C. Humair u.a. (Hrsg.): Le tourisme suisse

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Titel
Le tourisme suisse et son rayonnement international. Switzerland, the playground of the world


Autor(en)
Humair, Cédric; Tissot, Laurent
Reihe
Histoire et sociétés contemporaines
Erschienen
Lausanne 2011: Frankfurter elektronische Rundschau zur Altertumskunde (FeRA)
Anzahl Seiten
222 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Mari Carmen Rodríguez

Cet ouvrage collectif est le premier résultat d’une recherche de trois ans menée sous l’égide du FNS pour évaluer la success story du tourisme suisse dans l’Arc lémanique entre 1852 et 1914. Il interroge, en deux volets, les composantes matérielles et immatérielles qui ont contribué, durant la Belle Epoque, à forger un «modèle» touristique et pointe également ses limites.

En effet, si le territoire helvétique passe dès le XVIIIe siècle d’un lieu de transit à un lieu de séjour, porté à la fois par un imaginaire littéraire mais aussi par de nouveaux habitus de voyage comme l’attrait des sommets alpins (le Cervin devient un sanctuaire…) ou le thermalisme, c’est au cours de son industrialisation au XIXe siècle que se développe un savoir-faire touristique. La Suisse devient une destination de choix grâce au chemin de fer, aux apports de la modernisation et à une figure emblématique: le palace qui, selon Michelle Perrot, combine le modernisme technique anglosaxon et le goût français du cérémonial de Cour pour fidéliser les élites européennes. La Suisse choisit de mettre l’hôtel urbain et mondain à la montagne, un subtil assemblage illustrant l’imaginaire touristique qui voit «la modernité devenir une tradition et la tradition s’inscrire dans une modernité », écrit Laurent Tissot. Ainsi, «par sa précocité, le tourisme suisse établit des normes, codifie les comportements, formalise des concepts qui dépassent rapidement le cadre national pour être repris, au travers de nombreuses modalités, dans différentes parties du monde sous le vocable de petites Suisses». Les espaces touristiques qui ont été «suisséifiés» ne manquent pas. De par le monde, le chalet ou le village suisse se vendent comme le modèle helvétique et en 1893, c’est le savoirfaire qui s’exporte. La première Ecole Hôtelière qui se crée à Lausanne sert de modèle à celle de Paris… entre autres.

Si le tourisme est désormais devenu un objet d’étude des historien-ne-s qui, depuis une génération, ont contribué à le concevoir comme tel, les recherches à mener sont encore importantes, notamment pour ce qui a trait à la Suisse. Comme le rappelle Cédric Humair après avoir dressé un essai de périodisation, la lacune historiographique est grande: reconstituer systématiquement l’histoire de l’offre touristique suisse. En reprenant le concept de système sociotechnique élaboré par Thomas Hughes et appliqué par Laurent Tissot à l’analyse du tourisme, les auteurs considèrent leur objet comme un phénomène complexe à étudier où les données techniques, de savoir-faire, économiques, politiques, culturelles et symboliques s’enchevêtrent. Cet ouvrage est une part de l’édifice en construction et se centre sur deux aspects: le rôle de la technicité et de l’imaginaire.

En parcourant les divers cas d’études, nous découvrons que les relations qu’entretiennent la technicité et le tourisme sont en effet complexes et peuvent parfois étonner. L’industrie touristique peut ainsi se convertir en laboratoire ou espace d’expérimentation comme le montre Julie Lapointe en étudiant la place de l’ascenseur dans le prestige technique d’un hôtel à la Belle Époque. Vu comme une forme de mobilité audacieuse qui fascine les touristes, son installation est un défi financier et un accident coûte cher à l’image… D’autres innovations techniques deviennent aussi un gage de distinction symbolique, et ne sont pas exemptes de risque. C’est le cas du funiculaire qui, pour Marc Gigase, établit des synergies entre tourisme et chemins de fer de montagne. Cette facilité qui contribue à la domestication de la montagne est à l’origine de succès dans l’Arc lémanique, comme les Rochers de Naye, mais peut aussi se révéler un fiasco, comme le Salève, dont la fréquentation n’a pas comblé les attentes des promoteurs. L’intégration de la technicité constitue aussi un argument économique qui permet à des entrepreneurs helvétiques d’exploiter les acquis, à l’instar du transfert de capitaux, de savoir-faire et de clientèle genevois dans le développement de la station thermale d’Evian au XIXe, que présente Françoise Breuillard-Sottas ou le cas des rayons X qu’analyse Florian Kissling. Introduits pour le diagnostic médical dans les stations thermales et de santé, ils permettent à certains médecins de s’enrichir. A l’inverse, les entrepreneurs touristiques renoncent parfois à l’innovation car elle fait ombrage à l’image traditionnelle recherchée. C’est le cas sur les bateaux-vapeur du lac Léman où, selon Stefano Sulmoni, ils refusent le moteur diesel considéré trop bruyant et conservent la roue à aube. L’intégration des innovations dans le tourisme est donc sélective et sa valeur peut se révéler relative.

Cet impératif de «tradition» s’inscrit dans l’autre dimension explorée dans cet ouvrage collectif: la diffusion de l’imaginaire helvétique. La propagande déployée, en France, par les acteurs du tourisme suisse, les représentants économiques et diplomatiques de la Confédération au cours de la crise des années trente en témoigne. Pour Roberto Caravaglia, le discours tente de véhiculer l’imaginaire traditionnel, tout en procédant à des adaptations qui permettent de mieux toucher la clientèle visée. Les efforts propagandistes de l’Etat s’illustrent aussi par le biais de la radiodiffusion, à travers la collaboration entre l’Office national suisse du Tourisme (ONST) et la Radio Suisse (SSR). L’originalité de ce media, selon Raphaëlle Ruppen Coutaz, réside dans la création d’une publicité indirecte par souci de «radiogénie». La destination touristique n’est pas «vendue» frontalement. Elle est suggérée par le biais de reportages culturels, de romans feuilletons, de présentation d’expositions, d’interviews, de concours, etc. Dans le sillage de la diplomatie culturelle qui devient un axe stratégique de la politique extérieure de la Confédération, la SSR occupe ainsi une place discrète, mais importante, dans le concert des institutions chargées de promouvoir la Suisse.

Malgré ces exemples de mobilisations, la promotion touristique n’est pas inconditionnelle et se heurte parfois à des résistances sociales et politiques, comme dans le cas de l’interdiction de l’implantation d’établissements pratiquant les jeux de hasard à Lausanne et Genève. Mathieu Narindal montre que les intérêts touristiques susceptibles de ternir l’image de perfection morale provoquent la résistance de certains milieux, ce qui aboutit en 1920 au succès de l’initiative populaire contre les casinos.

Cette étude sur Le tourisme suisse et son rayonnement international offre donc un aperçu d’une analyse sociotechnique de l’âge d’or de l’offre touristique helvétique qui reste à compléter. S’il ne s’agit pas d’un ouvrage qui se veut exhaustif et s’il convient de regretter l’absence d’une bibliographie générale sur le sujet, sa lecture est à encourager vivement car il s’agit d’une démarche exploratoire riche et prometteuse, renouvelant le sujet et couvrant une période proto-statistique, un défi que les auteurs relèvent avec rigueur et nuances, déconstruisant ce «rêve alpin», cette utopie de la perfection qui se brise sous le poids de la concurrence, des effets collatéraux, des configurations changeantes qui forcent à l’hétérogénéité. Le mythe de la success story helvétique est ainsi revisité, expliqué, mais aussi ébranlé par des historien-ne-s critiques et stimulants, ce qui est bien appréciable dans le domaine.

Zitierweise:
Mari Carmen Rodríguez: Rezension zu: Cédric Humair, Laurent Tissot (dir.): Le tourisme suisse et son rayonnement international. «Switzerland, the playground of the world». Lausanne, Antipodes, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 509-511

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 509-511

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