J.-C. Lambelet u.a.: Des palmes académiques pour Benito Mussolini

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Titel
Des palmes académiques pour Benito Mussolini. Le doctorat honoris causa de l'Université de Lausanne décerné au Duce en 1937. Une interprétation.


Autor(en)
Lambelet, Jean-Christian; Robert, Olivier
Erschienen
Lausanne 2004: L'Age d'Homme
Anzahl Seiten
197 S.
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François Vallotton, Universität Bern Institut für Soziologie Lerchenweg 36 3000 Berne

Jean-Christian Lambelet, professeur honoraire en HEC de l’Université de Lausanne, s’est découvert depuis plusieurs années une vocation d’historien. On connaît ses critiques régulières et systématiques sur les travaux de la Commission Bergier. Un florilège a été réuni dans le volume Le mobbing d’un petit pays paru en 1999 et plus récemment dans l’ouvrage Wir ziehen Bilanz publié par différents membres du groupe « Histoire vécue ». Le 16 février 2006 paraissait encore dans la Weltwoche un article sur la politique suisse envers les réfugiés pendant la Seconde guerre mondiale. Au terme d’une interprétation souvent tronquée des chiffres avancés par la Commission, l’ancien professeur lausannois entend démontrer le caractère très généreux de la politique d’asile de l’époque tout en concluant que l’histoire est chose trop sérieuse pour qu’on la laissât aux seuls spécialistes.

C’est dans le même contexte et avec de semblables a priori que Jean-Christian Lambelet a publié en 2004 un volume intitulé Des palmes académiques pour Benito Mussolini. L’auteur souhaite y revenir sur un dossier qui a été au coeur des commémorations du 450ème anniversaire de l’alma mater lausannoise en 1987, afin de « tordre le cou », écrit-il, à l’image d’une « Université lausannoise fascisée, mentalement inféodée au régime mussolinien ». Pour ce faire, l’auteur prétend s’appuyer sur des sources soi-disant inédites – la copie d’une lettre d’Arnold Reymond au recteur Emile Golay sur l’historique de « l’affaire » ainsi que des carnets personnels du Conseiller d’Etat Maurice Bujard – qui permettraient de relire cet épisode sous un jour nouveau : « La clef de voûte de notre interprétation est que l’Université a été prise dans un piège, puis dans un engrenage, auxquels elle n’aurait pu échapper qu’au risque de créer un sérieux incident diplomatique, un risque plus ou moins grand, mais plus probablement grand que petit. » (p. 163)

Plus globalement, Lambelet voudrait pourfendre une vision idéologique du passé à laquelle auraient succombé à ses yeux tous les commentateurs de l’affaire jusque là. La polémique de 1987 est ainsi réduite à une instrumentalisation politique par une extrême gauche lausannoise en mal de publicité. On rappellera à cet égard que la question du doctorat honoris causa au Duce avait été soulevée dès 1975 par Claude Cantini – qualifié avec condescendance dans une note d’« infirmier psychiatrique de profession et historien à ses heures » – à l’occasion de ses recherches sur le fascisme à Lausanne : des investigations qui avaient amené Cantini à demander au rectorat l’accès à l’ensemble du dossier de l’affaire… Ce qui lui sera refusé. Ainsi, l’intérêt porté au doctorat honoris causa est lié à la curiosité d’un chercheur qui n’avait pu, faute d’avoir accès aux archives disponibles, intégrer pleinement l’analyse de cette affaire au résultat de son travail. Si la mobilisation de différentes personnalités n’avait pas eu lieu quelques années plus tard, tout porte à croire que l’ensemble de la question aurait été maintenue sous le boisseau et les archives soustraites longtemps encore à la discussion publique.

Toute l’interprétation de Lambelet repose donc sur la fameuse lettre d’Arnold Reymond au recteur Golay du 10 février 1937 : celui-là y fait état d’une fuite par laquelle Mussolini aurait appris, avant même que la décision ne soit formellement prise, que l’Université de Lausanne envisageait de lui attribuer une telle distinction. Une révélation qui aurait invité les autorités politiques cantonales d’abord (dans les premiers jours de novembre 1936), la Commission universitaire ensuite (2 décembre 1936), à ne pas prendre le risque de froisser le Duce… de peur de créer un incident diplomatique international.

Ce document, brandi comme un « scoop », ne présente, en réalité, rien qui ne soit déjà connu, puisqu’il avait été reproduit intégralement en 1998 par François Wisard dans son ouvrage L’université vaudoise d’une guerre à l’autre (p. 204-206) publié chez Payot. Toute la préface du livre veut ainsi faire accroire que l’ouvrage apporte des éléments nouveaux sur le plan documentaire : au vrai, il ne s’agit ici que d’un recyclage de sources connues de longue date, qu’il s’agisse des papiers du fonds Arnold Reymond ou de notes sur les délibérations du Conseil d’Etat prises par l’un de ses membres et publiées en 1994 par Maurice Meylan. L’idée d’une relecture de l’Affaire sur la base de sources nouvelles est donc fantaisiste, sinon mensongère.

L’interprétation donnée à la fameuse « fuite » ne résiste pas davantage à l’examen. En premier lieu, Lambelet se sert de cette interprétation pour relativiser le rôle d’Arnold Reymond qui aurait été en fait victime de sa « loyauté » académique vis-à-vis de Boninsegni. Si la correspondance du professeur de philosophie témoigne d’un certain nombre de scrupules rétrospectifs quant à son propre rôle dans le processus de nomination, on ne saurait occulter sa position ambiguë au sein de la Commission universitaire. Non seulement Reymond n’y fait pas mention de la fuite en question, mais il précise, le 2 décembre 1936, que si l’un des doyens devait éprouver le sentiment de pressions externes sur sa décision, il retirerait sa proposition. De même, la question de l’incident diplomatique est pour sa part encore moins crédible. Outre le fait qu’un tel « risque » n’a jamais été évoqué par les différents protagonistes, Lambelet ne démontre à aucun moment que Mussolini aurait pu sérieusement envisager des mesures de rétorsion (de quel type ?) à l’encontre de la Suisse sur la base de ce seul épisode. Le Duce ne pouvait d’ailleurs que se féliciter de la politique très conciliante des autorités helvétiques envers le fascisme, ce dont témoigne la position de Motta lors de la question éthiopienne et, dans l’épisode du doctorat honoris causa, l’attitude du ministre de Suisse à Rome Paul Ruegger.

La focalisation de l’analyse de l’auteur sur cette « fuite » contribue surtout à brouiller les pistes et à déplacer les véritables enjeux de l’affaire du doctorat honoris causa. Les marques de sympathie, voire d’admiration, d’une partie des élites politiques et économiques de Suisse romande envers le fascisme sont ainsi escamotées au profit d’une explication circonstancielle qui vise à déresponsabiliser les acteurs de cet épisode. Lambelet passe ainsi très vite sur l’attitude du chancelier de l’Université, Frank Olivier, qui rend hommage à Mussolini dans une étude sur Virgile en 1930 ; de même, l’attitude du recteur Golay, qui déplore seulement, dans une lettre à Reymond, que la décision n’ait pas été prise à l’unanimité, n’est pas commentée. Quant à la position du Conseil d’Etat, Lambelet n’est guère prolixe sur les options du patron de l’instruction publique vaudoise, Paul Perret – partisan de la première heure de la collation du grade – et sur l’aval donné par l’ancien conseiller fédéral Ernest Chuard. Relevons qu’aucune note de bas de page – pourtant généralement abondantes – ne précise ici que ces deux derniers protagonistes sont des membres du parti radical.

Après avoir nié les parti pris idéologiques de la Commission universitaire et du Conseil d’Etat, Lambelet change son fusil d’épaule pour emprunter un autre argumentaire afin de poursuivre son oeuvre de « disculpation » : on ne saurait jeter la pierre, de manière anachronique, aux autorités académiques et politiques de l’époque dans la mesure où le fascisme italien était alors considéré – avant le rapprochement avec Berlin et l’adoption d’une législation antisémite sur le modèle de l’Allemagne nazie – de manière positive par une très large majorité de la population lausannoise. Sur la seule base de l’analyse des lettres de protestation qui sont parvenues au rectorat à l’époque, Lambelet conclut de manière rapide et catégorique que les réactions au doctorat honoris causa ont été faibles à l’époque et, qui plus est, très modérées dans leur réprobation. Plusieurs travaux récents (mais la bibliographie de l’ouvrage, squelettique, n’en fait pas état) ont montré pourtant que l’antifascime était bel et bien présent dans la Suisse dans l’entre-deux-guerres, alimenté entre autres par les réseaux d’exilés italiens qui ont souvent séjourné ou transité par la Suisse. Par ailleurs, on rappellera que, le 1er septembre 1924, Paul Graber signe dans La Sentinelle un article intitulé « Dictature de brigands », suite à l’assassinat de Matteotti, qui dénonce le caractère totalitaire du régime ; des critiques qui seront largement reprises en 1937 dans le Droit du peuple sous la plume de Paul Golay.

C’est là où le livre de Lambelet prend son tour le plus contestable et tendancieux. Sous couvert de nous replonger dans les mentalités de l’époque, l’auteur nous dresse, dans les dernières pages de son ouvrage, le portrait d’un régime dont un observateur extérieur ne pouvait prévoir à l’époque les dérives futures. Vieille antienne du fascisme qui voit les trains partir toujours à l’heure… Lambelet mentionne certes le décalage existant entre l’appréciation du régime par certains contemporains et sa réalité liberticide ; on reste cependant confondu de lire sous sa plume les considérations suivantes : « Si Mussolini n’avait pas commis l’erreur fatale d’entrer dans la guerre le 10 juin 1940, croyant que l’Allemagne nazie l’avait gagnée définitivement – ou, plus généralement, s’il avait davantage gardé ses distances par rapport au Reich –, le régime fasciste aurait pu se terminer tout autrement. L’Italie, comme l’Espagne, serait alors restée neutre ou en tout cas ″non belligérante″ et Mussolini, comme Franco, serait peut-être mort dans son lit. Avec un peu de chance, une transition relativement paisible vers la démocratie aurait pu se faire tôt ou tard après la guerre, comme ce fut le cas en Espagne. » (p. 156-157) Les populations gazées lors de la campagne d’Ethiopie (1935-1936), ainsi que les milliers de victimes du fascisme et du franquisme apprécieront les leçons d’épistémologie historique du professeur lausannois…

L’interprétation de Lambelet s’inscrit donc dans la veine de nombreuses études qui, depuis quelques années, dans le contexte notamment du berlusconisme, conduisent, sous prétexte de relativisme historique, à une forme de réhabilitation du Duce et du fascisme lui-même. Si le présent ouvrage n’apporte rien de neuf sur l’affaire qu’il prétend décrire, il contribue aussi à entretenir cette brèche inquiétante par laquelle l’une des composantes des totalitarismes du xxe siècle trouve à être de plus en plus banalisée.

Citation:
François Vallotton: compte rendu de: Jean-Christian Lambelet, avec la collaboration d'Olivier Robert, Des palmes académiques pour Benito Mussolini. Le doctorat honoris causa de l'Université de Lausanne décerné au Duce en 1937. Une interprétation, Lausanne, L'Âge d'Homme, 2004, 197 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.357-359.

Redaktion
Veröffentlicht am
26.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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