F. Vallotton: Livre et militantisme

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Titel
Livre et militantisme. La Cité éditeur 1958-1967.


Herausgeber
Vallotton, François
Reihe
Mémoire éditoriale 5
Erschienen
Lausanne 2007: Editions d'en bas
Anzahl Seiten
203 S.
Preis
URL
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Jérome Meizoz

Il faut saluer l’ampleur que prend, depuis bientôt dix ans, le travail de la Fondation Mémoire éditoriale qui, en plus de contribuer à la sauvegarde des archives de l’édition romande, publie ici son cinquième volume de travaux, après deux études sur l’histoire de l’édition romande, puis deux monographies consacrées l’une à l’Alliance culturelle romande et son animateur Weber-Perret, l’autre aux Éditions Rencontre (1950-1971). L’ouvrage, qui vient de paraître dans une collection publiée par les Éditions d’en bas, aborde le cas d’une maison sulfureuse par ses engagements politiques, La Cité éditeur, et ses activités entre 1958-1967.

Dans son introduction, l’historien François Vallotton parcourt le catalogue de la maison, dressé en fin de volume (pp. 179-182). L’acte de fondation est désormais lié à la grande histoire: en février 1958, le communiste Henri Alleg dénonce dans La Question la pratique de la torture militaire en Algérie française. Le livre est saisi par l’État français un mois après parution. À l’invitation de Jérôme Lindon, l’éditeur parisien du texte, Nils Andersson, suédois d’origine, né à Lausanne en 1933 et compagnon de route du Parti communiste, réédite ce texte dans sa ville natale, accompagné d’un texte de Sartre, «Une victoire», pour assurer sa circulation dans le monde francophone. La Cité, diffuseur en Suisse des Éditions de Minuit, de Pauvert et de l’Arche, entame une activité éditoriale militante largement focalisée à ses débuts sur l’actualité algérienne. Un engagement qui amènera Andersson à côtoyer un autre éditeur militant, François Maspero (auteur d’un passionnant témoignage en postface du volume, pp. 161-169) dont il diffuse les publications en Suisse.

En presque dix ans, La Cité publie 35 livres répartis principalement en deux types. Une part du catalogue développe les ouvrages littéraires (R. Menthonnex, J. Givet), le plus souvent théâtraux, avec une collection partenaire du Théâtre populaire romand qui s’est ouvert à La Chaux-de-Fonds (textes de B. Liègme, H. Debluë, mais on reprend aussi des classiques, Goldoni, Tchekhov, Gorki, Molière). Quelques pièces vont marquer le théâtre romand des années 1960, ainsi Force de loi (1959) d’Henri Debluë créé aux Faux Nez de Charles Apothéloz, Soldats de papier (1960) de Frank Jotterand, enfin Un Banquier sans visage (1964) de Walter Weideli. L’autre versant du catalogue, majoritaire, concerne des textes d’intervention politique liés à la cause tiersmondiste (algérienne, puis africaine), puis à des ouvrages maoïstes (Mao, Écrits philosophiques, 1963), sans oublier la participation de l’éditeur à diverses revues militantes (Partisans, African revolution).

Dans son article, Damien Carron examine le catalogue «algérien» de La Cité, et ses témoignages, comme La Gangrène (1959), Les Disparus (1959) cosigné par Jacques Vergès ou La Pacification (1960), qui reprend l’accusation de torture contre un certain lieutenant français, dénommé Jean-Marie Le Pen, lancée dans Résistance algérienne dès juin 1957. Par-delà son rôle éditorial, La Cité est alors le coeur des réseaux de soutien, en Suisse et ailleurs, à la cause indépendantiste.

Léonard Burnand aborde quant à lui le volet théâtral de La Cité et documente en détail le scandale culturel et politique qui secoua Genève lors de la première de la pièce satirique Un Banquier sans visage (1964) – inspirée du personnage historique de Necker – du dramaturge et traducteur W.Weideli. La polémique illustre les difficultés du théâtre de critique sociale et les heurts de la libre expression, dans un pays où des milliers de militants sont alors fichés par la Police fédérale, au nom de la sécurité de l’État. Enfin Pierre Jeanneret rend compte des publications prochinoises de La Cité et du nouveau paradigme politique qui émerge alors dans le débat militant, issu de l’affrontement des communismes russe et chinois. L’historien documente également le rôle de la jeunesse étudiante, en voie de politisation, qui se forme à la lecture de ces publications (MDE, Mouvement démocratique des étudiants fondé à l’Université de Lausanne en mars 1956).

En 1967, dans le climat très anticommuniste qui caractérise la Suisse de la guerre froide, le Conseil fédéral expulse Nils Andersson, malgré la vive protestation d’intellectuels de gauche, mais également d’un éditeur comme Bertil Galland, proche de la Ligue vaudoise. Ce départ signifie la fermeture de la maison lausannoise, dont le fonds sera repris par L’Âge d’Homme. Après l’Albanie et la Suède, Andersson vit aujourd’hui à Paris et n’a pas renoncé à l’action citoyenne, participant notamment au conseil scientifique d’ATTAC France. En 2004, il a publié dans la revue parisienne Mouvements un article très documenté sur (et contre) le populisme de droite d’un certain Christoph Blocher 1).

Dans la foulée de cet important volume, qui touche à des moments cruciaux des engagements citoyens en Suisse romande, Éric Burnand a réalisé au printemps 2007 un documentaire de la Télévision suisse romande qui retrace une trajectoire emblématique du contexte militant de cette période. La conviction anticolonialiste et anticapitaliste d’Andersson demeure intacte, malgré la révolution conservatrice en cours, et ce récent témoignage fournira un vivant complément à ce volume d’études.

1) Nils Andersson, «Face à une Suisse populiste et passéiste», Mouvements, N° 32, 2004, pp. 141-147.

Citation:
Jérôme Meizoz: compte rendu de: François Vallotton (dir.), avec des articles de Léonard Burnand, Damien Carron, Pierre Jeanneret, Livre et militantisme. La Cité éditeur 1958-1967, postface de François Maspero, Lausanne: Éd. d’en bas, Mémoire éditoriale 5, 2007, 203 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 116, 2008, p.289-290.

Redaktion
Veröffentlicht am
16.04.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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