D. Gaffino: La suisses face à la guerre du Viêt Nam

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Titel
Autorités et entreprises suisses face à la guerre du Viêt Nam, 1960–1975.


Autor(en)
Gaffino, David
Erschienen
Neuchâtel 2006: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
280 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Il convient tout d’abord de féliciter les jeunes Editions Alphil pour leur dynamisme et la qualité générale de leurs publications. A l’instar d’Antipodes à Lausanne, dont les choix éditoriaux sont similaires, elles mettent notamment à disposition du public thèses et mémoires universitaires.

Soulignons d’emblée la qualité du travail de David Gaffino, tant sur le plan formel (une langue d’une rare élégance) que sur le fond. Son livre témoigne aussi de sa connaissance profonde du Viêt Nam, pas seulement livresque, et de son attachement à ce pays. Celles et ceux qui, comme le soussigné, ont «lu» l’histoire de l’Indochine autant sur ses routes et ses fleuves que dans les bibliothèques seront sensibles à cette empathie, qui est aussi un outil de compréhension.

L’hypothèse de base de D. Gaffino consiste à confronter la politique étrangère concrète de la Suisse aux quatre maximes de base énoncées par le conseiller fédéral Max Petitpierre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale: neutralité, solidarité, universalité et disponibilité, termes définis par l’auteur avec clarté et rigueur. Le problème étant que, le premier et le troisième de ces concepts n’étant pas vraiment appliqués (la Suisse a des relations diplomatiques avec le Viêt Nam du Sud mais ne reconnaîtra le Nord communiste qu’en 1971), le deuxième et le dernier seront difficiles à mettre en pratique! Avec pertinence, D. Gaffino opère une comparaison constante entre la Suisse et la Suède, deux pays neutres à certains égards rivaux, qui se livrent à une sorte de «compétition pacifique». Or, tant par l’ampleur de son aide au développement (0,05% du PNB pour la Suisse en 1963 contre 0,14% pour la Suède) que par la plus grande audace de ses initiatives de médiation en faveur d’une paix en Indochine, le royaume scandinave est constamment en avance sur notre pays. Celui-ci témoigne de frilosité, voire de pusillanimité face aux menaces américaines, au cas où les industriels helvétiques enfreindraient l’embargo de Washington sur l’exportation de produits dits stratégiques vers les pays du bloc communiste. Ces mêmes milieux industriels pèsent d’ailleurs de leur poids dans la préférence marquée de Berne pour Saïgon: en 1965, le rapport Sud-Nord dans l’importation de produits helvétiques est de 46 à 1 (quand bien même les relations économiques entre la Suisse et le Sud-Viet Nâm restent extrêmement modestes: 0,37% des exportations suisses en Asie en 1964!). D. Gaffino montre bien, par ailleurs, combien l’énorme aide américaine au régime de Diêm et l’arrosage de dollars «dopent» artificiellement l’économie du Sud. Tant le principe de l’universalité que les conventions de La Haye de 1907 ne sont pas loin d’être violés lorsque l’industrie horlogère suisse exporte en masse vers les Etats-Unis des mécanismes (pignons, engrenages à destination à 90% militaire) indispensables aux vastes opérations de bombardements aériens sur le Viêt Nam du Nord. Tout cela complique bien sûr les rapports de Berne avec Hanoï. On constate cependant, sous l’égide du conseiller fédéral socialiste Willy Spühler, un regain des initiatives diplomatiques à partir de 1965. C’est lui qui abandonnera la fiction d’un Etat séparé (impliquant donc la reconnaissance d’un seul gouvernement, en l’occurrence celui de Saïgon) pour admettre l’existence de facto – depuis la non-application des Accords de Genève de 1954 – de deux Etats vietnamiens, ce qui permettra l’établissement de relations diplomatiques tardives avec Hanoï. Les milieux économiques, notamment horlogers, y trouveront d’ailleurs leur compte, la Suisse étant bien placée dans la course à la reconstruction qui suivra la réunification de 1975. Tout cela est fort bien montré.

Exprimons cependant un regret. Certes, le titre de l’ouvrage limite le champ d’investigation, déjà vaste, aux autorités et aux entreprises suisses. Mais peut-on, comme le fait l’auteur, passer aussi rapidement sur les forces qui s’affrontent dans l’opinion publique helvétique et ses différents relais, notamment la presse? Car le Conseil fédéral, pendant la terrible guerre du Viêt Nam, fut soumis à des pressions contradictoires. D’un côté celles des cercles militaires alors très américanophiles, des milieux économiques évoqués plus haut, et d’une presse de droite vigoureusement anticommuniste (NZZ, Le Nouvelliste, Feuille d’Avis de Neuchâtel, etc.). On ne saurait d’autre part minimiser l’émotion suscitée par le conflit, l’ampleur, en Suisse comme ailleurs, des manifestations anti-guerre, la vigueur de la dénonciation de la «guerre américaine» dans la presse de gauche, ou encore l’action de comités comme Aide au Vietnam. Sans doute D. Gaffino relève-t-il que «cette pression existe dans les deux sens» (p. 211). Mais en n’accordant à cette toile de fond idéologique qu’une place trop limitée à nos yeux, l’auteur se prive d’un élément d’explication important. La même remarque vaut pour la Suède. D. Gaffino évoque de façon sibylline les «considérations de politique intérieure » (p. 234) qui motiveraient les sympathies de Stockholm envers Hanoï. Or l’implication personnelle d’Olof Palme nous paraît avoir joué un rôle déterminant: d’aucuns voient même dans cet engagement vietnamien une cause possible de son assassinat, resté inexpliqué et impuni à ce jour. Pour avoir bien connu la Suède des années 60, nous pouvons témoigner par ailleurs de la grande ampleur de la mobilisation anti- américaine dans ce pays.

Suggérons enfin un ajout à la bibliographie déjà fort riche: l’éclairant témoignage de Robert McNamara, Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons (Paris, Seuil, 1996). Ces quelques remarques n’enlèvent rien à la qualité exceptionnelle de ce mémoire de licence qui laisse bien augurer des travaux ultérieurs du jeune chercheur. Rigoureux, précis (ainsi la synthèse exemplaire de l’histoire vietnamienne jusqu’en 1960), ample par l’étendue du champ défriché, ce travail mérite des éloges. Comme le dit Daniel Bourgeois dans sa Préface, il apporte des clefs de compréhension, tant à la génération actuelle qui n’a pas vécu le traumatisme vietnamien qu’à celle qui en fut si marquée, sans toujours en percevoir tous les enjeux.

Citation:
Pierre Jeanneret: Compte rendu de: David Gaffino: Autorités et entreprises suisses face à la guerre du Viêt Nam, 1960–1975. Neuchâtel, Alphil, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 4, 2007, pages 480-482.

Redaktion
Veröffentlicht am
23.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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