S. Christe u.a.: Au foyer de l'inégalité

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Titel
Au foyer de l'inégalité: la division sexuelle du travail en Suisse pendant la crise des années 30 et la Deuxième Guerre mondiale.


Autor(en)
Christe, Sabine; Natchkova, Nora; Schick, Manon; Schoeni, Céline
Reihe
Histoire et sociétés contemporaines 24
Erschienen
Lausanne 2005: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
Preis
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Véronique Czaka

A l’origine de cet ouvrage, quatre mémoires de licence en histoire contemporaine soutenus à l’Université de Lausanne. Chacun traite d’un sujet lié à la place des femmes sur le marché de l’emploi en Suisse entre les années 1930 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dans le but d’assurer une plus grande cohérence à l’ouvrage, les mémoires, entièrement refondus, sont introduits par un état de la recherche sur la question et par un premier chapitre consacré à l’histoire du travail féminin en Suisse de 1888 à 1945.

Dans la contribution qui ouvre ce recueil, Céline Schoeni s’intéresse à la situation des institutrices mariées dans le Canton de Vaud. Ces dernières voient en effet à deux reprises durant les années 1930 leur droit à l’emploi menacé à l’occasion de révisions législatives. Ces attaques contre la légitimité de l’emploi des institutrices mariées s’inscrivent dans la lutte contre les doubles salaires qui, en cette période de crise économique, est menée aussi bien en Suisse que dans d’autres pays européens. L’auteure démontre très clairement que ce n’est pas seulement le droit au travail des institutrices mariées qui est visé, mais celui de l’ensemble des femmes, et que le rejet des articles de loi interdisant l’emploi d’institutrices mariées n’a pas empêché la précarisation de la position de l’ensemble du personnel enseignant féminin et la dégradation de ses conditions de travail. De plus, ce refus d’écarter les institutrices mariées de l’emploi n’a en aucune façon été une affirmation du droit au travail des femmes, mariées ou non. Ce droit, aujourd’hui encore ne semble toujours par être acquis, en raison de la persistance de la division sexuelle du travail entre tâche productive et reproductive, la première étant traditionnellement dévolue aux hommes et la seconde aux femmes.

Le second article, dû à la plume de Nora Natchkova, s’intéresse à la politique menée par le patronat face à la main-d’oeuvre féminine durant la Deuxième Guerre mondiale. Cette étude décrit avec force détails les différents moyens auxquels recourt le patronat pour assurer la poursuite de la production industrielle, tout en respectant la division sexuelle du travail et en préparant l’après-guerre. La peur est en effet grande, tant au niveau du patronat que des milieux politiques, de se trouver confronté à une situation de chômage masculin pouvant entraîner une situation de crise comparable à celle ayant suivi la Première Guerre mondiale. Les méthodes déployées pour assurer la production sont de natures variées : heures supplémentaires, demandes de dispenses pour les ouvriers qualifiés mobilisés, engagement de chômeurs, d’internés ou de femmes. Durant toute la période de la guerre, l’engagement de la main-d’oeuvre féminine est présentée comme exceptionnelle et tous les discours, qui se veulent rassurants, affirment que la fin du conflit verra le retour des femmes au foyer et celui des hommes à l’usine. Nora Natchkova cite même l’exemple d’entreprises ayant été jusqu’à organiser des cours pour former les ouvrières aux tâches ménagères afin de pouvoir plus facilement les réorienter vers des secteurs d’activités dit « féminins » à la fin des hostilités. Contrairement aux craintes exprimées au début de la guerre, la fin du conflit se caractérise en Suisse par une période économique florissante et des besoins en main-d’oeuvre croissants. Cependant, cette situation ne va pas favoriser l’embauche de Suissesses mais la venue de travailleurs étrangers des deux sexes, garantissant la pérennité des bas salaires pour les emplois considérés comme non qualifiés.

Manon Schick, dans la troisième étude, s’intéresse à la main-d’oeuvre féminine dans le secteur secondaire durant la Deuxième Guerre mondiale, à travers l’exemple des ouvrières de Paillard, entreprise vaudoise du secteur des machines. Après une première partie esquissant l’évolution de la part des salariées dans le secteur des machines au cours de la première moitié du xxe siècle, Manon Schick présente de manière détaillée la gestion sexuée de la main-d’oeuvre pendant la période de la Seconde Guerre mondiale et souligne le maintien de la division sexuelle du travail salarié durant et après la conflit. En effet, la maison Paillard, comme bien d’autres, n’a pas eu recours à l’engagement massif d’ouvriers supplémentaires durant les périodes de mobilisation, mais a préféré d’autres moyens, déjà présentés dans l’article de Nora Natchkova, tels que les demandes de dispenses, les heures supplémentaires ou encore la réaffectation du personnel selon les besoins de l’entreprise. S’il est vrai que Paillard engage des femmes pendant cette période, ce n’est pas tant pour remplacer des ouvriers mobilisés, que pour pourvoir des postes « féminins » nouvellement créés grâce à la rationalisation de la production, des emplois considérés comme peu qualifiés et faiblement rémunérés. Les conclusions auxquelles aboutit Manon Schick avec l’étude du cas de Paillard, viennent conforter celles plus générales de l’étude de Nora Natchkova.

Dans la quatrième contribution, Sabine Christe revient sur une revendication toujours d’actualité en ce début de xxie siècle : « A travail égal, salaire égal ». L’historienne montre de quelle manière, dans le domaine particulier de l’horlogerie et du cadran métal, cette revendication a été utilisée par le syndicat comme moyen de pression sur le patronat, pour voir aboutir d’autres revendications. Les deux conflits étudiés se situent dans des conjonctures très différentes puisque le premier mouvement se déclare à Bienne en mars 1937, dans le contexte de la crise économique des années 1930, tandis que le second se déclenche en novembre 1946, à Genève, soit dans l’immédiat après-guerre. Lors de ces deux conflits, la demande d’égalité salariale est accompagnée de deux autres revendications : une hausse des rémunérations, aussi bien masculines que féminines, et la mise en place de quotas pour la main-d’oeuvre féminine. L’auteure démontre de quelle manière la demande d’égalité salariale défendue par le syndicat sert à décourager l’engagement d’ouvrières et donc à protéger les emplois et salaires masculins.

Pour conclure, signalons encore la richesse des annexe présentant toute une série de précieuses données allant d’un tableau chronologique recensant les mesures prises contre le travail féminin en Suisse entre 1929 et 1939 aux salaires horaires dans l’industrie par branche et par catégorie d’ouvriers et d’ouvrières entre 1937 et 1948.

Cet ouvrage n’a pas la prétention d’offrir un tableau exhaustif de l’histoire de la main-d’oeuvre féminine sur le marché de l’emploi en Suisse, mais possède le grand mérite d’identifier les thématiques principales touchant le sujet des inégalités entre femmes et hommes en matière d’emploi. Les discours et les mécanismes à la base de ces inégalités, mis à jour par les quatre historiennes, nous intéressent d’autant plus qu’ils sont malheureusement toujours d’actualité.

Citation:
Véronique Czaka: compte rendu de: Sabine Christe, Nora Natachkova, Manon Schick, Céline Schoeni, Au foyer de l'inégalité: la division sexuelle du travail en Suisse pendant la crise des années 30 et la Deuxième Guerre mondiale: Editions Antipodes, 2005, Histoire et Société contemporaine 24. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.347-349.

Redaktion
Veröffentlicht am
25.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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