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Neuere Geschichte

B. Extermann: Une langue étrangère et nationale

 

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Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 262-264.
Autor(en):
Titel:Une langue étrangère et nationale. Histoire de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande (1790-1940)
Ort:Neuchâtel
Verlag:Éditions Alphil
Jahr:
ISBN:978-2-940489-48-0
Umfang/Preis:479 S.

Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nathalie Dahn-Singh, Section d'histoire, Universität Lausanne
E-Mail: <Nathalie.Dahn-Singhunil.ch>

Comment l’allemand, encore balbutiant durant les premières décennies du XIXe siècle, s’érigea-t-il en moins d’un siècle en une discipline scolaire fermement établie dans l’espace suisse romand? Quelle part prirent les maîtres d’allemand à cette construction? Interrogeant le rapport qu’entretinrent, au sein de cette évolution, la disciplinarisation de la matière scolaire d’une part et, d’autre part, la professionnalisation de ses enseignants, Blaise Extermann retrace l’histoire d’une discipline souvent qualifiée de «mal-aimée» en Suisse romande, de l’Ancien Régime à la Seconde Guerre mondiale. L’imposante synthèse qui en résulte, tirée de la thèse de doctorat de l’auteur, se distancie d’une tradition historiographique attachée à la nette séparation des milieux académique et scolaire (où l’école adapterait servilement le «savoir expert» de référence), en revalorisant la liberté des enseignants et leur rôle dans l’élaboration de leur discipline. Procédant à une comparaison entre cantons romands, l’ouvrage comble une lacune dans l’historiographie, déjà riche du côté de la France (voir notamment M. Espagne et M. Werner, M. Mombert, J. Brethomé, E. Rothmund) ; il a en effet le mérite de décloisonner un objet de recherche jusqu’ici circonscrit en Suisse aux frontières cantonales, et qui, de par sa nature même, représente un terrain fécond pour l’étude des transferts culturels entre régions germanophones et francophones au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Pour aborder un questionnement aussi vaste, Blaise Extermann a dépouillé un corpus de sources important : lois scolaires, comptes rendus des Conseils d’État cantonaux et Bulletins des différents organes législatifs, procès-verbaux (de conférences des maîtres et de diverses commissions), rapports et correspondances, mais aussi les programmes des cours d’allemand de 1839 à 1940 pour les écoles secondaires étudiées (l’auteur les a recensés dans une base de données forte de 2400 fiches), et autres journaux, mémoires, pamphlets ou essais sur l’enseignement des langues vivantes. L’auteur a ainsi identifié, grâce à leurs candidatures ou à des articles nécrologiques, 638 professeurs qui enseignèrent l’allemand durant la période étudiée en Suisse romande. L’ouvrage est structuré en trois parties: tout d’abord, les professeurs d’allemand en regard du développement de l’allemand langue étrangère à l’école (partie chronologique, de 1790-1940), puis leur formation professionnelle et l’évolution de l’allemand et de la pédagogie dans le milieu académique et, enfin, la construction de l’allemand comme discipline.

Identifiant dans la première partie trois périodes principales, l’auteur retrace le parcours de l’allemand qui se situe d’abord «au seuil » de l’école avec des échanges linguistiques et se limitant à l’enseignement privé (1790-1840), avant de rejoindre les plans d’études sous l’impulsion notamment des communautés germanophones de Suisse romande et des radicaux. Surtout allemands, puis alémaniques, les maîtres seront francophones dès 1890. À compter de cette date, l’allemand s’installe d’ailleurs comme discipline et l’enseignement de cette langue s’érige en profession faisant l’objet d’un enseignement pédagogique spécifique. L’auteur montre surtout le contexte dans lequel évolue l’allemand langue étrangère, enjeu de taille au sein des ruptures politiques successives qui menacent l’unité nationale; il tient compte notamment de l’évolution de la dialectologie (et de la question du suisse allemand) ou des débats pédagogiques auxquels participent les maîtres (entre méthode directe, axée sur la maîtrise écrite et orale de la langue et méthode grammaticale, tournée vers la culture écrite et la traduction héritée des langues anciennes), et montre efficacement l’implication des maîtres (auteurs de manuels scolaires) dans la construction de leur discipline.

La deuxième partie ouvre la perspective sur l’évolution des disciplines académiques «de référence» (la Germanistik et les sciences de l’éducation), problématisant les rapports multidirectionnels entre université et école secondaire via les axes de la disciplinarisation et la professionnalisation: la profession se développe et recourt (c’est là une «seconde» disciplinarisation) toujours plus aux disciplines académiques. Quant à la Germanistik, Blaise Extermann montre que si l’enseignement de l’allemand n’en tire pas ses origines, celleci nourrit la profession de maître d’allemand, qui, à son tour, confère une légitimité à l’existence de la discipline académique. La troisième partie de l’ouvrage se situe en continuité, puisqu’elle analyse les domaines de la didactique de l’allemand que sont l’expression orale, la grammaire et la littérature, postulant notamment un renouveau de la culture écrite durant la seconde partie du XIXe siècle dans lequel les livres de lecture et les chrestomathies ont la part belle. L’ouvrage est enfin enrichi de portraits de groupes d’enseignants rassemblés sous un thème commun: les réfugiés allemands enseignants, ou encore la profession des premiers maîtres d’allemand, «ecclésiastiques, chantres et scientifiques».

Ambitionnant une histoire institutionnelle totale, sur un siècle et demi, Une langue étrangère et nationale n’évite pas quelques écueils. Celui, pour commencer, d’une longue présentation de tendances générales, certes non dénuée de finesse, mais qui s’appuie paradoxalement sur la référence à d’innombrables professeurs et acteurs divers, notamment sous la forme de ces «portraits collectifs caractéristiques pour les différentes périodes et pour les thèmes abordés». Paraissant mis côte à côte principalement pour apporter leur pierre à la construction d’un édifice ordonné et cohérent, ces acteurs historiques peinent à faire entendre leur voix. On regrettera en outre que les problématiques des deux dernières parties soient présentées en regard de la seule institution scolaire, ce qui les déconnecte du contexte politique et social plus large; par exemple, pour l’analyse des programmes d’allemand, on aurait aimé connaître les débats politiques autour des manuels. Enfin, l’analyse des transferts culturels, axée principalement sur l’impact des idées pédagogiques allemandes en Suisse, aurait pu être mieux explicitée: selon quelles modalités les auteurs suisses adaptent le modèle allemand), quelle est l’influence de l’espace français? Le fondement scientifique du choix de l’allemand (plutôt que celui d’une autre discipline) aurait également mérité un commentaire.

Ceci dit, lorsqu’il s’offre la possibilité d’approfondir les points de vue, l’auteur produit de très belles pages, par exemple sur la crise de 1918 à Genève. Initiée par les étudiants inspirés par les nouveaux élans de la pédagogie qui se développent sous la houlette d’Édouard Claparède et dans le milieu enseignant du professeur de pédagogie Albert Malche, cette crise voit des positions taxées d’intellectualistes ou d’encyclopédistes, alors que les étudiants critiquent à grand renfort de pamphlets un enseignement superficiel de l’allemand se cantonnant aux noms des poètes importants. Les portraits aussi fournissent, ici et là, une analyse fouillée et passionnante (comme c’est le cas pour des femmes enseignantes, dont l’auteur montre avec subtilité la participation à l’élaboration du savoir des maîtres d’allemand, longtemps axé pour l’enseignement féminin sur son seul utilitarisme). La troisième partie est à cet égard la plus réussie: outre la présentation d’une analyse quantitative détaillée des programmes scolaires, elle interroge les sources sous des angles novateurs et originaux, comme en témoigne l’analyse du débat sur l’écriture gothique dont l’importance jusqu’ici sousestimée illustre la complexité, pour l’auteur, de la lente construction d’une discipline scolaire. Ainsi, avec ce riche ouvrage, s’appuyant sur une documentation immense et bien maîtrisée, Blaise Extermann fournit également des pistes fructueuses pour de futurs travaux sur l’enseignement de l’allemand langue étrangère, et notamment concernant les pratiques scolaires, encore méconnues.

Zitierweise Nathalie Dahn: Rezension zu: Blaise Extermann, Une langue étrangère et nationale: histoire de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande (1790-1940), Neuchâtel: Alphil, 2013. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 262-264. <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/infoclio/id=29476>
 
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