M. Caillat: L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert

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Titel
L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert. Organisation interne, réseaux et action d’une internationale antimarxiste 1924–1950


Autor(en)
Caillat, Michel
Erschienen
Lausanne 2016: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
782 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Alain Clavien, Institut de journalisme, Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel

Créée en 1924 par l’avocat genevois Théodore Aubert et par le docteur Georges Lodygensky, délégué de l’ancienne Croix-Rouge impériale russe, soutenus par plusieurs personnalités conservatrices locales, l’Entente internationale anticommuniste (EIA) se veut une organisation de combat contre la IIIe Internationale. Dirigée par un Bureau permanent basé à Genève, elle se fixe pour objectif de recueillir le maximum d’information sur le Komintern et l’URSS et de la faire circuler via des centres nationaux antibolchéviques affiliés, dans le but de débusquer et de dénoncer l’activité subversive communiste en lui opposant les principes d’ordre, de famille, de propriété et de patrie. Le Komintern offre un modèle organisationnel dont l’EIA s’inspire en partie. Cette dernière tentera, sans grand succès, de mettre sur pied des sections auxiliaires spécialisées (section de jeunesse, section féminine ou Institut antimarxiste, etc.), mais l’organisation genevoise entend toutefois mener un travail d’information discret: plutôt que de s’adresser aux foules, il s’agit d’atteindre des élites qu’il faut convaincre de la noirceur foncière du communisme — mais n’en étaient-elles pas déjà convaincues?

Longtemps négligée par les historiens, l’EIA a laissé des archives considérables qui ont déjà nourri des recherches ciblées, comme la belle thèse de Stéphanie Roulin consacrée à un satellite de l’EIA, le comité Pro Deo. Michel Caillat a travaillé longuement et méticuleusement sur cet immense fonds pour donner une histoire définitive de l’Entente. Bâtie chronologiquement, sa thèse est divisée en quatre parties d’inégale longueur, portant sur le parcours du fondateur Théodore Aubert, sur les modalités organisationnelles de l’Entente ensuite, puis sur ses actions avant 1939, pour conclure sur la période de la Seconde Guerre mondiale.

L’auteur chronique ainsi l’histoire complexe, faite d’engagements multiples et parfois brouillons, d’échecs nombreux et de quelques réussites, d’un mouvement qui, malgré ses prétentions mondiales, repose sur des bases essentiellement genevoises: les liens avec la Suisse alémanique sont lâches, comme le montrent le financement du mouvement (pp. 215 ss.) ou ses soutiens médiatiques — Caillat cite à plusieurs reprises le Journal de Genève, parfois la Gazette de Lausanne, mais aucun grand titre alémanique — et la constitution du réseau international reste problématique: «Les résultats pratiques des démarches poursuivies sans relâche par le Bureau permanent pour établir des relais stables de son action dans les différents Etats européens sont, quant à eux, très inégaux. Très peu de centres nationaux ont finalement vu le jour selon le modèle préconisé par Aubert. Et quand cela a été le cas, leurs existence a été compromise par des modifications intervenues dans la situation politique ou par des rivalités personnelles.» (p. 186) L’Entente compense en partie cet échec en tablant sur les rapports personnels noués par ses dirigeants au fil de leurs voyages et conférences, des contacts de qualités diverses, intéressants pour certains, marginaux et isolés dans leur propre pays pour d’autres.

L’action de l’Entente se manifeste avant tout par la distribution d’innombrables brochures et autres articles de presse qui doivent démontrer le caractère multiforme et pervers du complot communiste diabolique ourdi à Moscou et relayé par les tentacules du Kominform. Le lobbying politique et la délation complètent ce répertoire d’actions destinées à des élites jugées trop molles voire naïves face une propagande insinuante. Mais la «contre-propagande» ainsi diffusée est souvent grossière, relevant d’une logique complotiste délirante, l’auteur le relève à raison à plusieurs reprises. Même les milieux les plus anticommunistes, comme le Journal de Genève des années trente, se montrent parfois irrités par l’obsession de l’Entente, et plus encore par la mauvaise qualité de ses informations. Ces réticences sont inaudibles par Aubert et ses amis. Au fil des pages, le lecteur est frappé par le décalage entre l’ambition affichée par l’Entente et la relative modestie des résultats, même si les principaux animateurs du mouvement, très actifs, aiment à se gargariser de l’importance décisive de leurs actions — en 1932, Aubert déclare ainsi que son mouvement est «maintenant assez puissant pour que le gouvernement soviétique et la IIIe Internationale le considèrent comme un de leurs principaux adversaires» (p. 438)!

La guerre contraint l’EIA à concentrer son activité sur la Suisse. De multiples contacts sont pris, notamment avec le colonel Masson qui dirige le Service de renseignement de l’armée. Aubert et ses amis ne se lassent pas de peindre le diable communiste sur la muraille: alors que les organisations communistes sont interdites, ils craignent une accroissement du danger révolutionnaire du fait de l’activité désormais clandestine des meneurs communistes, alors que leurs correspondants dans les milieux industriels les assurent du calme régnant dans leurs usines, ils annoncent une recrudescence de l’activité subversive. S’ils se réjouissent de l’attaque allemande contre l’URSS, ils sont stupéfaits par la résistance russe et par les victoires de l’Armée rouge. L’EIA radicalise encore son discours, mais ses mises en garde véhémentes et autistes sur «la révolution qui vient» finissent par la discréditer dans les milieux mêmes qui l’avaient soutenue.

Caillat offre une description détaillée et érudite toute cette activité, précieuse d’autant plus que le livre dispose d’un index et d’une galerie de notices biographiques, ce qui en fait un instrument de travail qui rendra de grands services. La richesse documentaire de cette somme n’empêche toutefois pas quelques réticences d’ordre méthodologique. L’auteur est très proche de ses sources au point qu’il semble parfois, étonnamment, accorder beaucoup de crédit aux rapports du Bureau permanent dont la fiabilité de jugement aurait pu être plus systématiquement questionnée. Par ailleurs, l’ouvrage est rédigé dans une perspective très positiviste, avec l’ambition de rendre compte le plus précisément possible de l’histoire de l’EIA. Le lecteur est dès lors noyé sous le détail d’une documentation qui aurait gagné à être mieux hiérarchisée. Enfin, la focalisation sur la seule EIA et l’absence de comparaison avec d’autres organisations anticommunistes de l’époque, et elles ne manquent pas, rendent difficile une appréciation de l’influence réelle de l’EIA. L’auteur l’évoque dans une conclusion courte et prudente. L’anticommunisme virulent des élites helvétique est un fait connu qu’il souligne, mais dans quelle mesure l’Entente l’a-t-elle forgé ou renforcé, dans quelle mesure l’a-t-elle simplement accompagné, la question reste ouverte.

Zitierweise:
Alain Clavien: Rezension zu: Michel Caillat, L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert. Organisation interne, réseaux et action d’une internationale antimarxiste 1924–1950, Lausanne: Société d’histoire de la Suisse romande, 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 67 Nr. 2, 2017, S. 265-266.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 67 Nr. 2, 2017, S. 265-266.

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