M. Ruchat u.a. (Hrsg.): Un Pays et des Hommes

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Titel
Un Pays et des Hommes. Carnet de route (1915–1919)


Autor(en)
Baudouin, Charles
Herausgeber
Ruchat, Martine; Blum, Antoinette; Jakubec, Doris
Erschienen
Lausanne 2014: Edition L'Age d'Homme
Anzahl Seiten
240 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Jean-Pierre MEYLAN, Emerit. Dozent Universität St.Gallen, Ehem. Beauftragter für Hochschulentwicklung der EDK Bern

Charles Baudouin (1893–1963) fut le fondateur, en1924, de l’Institut de psychagogie, devenu aujourd’hui l’Institut international de Psychanalyse et de Psychothérapie de Genève. Installé dans le même immeuble que l’Institut J.-J. Rousseau créé par Edouard Claparède et Pierre Bovet en 1912 – et dans lequel Baudouin enseigna à partir de 1915 – il y côtoya aussi dès 1921 Jean Piaget. L’Institut J.-J. Rousseau devint sous la direction de ce dernier, en 1929, l’Ecole de psychologie et des sciences de l’éducation (et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation dès 1974).

Contemporain cadet de Freud et Adler (Vienne) et Bleuler, Forel et Jung (Zurich), ce «psychagogue» français de Nancy, se replia, en 1915 à Genève, après avoir été réformé (au sens militaire du terme). Dès 1916, il s’y initia aux théories psychanalytiques, qu’il fit connaître en France après la Première Guerre mondiale. Car le conflit a retardé la réception de ce mode de pensée dans la sphère francophone. En France et dans le grand public, les théories de Freud étaient alors vues comme une manifestation obscène de la pensée germanique. Baudouin évolua de la conception volontariste d’Emile Coué – l’un de ses premiers maîtres – vers celle, plus large, individualiste et aussi moins rigoureusement positiviste de la psychologie devenue «analytique». Il devint ce que les éditrices appellent un précurseur des «multi-thérapies» actuelles.

Baudouin fut aussi écrivain, poète, traducteur et pédagogue fertile et devint un fervent pacifiste et défenseur de Romain Rolland. Sous la protection morale de ce dernier, on vit se rassembler un nombre conséquent de jeunes intellectuels, artistes et auteurs expatriés (dont aussi un grand nombre de Russes), qui subissaient une emprise comparable à celle de Tolstoï avant la guerre. Parmi eux, on trouvait: Pierre Jean Jouve (qui renia toutefois cette phase de sa biographie), le futur anarcho-communiste Henri Guilbeaux (directeur de la revue Demain), le dessinateur Frans Masereel, à Berne, Hermann Hesse et au-delà des frontières Stefan Zweig. Comme Guilbeaux avec sa revue sulfureuse et interdite en France Demain, Baudouin publia la revue Le Carmel, plus philosophique et littéraire et moins politique et révolutionnaire. Avec une largeur d’esprit et une curiosité dépassant les cercles universitaires, Baudouin devint un observateur alerte et critique de son temps, annotant au fil des années dans ses calepins qu’il appela son Carnet de Route, écrit entre 1910 et 1963. Ce Carnet fut retravaillé à plusieurs reprises, réactualisé et amplifié et puis partiellement publié dans les années 40. Ce sont trois volumes d’extraits, chacun couvrant une période particulière.

Le manuscrit Un pays et des hommes – une partie des cahiers de Suisse du Carnet de route – fut terminé en 1943 et repris avec des ajouts en 1952. Il est resté inédit jusqu’à sa publication par l’Age d’Homme en 2014. Les textes présentés ici sont enrichis de documents annexes et constituent une source historique sousestimée pour l’histoire sociale et culturelle de la Suisse et de Genève pendant la Grande Guerre, comparable à l’incontournable Journal des années de guerre 1914–1919 de Romain Rolland (éd. compl. 1952). Ils permettent également au lecteur de découvrir chez Charles Baudouin un jeune écrivain aux multiples dons.

L’extrait du Carnet de route, que les éditrices viennent de publier pour la période 1915 à 1919, forme un corps de textes de nature disparate, qui va de la chronique personnelle (quasiment un journal intime) à des poésies (non reproduites dans cette édition pour respecter l’unité) à la polémique et au banc d’essai littéraire. C’est, pour les connaisseurs de Baudouin, une excellente source de son introspection, pour le lecteur moins averti une lecture rafraichissante dans sa spontanéité et authenticité. On n’y décèle aucune vanité d’écrivain dans les parties narratives. On remarquera quelques «morceaux choisis» brillants sur Rolland, mais aussi une grande vénération pour le poète alémanique Carl Spitteler (1845–1924). Il devient ainsi le premier traducteur en langue française et en alexandrins de ses poèmes épiques. Il partage cette admiration avec Rolland – qui est intervenu pour que Spitteler reçoive le Prix Nobel (1919).

Dans la pensée de l’après-guerre, profondément désillusionnée, Baudouin n’était pas seul dans la recherche de dimensions irrationnelles et quasiment mystiques. Comme Rolland chercha la non-violence (Ghandi) dans la pensée indienne, Baudouin comptait y trouver la sérénité et la sagesse. Hermann Hesse (avec Siddharta) l’y avait précédé. Un sentiment de faillite intellectuelle succéda à la guerre et ouvrit l’horizon à des perspectives nouvelles: la dépréciation de toutes les valeurs, le pacifisme, la critique du capitalisme impérialiste (par seulement par les communistes), la vision de l’homme non entravée par le positivisme, le regain des nationalismes (aboutissant aux fascismes) et le rejet de la politique secrète des cabinets gouvernementaux, etc. Baudouin ne se limitait pas à l’introspection, il fut un témoin éveillé.

Les éditrices, toutes trois professeures d’université, ont eu l’heureuse idée de conduire le lecteur dans les dédales de cette pensée complexe, en publiant en annexe trois essais informatifs:
Martine Ruchat (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève): Sous Chemins d’écriture elle explicite le parti-pris et la méthode pour la reconstitution des textes et résume le cheminement de l’évolution de la pensée de Baudouin. Celui-ci ayant été simultanément actif dans beaucoup de domaines, il importe de connaître les dates de rédaction des passages et de leur réécriture, ainsi que des amendements et ajouts comme dans une sorte de palimpseste.

Antoinette Blum (City University of New York) dresse un portrait de la Petite internationale de l’esprit des intellectuels expatriés (pacifistes, réfractaires, dissidents) gravitant autour de Romain Rolland (le pendant genevois des dissidents germanophones battant les pavés de Zurich – dont Lénine). Il est grand temps que ce pan de l’histoire intellectuelle des étrangers en Suisse soit enfin éclairci. En Allemagne on a su valoriser les dissidents allemands expatriés à Zurich tels que Friedrich Förster, Hugo Ball, les Dadaïstes etc. En Suisse, la politique et la xénophobie des années 30 ont oblitéré le souvenir de ces passages en Suisse d’esprits qui influencèrent la France des années 20 et 30 et l’Allemagne – hélas bien plus tard.

Doris Jakubec (professeur émérite et fondatrice de l’Institut de Recherches des Lettres romandes à l’Université de Lausanne) a finalement commenté l’Itinéraire d’un écrivain intimiste et poète. Elle rend hommage au créateur littéraire dont la réputation a été obnubilée par celle du psychologue. Mme Jakubec, elle aussi, a su ouvrir plus grand le regard des Romands à une vision longtemps centrée sur la tradition «latino-régionale» (les alpes et le lac) de la littérature française en Suisse.

Zitierweise:
Jean-Pierre Meylan: Rezension zu: Charles Baudouin, Un Pays et des Hommes. Carnet de route (1915–1919), édition établie par Martine Ruchat, Antoinette Blum, Doris Jakubec, Lausanne: Age d’Homme, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 493-495.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 493-495.

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