K.-J. Hölkeskamp: Roman Republican Reflections

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Titel
Roman Republican Reflections. Studies in Politics, Power, and Pageantry


Autor(en)
Hölkeskamp, Karl-Joachim
Erschienen
Stuttgart 2020: Franz Steiner Verlag
Anzahl Seiten
274 S.
Preis
€ 58,00
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Cyril Courrier, Aix-Marseille Université

Depuis 1984 et la publication par Fergus Millar d’un article significativement intitulé „The Political Character of the Classical Roman Republic“1, les études sur le fonctionnement de la République romaine n’ont cessé de se multiplier. En réaction aux excès de la méthode prosopographique, qui avait fait de ce régime une aristocratie aux mains de quelques familles, Millar avait introduit la notion de „démocratie“ pour étayer l’idée que la République n’était pas oligarchique et qu’elle reposait au contraire sur la souveraineté du populus. Cependant, sa thèse fut loin de faire l’unanimité. Elle donna même lieu à d’innombrables discussions et contestations, dont le résultat fut de déplacer l’analyse vers le terrain des pratiques et la notion de „culture politique“. Or, de cette trajectoire historiographique, Karl-Joachim Hölkeskamp (désormais H.) ne fut assurément pas le moindre acteur, comme le montre l’ouvrage ici recensé.

En effet, ce livre, qui n’est pas constitué de recherches inédites mais se compose de sept articles parus entre 2001 et 20202, montre combien leur auteur a contribué comme aucun autre au renouvellement des études sur le sujet. Seule l’introduction („The politics of Elitism. The Roman Republic – then and now“, pp. 13–29) est inédite. Elle se présente comme un panorama historiographique (ensuite repris dans le chap. 2, qui est la recension par H. en 2001 de la traduction en anglais du livre de Friedrich Münzer parue en 19993), qui conduit le lecteur depuis la publication de l’ouvrage classique de Matthias Gelzer en 19124 jusqu’aux études les plus récentes, en passant par Millar, ses épigones et ses critiques. Par sa clarté, cette introduction, à laquelle il faut associer une impressionnante bibliographie de fin de volume (pp. 214–263), sera extrêmement utile car H., qui a tout lu ou presque, y livre une sorte de guide d’intelligibilité de la recherche actuelle sur la République, qu’il classe en 21 voies nouvellement ouvertes et pour chacune desquelles il donne les références indispensables à de futurs approfondissements.

Cette introduction donne aussi une idée précise de ce qui constitue le cœur des travaux de H. lui-même et, surtout, la raison d’être des articles ainsi rassemblés. À l’exception du chap. 2, justement destiné à montrer que l’on n’a plus besoin de Münzer, tous portent sur l’autoreprésentation des élites et les modes d’expression de celle-ci, autrement dit sur la dimension cérémonielle de la vie publique. Adaptant des concepts empruntés à l’anthropologue Clifford Geertz5, H. se propose d’analyser la culture politique romaine comme une culture de spectacles, aussi bien dans le sens concret du terme que dans son acception métaphorique, comme un système communicatif unissant le populus Romanus à ses élites en compétition pour les honores, comme un ensemble de rituels de domination (la laudatio funebris, le triomphe…) générant et régénérant une idéologie civique particulière dans le cadre d’une cité-État dont la configuration favorisait l’interaction et la communication directe. Selon H., le pouvoir était aux mains des élites (largement réduites aux nobiles), mais il ne devenait réel que si et lorsqu’il était mis en scène. Autrement dit, le symbole était „performatif“.

L’éventail des thèmes abordés pour le montrer est plutôt ciblé : le rôle des consuls dans la mise en scène du pouvoir et des hiérarchies (chap. 3), l’autopromotion comme stratégie rhétorique (chap. 4), la mise en scène de la victoire dans la Ville comme expression d’une idéologie méritocratique nobiliaire où le succès militaire et politique justifiait l’obtention de récompenses et l’exposition de celles-ci (chap. 5), l’omniprésence quasi vivante du passé, proche ou lointain, dans la mémoire collective et son exploitation (sa fabrication?) par l’aristocratie dans l’espace urbain (ce que H. appelle aussi dans le chap. 7 la „dynamic re-present-ation [sic] in and through spaces“, p. 165). Une attention particulière (chap. 7, sur les Marcii, et 8, sur les Scipions) est accordée à l’„intersignification“ (notion récemment forgée par Matt Roller6), i.e. aux jeux d’intertextualité entre monuments „honorifiques“ (temples, portiques, statues, arcs…) et donc aux phénomènes d’adaptation, de modification et d’appropriation du passé qui traduisaient, dans l’espace urbain, des valeurs et des normes aristocratiques dont l’exposition assurait, selon H., le renouvellement du système et renforçait la légitimité de ceux qui prétendaient en être les héritiers. H. étend l’interconnexion (le „web of significance“ de Geertz) à l’ensemble des moyens de communication (rituels, rhétorique, monuments) et montre son rôle dans la construction de l’autorité et du prestige aristocratiques. L’ensemble est très cohérent et les chapitres étroitement reliés les uns aux autres, au risque, toutefois, de nombreuses, et parfois lassantes, répétitions. De même, si la problématique est parfaitement tenue, le style, marqué par le recours répété aux mêmes jeux de mots (e.g. „monu-mentality“, „(hi )story“, „memory-scape“) destinés à expliciter la complexité des phénomènes étudiés, ne rend pas toujours le propos facile à suivre.

La lecture de cet ouvrage est-elle pour autant indispensable? La réponse à cette question dépend peut-être du lectorat ciblé par l’éditeur. La première publication de la quasi-totalité de ces articles, qui plus est dans des ouvrages collectifs extrêmement bien diffusés, est de datation très récente (entre 2010 et 2020). Naturellement, ces contributions ont été, si ce n’est réécrites, du moins révisées, et surtout systématiquement mises à jour. Cependant, ce travail de réécriture ne paraît pas avoir été de nature à en bouleverser l’économie générale. Par exemple, dans le chap. 6, une place a été faite, dans la version "β", à l’existence d’une mémoire propre à la plèbe de la cité (p. 115). Toutefois, cette place est réduite à la portion congrue, si bien que la mémoire collective de la Ville demeure exclusivement assimilée, comme dans la version "α", à une mémoire nobiliaire.

De manière plus générale, la réédition des articles n’a pas permis de donner au peuple de Rome la place qu’une partie de l’historiographie récente, pourtant mentionnée parmi les pistes de renouvellement de l’introduction, semble aujourd’hui lui reconnaître. Sans faire des plébéiens des spectateurs passifs de la vie politique (ils sont décrits comme „co-acting“, p. 48, ou comme „(spect)a(c)tors“, p. 50), H. n’en conclut pas moins à une asymétrie structurelle et à une complicité générée par cette "co-presence" qui aurait abouti à l’obéissance du peuple (p. 96). À rebours de cette vision descendante, Cristina Rosillo-López, Pascal Montlahuc, l’auteur des présentes lignes et d’autres ont essayé de montrer que "l’obéissance" n’était certainement pas garantie par la répétition, même renouvelée, de rituels de domination et que les plébéiens étaient capables de filtrer le message hiérarchique au prisme de valeurs qui n’appartenaient qu’à eux. Si H. cite tout (ce qui est fort utile), il n’intègre pas toujours à l’analyse ou, à tout le moins, à la discussion, certaines des tendances actuelles de la recherche.

Sur une question, toutefois, j’ai pu repérer une faille dans la mise à jour des connaissances. Pour analyser „la spatialité de la mémoire“ romaine, H. a fait appel à la topographie, notamment celle du Forum, et donc au tracé de la voie Sacrée, dont il situe, plutôt approximativement, l’extrémité Est au niveau de la Regia (p. 145, 193). D’une part et techniquement, la Regia en constituait plutôt la limite Ouest, quoique Filippo Coarelli ait de longue date montré que „almeno nell’imaginario mitistorico […] la più antica Sacra uia attraversava la piazza, giungendo ai piedi dell’Arx“.7 D’autre part et surtout, la „découverte“ en 1999 d’un texte de Galien, en réalité une indication du médecin jusqu’alors passée inaperçue (De methodo medendi, 13, 22, X, p. 942 Kuehn), à laquelle est venue s’ajouter, l’année suivante, la mise au jour de fragments des fastes de Privernum attestant la position in Palatio du temple de Jupiter Stator (il faut donc corriger la n. 105, p. 192), a montré que l’extrémité Est de la Sacra uia ne devait plus être située à hauteur de la basilique de Maxence, mais au niveau du temple de Vénus et de Rome et de l’arc de Titus. Sur ce point, on ne peut donc plus s’en tenir à la lecture „coarellienne“, abandonnée par Coarelli lui-même.8 Enfin, H. reprend à son compte des travaux récents de Susanne Muth, selon laquelle la voie Sacrée aurait, avant l’intervention augustéenne, traversé le Forum par le Sud et longé l’aedes Vestae, le temple des Dioscures et la basilica Iulia (p. 190). Comme Coarelli l’a depuis longtemps montré, cette thèse, en réalité très ancienne, doit être écartée. Le prolongement de la Sacra uia à travers le Forum empruntait depuis l’origine le parcours Nord, le long de la basilica Aemilia, jusqu’au Comitium puis l’Arx.9

Cette question de topographie mise à part, l’ouvrage de H. est très bien informé. Il offre à cet égard un bilan historiographique complet sur la vie politique à l’époque républicaine, mais sans toujours s’ouvrir lui-même aux nouvelles pistes. De ce fait, il sera plus utile à celles et ceux qui ne connaissent pas déjà ses travaux. Pour les autres, il servira plutôt de point de départ bibliographique.

Notes:
1 Fergus Millar, The Political Character of the Classical Roman Republic, 200–151 B. C., in JRS 74 (1984), pp. 1–19.
2 Il s’agit du troisième recueil d’articles que H. fait paraître chez F. Steiner après Senatus Populusque Romanus. Die politische Kultur der Republik – Dimensionen und Deuntungen (2004) et Libera Res Publica. Die politische Kultur des antiken Rom – Positionen und Perspektiven (2017).
3 Friedrich Münzer, Roman Aristocratic Parties and Families, Baltimore 1999 (1re éd., Stuttgart 1920).
4 Matthias Gelzer, Die Nobilität der römischen Republik, Leipzig 1912.
5 Clifford Geertz, The Interpretations of Cultures. Selected Essays, New York 1973.
6 Matt B. Roller, On the Intersignification of Monuments in Augustan Rome, in AJPh 134 (2013), pp. 119–131.
7 Le débat a été récemment repris par Filippo Coarelli dans Il Foro romano, III, Da Augusto al tardo impero, Rome 2020, pp. 10–15.
8 Pour un récent état des lieux, voir Domenico Palombi, Review Article. New Studies on the Palatine in Rome, in BABESCH 96 (2021), pp. 233–239, ici p. 237 et n. 17–19.
9 En dernier lieu, voir Coarelli, Il Foro romano, III, pp. 15–16.

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