R. O. Paxton: Le fascisme en action

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Titel
Le fascisme en action.


Autor(en)
Paxton, Robert O.
Erschienen
Paris 2004: Editions du Seuil
Anzahl Seiten
439 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Robert O. Paxton précise d’emblée l’angle d’approche qui sera le sien: il convient, selon lui, d’étudier le fascisme à travers ce qu’il a fait, et non à travers le prisme déformant de son discours idéologique. En d’autres termes (et cette phrase justifie le titre de l’ouvrage), il «s’intéresse davantage aux actes des fascistes qu’à leurs paroles» (p. 7). C’est en se fondant sur les alliances conclues avec les élites de l’establishment traditionnel, libéral et conservateur, alliances – ou «complicités» écrit Paxton – sans lesquelles la prise du pouvoir eût été impossible, que l’auteur balaie de façon définitive le mythe d’un premier fascisme (celui de 1919) «socialiste »: «Les partis fascistes qui ont accédé au pouvoir, cependant, n’ont jamais rien fait pour concrétiser ces menaces anticapitalistes, alors qu’ils ont au contraire mis en oeuvre, avec une violence inouïe et sans le moindre compromis, toutes celles qu’ils avaient proférées contre le socialisme» (p. 21). La «révolution» fasciste, sur les plans économique et social, resta donc purement verbale, ce qui ne manqua pas d’engendrer des tensions avec les militants radicaux (comme les frères Strasser) restés fidèles au discours du fascisme originel. Cette prise de position catégorique ne signifie cependant pas que Paxton accrédite la vulgate marxiste du «fascisme capitalisme sans masque». Il met notamment l’accent sur le caractère interclassiste du mouvement fasciste (au contraire des autres partis qui s’identifiaient clairement à une classe et à ses intérêts). Le fascisme a su ratisser large, embrigader des individus – et notamment des jeunes – dans des milieux divers auxquels il faisait des promesses souvent contradictoires. Or, comme le montre Paxton, on retrouve ce caractère de parti «attrape-tout» dans divers mouvements ou formations populistes et xénophobes d’aujourd’hui. Le génie du fascisme fut aussi d’avoir su parler dans son langage à la foule, foule que les notables traditionnels, à tort, méprisaient. La spécificité du fascisme, par rapport aux régimes autoritaires classiques, est donc bien d’avoir été un mouvement réactionnaire, certes instrumentalisé par le capital, mais ayant reçu l’approbation des masses, ou du moins d’une partie d’entre elles.

Alors que les autres «-ismes», tous nés au XIXe siècle, reposent sur des systèmes philosophiques cohérents, le fascisme se fonde sur un ensemble de «passions mobilisatrices»: un fatras rhétorique et une ritualisation de la politique misant sur les affects, les émotions et méprisant la pensée rationnelle. Mais pour que ce nouveau langage politique fût à même de l’emporter, il fallut la guerre de 1914–18, dont Paxton met en évidence – après d’autres – le rôle fondamental: acquiescement à la violence, désormais respectable; mise en avant des valeurs viriles et guerrières; exaltation de la Nation transcendant les clivages de classes; capacité à enrégimenter les masses. Sans oublier le rôle des conséquences politiques, économiques et sociales de ce conflit, en particulier l’effroi suscité dans les classes moyennes et supérieures par la Révolution bolchévique, ou la crise de l’Etat libéral. Ainsi, l’échec du fascisme en France et en Grande-Bretagne – malgré l’existence, dans ces deux pays, de mouvements fascistes ou fascisants puissants – s’explique, selon Paxton, non par quelque mythique allergie nationale, mais par l’absence d’une crise du système suffisamment grave pour que les élites traditionnelles aient besoin de recourir aux squadre, Fronts, Ligues ou autres bandes fascistes.

Le fascisme est donc bien une invention politique du XXe siècle, plus exactement d’après 1918, quand bien même ses racines plongent dans un «préfascisme» du XIXe dont les composantes sont notamment: la déviation des idées darwiniennes et la mise en valeur du concept de race; le succès des thèses spenglériennes de la «décadence»; la crise identitaire due aux corollaires de la révolution industrielle et à la disparition des solidarités communautaires, celle-ci entraînant la xénophobie et la recherche d’un bouc émissaire diabolisé (l’antisémitisme).

A travers l’exposé clair des faits concrets liés à la prise du pouvoir en Italie et en Allemagne (l’auteur s’adressant ici autant à un public éclairé qu’au cénacle, très large au demeurant, des spécialistes du fascisme), Paxton passe systématiquement en revue les interprétations du phénomène. Certaines d’entre elles suscitent son scepticisme. Ainsi l’approche psychanalytique des dirigeants fascistes: «Allonger le fascisme sur le divan risque de nous égarer» (p. 94). Il déplore aussi – avec une grande urbanité car le ton n’est jamais polémique – l’intérêt exagéré de trop nombreux historiens pour les débuts du fascisme, époque où les intellectuels et leur discours anticapitaliste sont encore au premier plan, avant d’être remplacés par les réalistes de l’alliance avec ce même capitalisme (ou cette «ploutocratie») que le mouvement condamnait verbalement... Une fois encore, il s’agit de «mesurer la rhétorique fasciste à l’aune de ses actes» (p. 100). Se méfiant par ailleurs du mélimélo conceptuel, Paxton refuse l’appellation «fasciste» à une série de mouvements autoritaires comme le franquisme. Il relève même le paradoxe: les dictatures (cf. Le cas de la Roumanie d’Antonescu face à la Légion de l’archange Michel) furent parfois plus à même que des régimes parlementaires légalistes d’écraser brutalement une tentative de prise du pouvoir par les fascistes, tant il est vrai que la démocratie est le terreau nécessaire à l’essor de ces derniers...

La démarche de Paxton – qui est fidèle en cela aux tendances profondes de l’école américaine – se veut pragmatique. Ainsi, il est symptomatique que sa tentative de définition («Qu’est-ce que le fascisme?») ne précède pas les 7 autres chapitres mais en constitue la conclusion. Dans ceux-là, il a traité successivement de l’enracinement, de la conquête puis de l’exercice du pouvoir. Paxton a montré ensuite que la radicalisation, notamment au travers de la politique belliciste d’expansion, s’inscrit dans la logique du fascisme. Ernest Renan n’avait-il pas écrit, dès la chute du Second Empire, que la politique agressive et la guerre sont une «nécessité inéluctable» des dictatures? Dans le chap. 7 intitulé «Autres temps, autres lieux» – dont le titre met en exergue les différences temporelles et spatiales entre les phénomènes fascistes, fascisants ou fascistoïdes passés en revue – l’auteur se penche sur une série de situations particulières: MSI italien, poujadisme, nationalismes balkaniques belliqueux, péronisme (où le charisme d’Eva Peron s’inscrit en faux contre le machisme des mouvements authentiquement fascistes!) et autres «national-populismes» sud-américains, etc. On remarquera en passant que la Suisse est curieusement absente du tour d’horizon des fascismes européens, comme si notre pays en avait été miraculeusement préservé... Péché véniel cependant. Ce n’est qu’au terme de cette démarche, constamment accompagnée d’un exercice salutaire de réflexion critique sur les différentes thèses en présence, dans ce qu’elles ont souvent de trop unilatéral, que Paxton nous propose une définition, non préalable et «par essence» mais déduite, répétons-le, des actes des fascistes.

Le livre de Robert O. Paxton ne prétend pas apporter d’éléments résolument nouveaux. Il se présente comme un «essai», une réflexion synthétique, sur la base de l’énorme littérature (notamment des très nombreuses et souvent excellentes monographies) qu’a suscitée le fascisme, littérature à laquelle, par ses travaux sur le régime de Vichy notamment, le professeur Paxton n’a pas peu contribué. Les 50 pages de bibliographie critique qui suivent le corpus du texte seront désormais un instrument de travail indispensable.

Il est difficile de dire ce qui, de la connaissance prodigieuse qu’a Paxton du fascisme, du sens de la synthèse, de la clarté de l’expression (un peu altérée cependant, ici et là, par des lourdeurs de traduction), du refus des explications simplificatrices, ou encore de l’intelligence de l’auteur toujours en éveil, suscite le plus l’admiration. Le livre de Robert O. Paxton est l’un de ces rares ouvrages dont on croit pouvoir dire sans trop de risque de se tromper qu’ils sont appelés à devenir des «classiques» incontournables pour qui s’intéresse au phénomène fasciste.

Citation:
Pierre Jeanneret: compte rendu de: Nicole Malherbe: Robert O. Paxton: Le fascisme en action. Paris, Seuil, 2004. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 3, 2005, S. 370-372.

Redaktion
Veröffentlicht am
02.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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