J. Fehleison: Boundaries of Faith

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Titel
Boundaries of Faith. Catholics and Protestants in the Diocese of Geneva


Autor(en)
Fehleison, Jill
Reihe
Early Modern Studies 5
Erschienen
Kirksville Missouri 2010: Truman State University Press
Anzahl Seiten
269 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Flückiger Fabrice, Université de Neuchâtel

A l’intersection des territoires d’Empire, du royaume de France, de la Savoie et du Corps helvétique, le diocèse de Genève est au coeur des luttes confessionnelles depuis que Genève et plusieurs autres localités ont opté pour la Réforme après 1535. Depuis Annecy, l’évèque Claude de Granier (1579–1602) initie la réforme catholique, entreprend de combattre l’influence protestante et d’imposer dans le diocèse les réformes du concile de Trente. A juste titre, Jill Fehleison estime que l’étroite imbrication des intérêts politiques et religieux et la forte présence protestante dans la région font du diocèse de Genève un terrain privilégié pour étudier effort missionnaire et introduction des réformes tridentines à l’échelle diocésaine au tournant des XVIe–XVIIe siècles.

Jill Fehleison puise dans un riche corpus de sources, dont de nombreux documents inédits des archives de Savoie et de Genève, qui lui permet de reconstituer avec précision l’entreprise de conversion et la politique d’harmonisation tridentine dans le diocèse. On saura gré à l’auteure de s’être plongée dans une historiographie régionale parfois ardue, tout en recourant à des outils issus de l’anthropologie et de la géographie, qui ouvrent de prometteuses pistes de réflexion quant aux pratiques locales de la foi. On s’étonnera cependant de l’absence presque totale de l’historiographie du protestantisme, l’introduction ne mentionnant pratiquement que des ouvrages traitant de la Contre-réforme catholique.

L’ouvrage est divisé en sept chapitres dont le premier fait office d’introduction et le septième de conclusion. Dans le second (Understanding Boundaries), Fehleison étudie les structures du diocèse de Genève, dégage les frontières confessionnelles et politiques qui traversent la région. Le chapitre fait une place importante aux biographies des trois évêques Claude de Granier, François de Sales (1602–1622) et Jean-François de Sales (1622–1635) avant de conclure sur la pratique de la visitation, que Fehleison voit comme l’un des principaux outils au service de la réforme tridentine. Les chapitres 3 (Winning Converts) et 4 (Shifting Borders) traitent des missions au sein des terres protestantes du diocèse. L’auteure souligne l’importance accordée à la démonstration publique de la foi – prières des Quarante Heures, représentations théâtrales, cérémonies d’accueil des convertis au sein de l’Eglise. Sont également organisées des disputes, joutes oratoires destinées à dévoiler publiquement les «erreurs» des protestants, les catholiques réutilisant avec profit un mode de controverse d’abord imposé par les réformateurs dans les années 1520/30. Si les missions, soutenues par la Savoie, rencontrent un succès certain dans le Chablais, les avancées seront moindres dans le Pays de Gex, passé sous domination française en 1601. L’entreprise de conversion s’y heurte à la prudence d’Henri IV, soucieux de ne pas créer un foyer de révolte protestant. Consacré à la réforme du clergé, le cinquième chapitre (Cleaning Houses) montre le souci porté à la formation du clergé séculier: administrateurs des sacrements – à l’importance renforcée par la réforme tridentine –, les curés sont chargés par les évêques de mettre en oeuvre les réformes au niveau des paroisses, et ceci en tenant compte de l’attachement de leurs ouailles aux traditions locales. Quant au clergé régulier, il fait preuve de réticence dans l’application des réformes, les moines y voyant une menace sur leur indépendance et leurs privilèges. L’effort de recatholicisation du diocèse bute donc en partie sur des difficultés internes à l’Eglise telles que les conflits de juridictions ou de propriété; une part du clergé du Pays de Gex se réfère ainsi aux libertés gallicanes pour s’opposer aux décrets tridentins, qui n’avaient pas le statut de lois du royaume.

Le sixième chapitre (Defining Spaces) – qui aurait bénéficié d’une division plus nette entre espace symbolique et espace matériel – pourrait fournir à lui seul matière à un livre. L’espace symbolique est balisé par les sacrements, la communion créant l’espace de la catholicité et l’excommunication – ou le refus de l’Eucharistie par les protestants – entraînant la relégation dans un espace non chrétien où aucun salut n’est possible. Est également rappelé le rôle éducateur du cathéchisme et l’importance de la confession. Mais ce sont les passages sur la complexité de l’organisation spatiale qui retiennent le plus l’attention, révélant l’importance de l’investissement de l’espace urbain par les processions, la centralité de l’église paroissiale, les enjeux liés à l’aménagement des sanctuaires et chapelles ou encore les régles à suivre dans la disposition des autels. L’auteure souligne aussi le rôle des confréries dans la création des espaces de sacralité catholique et pointe l’incompréhension que pouvaient susciter les exigences de conformité des aménagements avec les décrets tridentins.

C’est donc un vaste panorama que propose le livre, et si l’on regrette parfois la brièveté du traitement de certains aspects, il faut reconnaître à l’auteure le mérite d’avoir tenté d’offrir un tableau complet de la réforme catholique dans le diocèse de Genève à la fin du XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle. On regrettera toutefois que l’analyse suive principalement l’action des évêques, sans donner suffisamment corps aux autres agents – on aurait ainsi apprécié une analyse plus fouillée de la façon dont les fidèles se sont concrètement approprié les réformes. Le principal regret reste l’absence surprenante des protestants en tant qu’acteurs. Alors que le titre laissait supposer une histoire de la cohabitation des deux confessions dans le diocèse de Genève, Jill Fehleison ne répond que très partiellement à cette attente. Les événements sont, dans leur quasi-totalité, décrits selon le point de vue des évêques réformateurs catholiques dont l’auteure s’est attachée à retracer le parcours et l’on apprend finalement fort peu de choses sur les réactions protestantes face aux entreprises catholiques – les négociations menées avec Théodore de Bèze et le théologien protestant Lignaridus en vue d’une dispute restent une exception. Le monde protestant se résume ainsi à une sorte de masse homogène sans visages, qui reste en dehors des frontières du terrain étudié.

Le livre de Jill Fehleison réussit en revanche à montrer la complexité de la transposition des décrets tridentins sur le terrain. Le manque de personnel clerical, la puissance des protestants – l’influence de Genève reste forte –, les visées politiques parfois opposées des alliés catholiques freinent l’effort de reconquête; l’impossibilité de visiter un diocèse au relief accidenté tous les deux ans comme le voulait la règle, les réticences des populations locales face à la nouveauté, les rivalités internes à l’Eglise, ainsi que la modération des sanctions de crainte de provoquer un regain du protestantisme sont autant d’obstacles à l’harmonisation tridentine. Fehleison démontre que la réforme catholique était fortement tributaire des contingences politiques et religieuses locales et invite à se garder de toute illusion d’une imposition uniforme et homogène des décrets tridentins dans les terres catholiques.

Zitierweise:
Fabrice Flückiger: Rezension zu: Jill Fehleison: Boundaries of Faith. Catholics and Protestants in the Diocese of Geneva. , Truman State University Press, 2010. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 4, 2011, S. 479-480.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 4, 2011, S. 479-480.

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