Carmen Rodríguez, pour Saint-Jacques de Compostelle, soulignent tous deux que le processus de touristification, quelque profitable qu’il soit du point de vue économique, constitue une source de tensions entre touristes et locaux, et induisent des redéfinitions identitaires et territoriales. Enfin, étudiant le cas du canton de Villard-de-Lans, dans le massif du Vercors, Gilles Della-Vedova insiste sur les réseaux locaux à l’oeuvre dans le développement touristique, qui n’est, somme toute, qu’une des modalités évolutives du monde rural.

La deuxième section explore l’influence du tourisme sur la modernisation technique. Celle-ci est particulièrement perceptible dans le domaine des transports. Dans sa contribution, Richard Gassan (†) explique dans quelle mesure le succès, lié au tourisme, de deux lignes de chemin de fer pionnières des États-Unis, a encouragé le développement ferroviaire. Bernd Kreuzer, qui s’intéresse au Salzkammergut, y constate la même relation entre tourisme et modernisation que sur l’Arc lémanique et sur la Côte d’Azur. En ce qui concerne l’hébergement, Alexandre Tessier démontre encore une fois, à la lumière de l’exemple parisien, que les hôtels de luxe sont un lieu d’élection et un moteur de l’innovation technologique: moderniser constitue pour ce type d’établissement une condition de survie dans ce segment de marché. Enfin, comme le démontrent les contributions de Françoise Breuillaud-Sottas et de Piergiuseppe Esposito, le tourisme stimule le développement des infrastructures sanitaires et médicales. Ainsi, à Évian, la présence des voyageurs conduit à l’amélioration du système d’évacuation des eaux usées, tandis que sur l’Arc lémanique l’essor du tourisme médico-sanitaire pousse les institutions médicales à être à la pointe du progrès technique.

La troisième et dernière section de l’ouvrage dépasse le cadre de la première recherche en abordant les impacts socioculturels du tourisme. La contribution de Philippe Duhamel met en évidence son rôle en tant que moteur d’urbanisation. Pour sa part, Anne-Marie Granet-Abisset dissèque les effets de la présence de saisonniers dans les stations alpines. Quant à Valérie Lathion, elle montre comment les actions philanthropiques menées par les alpinistes anglais en faveur des proches des guides décédés en montagne ont finalement débouché sur la création d’assurances accidents. De son côté, Sylvain Pattieu s’intéresse à une organisation promotrice de tourisme social, détenue par la Confédération générale du travail, principal syndicat français. Il met en évidence la tension entre une logique militante et une logique professionnelle et commerciale, qui finit par prévaloir. L’ouvrage se clôt sur deux études consacrées au tourisme automobile. Étienne Faugier souligne que les évolutions structurelles commencées au Québec par ce type de tourisme causent de profondes mutations culturelles, parfois combattues par les habitants. Quant à Catherine Bertho Lavenir, elle met en exergue l’émergence d’une culture propre au tourisme automobile, qui redéfinit notamment la perception de l’espace européen.

L’ouvrage issu du colloque de 2011 est une importante contribution à l’histoire du tourisme. Le cas de l’Arc lémanique, dont l’analyse ouvre de nouvelles pistes de réflexion, notamment en ce qui concerne le lien entre tourisme et modernité technique, constitue un excellent point de comparaison. Et les différentes contributions, judicieusement agencées, témoignent de la fertilité du questionnement. De manière générale, l’ouvrage est la preuve qu’une approche transnationale du tourisme doit s’appuyer sur des études de cas bien documentées. Il remplit pleinement le but que s’étaient fixé les organisateurs du colloque, à savoir réhabiliter le rôle joué par le tourisme dans l’évolution des sociétés contemporaines.

Zitierweise:
Mathieu Narindal: Rezension zu: Marc Gigase, Cédric Humair, Laurent Tissot, Le tourisme comme facteur de transformations économiques, techniques et sociales (XIXe-XXe siècles), Neuchâtel: Alphil, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 264-266.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 264-266.

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