P.-O. Léchot: De l’intolérance au compromis

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Titel
De l’intolérance au compromis.. La gestion d’une coexistence confessionnelle. Le Landeron, XVIe-XVIIIe siècle


Autor(en)
Léchot, Pierre-Olivier
Erschienen
Sierre 2003: Editions à la Carte
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Jean Courvoisier

Dans son avant-propos, l’auteur précise qu’il n’a pas voulu «disqualifier l’histoire événementielle» d’une Réformation manquée; il a résolu de la situer «dans la perspective d’une coexistence confessionnelle se déployant dans le temps». Le plan du livre est clair. Le premier chapitre traite de l’échec de la Réforme au Landeron; les suivants couvrent la période de la mort de Farel à celle de Marie de Nemours, puis «de l’avènement du régime prussien» (en fait, du roi de Prusse) à celui de la stagnation confessionnelle. En raison du parti d’analyser les faits sous divers angles, l’exposé ne va pas sans recoupements, voire sans répétitions. Restait à identifier comportements et situations, à classer les événements, puis à interpréter les données et les arguments des «acteurs». La microhistoire exigeait du reste de replacer la particularité de la châtellenie du Landeron dans un contexte neuchâtelois, suisse voire international. L’argumentation des parties en cause, les cas limites, l’imbroglio juridique dû à l’interférence des autorités séculières et religieuses nécessitaient des éclairages variés sur des cas particuliers.

Au départ, l’auteur s’appuie notamment sur le mémoire de licence de L. Bartolini, Autonomie et liberté de conscience des communautés: Le Landeron (...) 1530-1561, pour décrire les «étapes d’une Réformation manquée». Les cantons catholiques suivaient de près la situation qui évolua en faveur de la foi traditionnelle. Un vote des bourgeois la confirme à la quasi-unanimité, par 300 voix contre 2. La tentative manquée d’établir le simultaneum bloqua toute avancée de la Réforme, et confirma le statu quo fixé par le traité de Bremgarten défavorable aux luthériens en Suisse. Une décision du Conseil d’Etat, en 1551, garantit «le particularisme catholique landeronnais» contre lequel les pressions des Bernois furent impuissantes, en partie à cause de l’avènement de Léonor d’Orléans «comte souverain de Neuchâtel». Suit une mise au point nuancée du cas de Lignières, où les protestants obtinrent la liberté du culte en dépit du traité de Bremgarten. Cela constitua une enclave réformée dans une châtellenie catholique. Conscients de leur identité propre, les Landeronnais craignaient une intervention des Quatre Ministraux de Neuchâtel dans leurs affaires politiques et religieuses. Pourleur part, les Soleurois manœuvraient aussi pour étendre leur influence sur l’ensemble du comté. Berne chercha en vain à faire remplacer le curé par un prédicant. Comme la famille comtale installée en France était dans l’impossibilité d’avoir une ligne de conduite religieuse, tout dépendit des gouverneurs de Neuchâtel; l’attitude de ceux-ci permit en définitive de sauvegarder l’indépendance du comté, Berne et Soleure jouant par la force des choses un rôle modérateur.

Collateur de la cure du Landeron, Berne reconnut implicitement le culte catholique, en 1557, solution qui rappelle ce qui se passait dans le Saint-Empire. M. Léchot résume la situation en évoquant le principe suivi dans la partie sud de l’évêché de Bâle: «à cette région, cette religion, sans que cette dernière soit obligatoirement celle du prince ou du reste du territoire». La cohabitation commença véritablement en 1565.

On observe un essoufflement réformé après la mort de Farel. La Compagnie des Pasteurs, très attentive aux changements de religion des Orléans-Longueville, suivait de près les agissements de la minorité confessionnelle à l’intérieur du pays; le passage des réfugiés huguenots dès 1660 amena un raidissement visible. Pour les Landeronnais, la Réforme catholique signifiait assurer le maintien de leur foi, tout en ménageant avec succès une bonne entente avec les protestants du voisinage. En raison d’une minorité réformée, les habitants de Cressier eurent en revanche plus d’accrochages dans le domaine religieux. Relevons encore, parmi d’autres, d’utiles précisions sur la nomination du curé du Landeron, élu par les paroissiens ou par le Conseil de Ville respectueux à l’égard de Berne, le collateur. Avec beaucoup de détails, apparaît la mise en danger de la paix confessionnelle par des injures, des mariages mixtes et la participation de protestants à des rites catholiques. Constatation importante, la Vénérable Classe se réserva les affaires religieuses internes, laissant aux autorités politiques les affaires de leur ressort. Ainsi fallait-il résoudre le problème des criminels protestants exécutés en terres catholiques. L’auteur émet aussi l’idée «que la poursuite des sorcières fut l’un des vecteurs de l’apaisement confessionnel». En 1697, la conversion au catholicisme d’un enfant de 12 ans, dans un contexte général délicat, provoqua une série de remontrances des pasteurs et des Quatre Ministraux, le recours au gouverneur, puis à Marie de Nemours en plein procès avec Louis, prince de Conti.

«Protecteur de la Religion réformée» était un des qualificatifs du roi de Prusse devenu prince de Neuchâtel. Cela suscita les craintes des Landeronnais. Or, les Articles généraux souscrits par le souverain en 1707 entérinaient «la territorialité des religions», avec des clauses sur les lieux, les conversions et le prosélytisme. Ainsi, le prince et ses représentants (pas l’Etat!) devenaient «l’arbitre suprême en matière religieuse». La Compagnie des Pasteurs «entra dans une ère de conservatisme social», et s’abrita derrière l’ancien usage au point d’indisposer Frédéric II.

Selon la méthode choisie, l’exposé du discours des acteurs se poursuit pour la période de 1707 à 1754: la Vénérable Classe a des réflexes cléricaux, et la population du Landeron est à cheval sur le statu quo, avec l’appui des Soleurois et de l’évêque. Bref le pouvoir royal (et pas prussien!) et le Conseil d’Etat cherchèrent à limiter l’ingérence des deux confessions dans le domaine politique. En cas de transgression des jours de fêtes catholiques par des protestants, les Landeronnais, bien déterminés à maintenir leurs droits, s’arrangèrent cependant à témoigner leurs bonnes intentions. La pratique d’exorcismes par des ecclésiastiques catholiques à la demande de réformés suscita, bien entendu, la réaction de la Classe voyant là des pratiques superstitieuses. Elle s’inquiéta aussi de petits protestants scolarisés à Cressier. Quant au père Daguet, Capucin, qui s’était mêlé des affaires civiles du Landeron, il fut déplacé en 1726 par son ordre sur intervention du Conseil d’Etat, tandis que l’évêque de Lausanne conseillait aux bourgeois de demeurer tranquilles. Ce fut en définitive le Grand Frédéric qui régla un autre contentieux, en confirmant la pension due aux Capucins du lieu.

Sous le titre «le secret d’un statu quo», M. Léchot constate que la cohabitation confessionnelle fut possible parce que l’on créa «les moyens de gérer l’intolérance entre les ennemis d’autrefois». La vigilance de tous les acteurs en cause se manifesta par une «gestion prudente et tatillonne». Au «bilan», notons que la Réforme resta inachevée à cause d’une poche catholique, que la Contre-Réforme ne chercha pas une reconquête et que la Compagnie des Pasteurs se barricada derrière le statu quo en tournant le dos aux libertés individuelles. En résumé, au XVIe siècle, le pouvoir intervint au niveau des partis religieux. Au XVIIe, les affaires internes relevèrent du clergé, alors que les autorités se chargeaient de régler les accrocs à la paix confessionnelle. «Le renvoi des opinions religieuses au plan des idéaux privés et personnels» ne s’amorcera qu’au XVIIIe siècle. Dans cette brève revue finale, peut-être fallait-il ajouter que Neuchâtel fut rattaché au diocèse de Besançon entre 1806 et 1814. Cela éveilla des espoirs au Landeron et à Cressier; il y eut une tentative d’établir une chapelle catholique à Neuchâtel-ville. Le prince Alexandre Berthier, néanmoins, fit savoir: «Ma religion que je professe ne peut avoir jamais aucune espèce d’influence.»

Cette excellente étude détaillée, qui repose sur nombre de documents nouveaux, éclaire un pan jusqu’ici mal connu de l’histoire religieuse du canton. Elle répond certainement aussi à des questions posées à la société multiconfessionnelle d’aujourd’hui.

Citation:
Jean Courvoisier: Compte rendu de: Pierre-Olivier Léchot, De l’intolérance au compromis. La gestion d’une coexistence confessionnelle. Le Landeron, XVIe-XVIIIe siècle, Lausanne, Alphil, 2003. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 141-(1-2), 2004, p. 130-133.

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Veröffentlicht am
11.11.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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