V. Mettral Dubois: L’oeuvre politique de James Fazy

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Titel
L’oeuvre politique de James Fazy (1794–1878) et son apport à l’avènement des droits fondamentaux à Genève.


Autor(en)
Mettral Dubois, Véronique
Reihe
Sources doctrinales et contexte historique
Erschienen
Genève 2015: Schulthess
Anzahl Seiten
384 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Lescaze Bernard

James Fazy est souvent considéré comme le fondateur de la Genève moderne, dont il a bouleversé les institutions politiques et sociales, les structures économiques et sociales comme la morphologie urbaine. Il n’existe pourtant pas de biographie récente de cet homme d’Etat pas plus que d’études approfondies sur sa pensée politique alors même que son héritage a longtemps pesé sur le canton de Genève et que la constitution de 1847, dont il a été le principal sinon l’unique rédacteur, a duré 166 ans. L’ouvrage de Véronique Mettral Dubois se veut donc une tentative ambitieuse de combler une lacune. A ce titre déjà, il est méritoire même si le résultat peut paraître décevant parfois. Polygraphe, James Fazy a laissé plusieurs ouvrages, des brochures économiques, un Précis d’histoire de Genève, un cours de droit constitutionnel et même une pièce de théâtre La mort de Lévrier (1826) sur un héros de l’indépendance genevoise au XVIe siècle, interdite sous la Restauration. Mais pour découvrir le penseur politique, il faut surtout relire ses articles, publiés dans les nombreux journaux et périodiques qu’il a contribué, seul ou avec des amis, à fonder, tels le Républicain, le Journal de Genève, la Révolution de 1830, le Pour et le Contre, l’Europe centrale ou la Revue de Genève. De même, les rapports déposés à l’appui de divers projets de loi au Grand Conseil de Genève, dont il fut membre quasiment sans interruption de 1846 à 1878, et surtout ses interventions innombrables sur toutes sortes de sujets constituent une source de premier ordre. Sa correspondance, certes lacunaire et éparse, offre également matière à documenter la philosophie de son action. Ces documents ne semblent pas avoir été toujours exploités à fond. On peut aussi s’étonner de l’absence presque complète d’autres figures radicales avec ou contre lesquelles s’est construite l’oeuvre politique de James Fazy, à l’exception d’Antoine Carteret qui devint rapidement l’un de ses adversaires au sein des radicaux. C’est ainsi qu’Elie Ducommun, secrétaire et collaborateur de Fazy, plus tard chancelier d’Etat et destinataire du Prix Nobel de la paix, n’est pas cité une seul fois.

L’ouvrage est clairement structuré. Dans une première partie, l’auteure, après avoir esquissé à grands traits la biographie de Fazy, étudie son oeuvres politique en France, sous la Restauration, à Genève ensuite ainsi que son influence sur la Constitution fédérale de 1848. On peut comprendre le parti de l’auteure. La «période française» voit un Fazy libéral, hostile à la monarchie, foncièrement républicain et partisan du libre-échange. Ce républicanisme l’empêchera de faire carrière sous la monarchie de Juillet, malgré ses liens avec La Fayette et Casimir Périer. La section consacrée à l’oeuvre politique de Fazy à Genève est centrée sur l’analyse des constitutions de 1814 (où Fazy, âgé de 20 ans, n’est pas intervenu), de 1842 et de 1847, celle-là introduisant les principes fondateurs, comme le suffrage universel et la souveraineté du peuple, repris par celle-ci. Enfin, son rôle dans l’élaboration de la Constitution suisse de 1848 permet d’apprécier son attitude plus fédéraliste qu’unitariste, imprégné qu’il est du système américain, peut-être par ses discussions avec La Fayette, certainement par la lecture de Tocqueville, en faveur du bicaméralisme. Dans une seconde partie, l’auteure étudie le rôle de James Fazy dans l’établissement des droits fondamentaux à Genève. En fait, l’auteure a choisi de ne s’intéresser qu’à certains d’entre eux, comme la souveraineté populaire et certains droits politiques et sociaux, tels la liberté de la presse, la liberté religieuse ou le droit à l’assistance sociale et médicale. En revanche, l’auteure a renoncé à traiter certains thèmes comme la liberté individuelle, la garantie de la propriété, la liberté d’établissement ou celle de commerce et d’industrie, sans expliciter son choix. On doit le déplorer car l’exercice de certains droits fondamentaux éclairent singulièrement la politique fazyste. Par exemple, le droit d’asile, dans sa conception comme dans sa pratique explique les conflits que son usage entraîne tant avec la Confédération qu’avec certaines puissances étrangères. Quant à la liberté de commerce et d’industrie, son application ira jusqu’à la suppression du monopole des avocats en 1851, pour ne pas parler de la garantie de la propriété qui n’empêchera pas la nationalisation du Musée Rath et l’expulsion de la Société des Arts. Au fond, l’auteure se passionne davantage pour les textes juridiques que pour leur mise en pratique. A juste titre, elle remarque que les droits politiques n’incluent ni le référendum ni le droit d’initiative sans souligner que ces deux instruments de démocratie semi-directe s’opposent au régime démocratique radical conçu comme une démocratie représentative, dans laquelle le peuple choisit ses représentants à l’exécutif et au législatif, à intervalles réguliers, sans autre intervention. En corollaire, très logiquement, James Fazy fait adopter l’élection du Conseil d’Etat par le peuple, chose unique en Suisse à cette époque, alors que certains cantons conserveront jusqu’au premier quart du XXe siècle l’élection du gouvernement cantonal par le Grand Conseil. Cette conception explique aussi pourquoi le leader radical s’est toujours montré favorable à l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Faut-il rappeler que, dès 1847, l’initiative des lois appartient tant au Grand Conseil qu’au Conseil d’Etat, ce qui constitue aussi une exception parmi les cantons suisses.

On doit regretter, surtout dans une thèse, quelques erreurs factuelles, d’autant plus regrettables qu’elles auraient pu facilement être évitées. James Fazy n’a jamais été veuf (p. 149) et certains conservateurs se sont tristement fait remarquer lors de l’octroi d’une pension à sa veuve. Carl Vogt n’a jamais été conseiller d’Etat (p. 306). Enfin, les Genevois des nouveaux territoires incorporés au canton, en 1815 et 1816, ont acquis d’emblée le droit de vote, aux mêmes conditions que les anciens Genevois, contrairement à ce qu’affirme l’auteur (p. 237). Les lois éventuelles, adoptées en 1814 le prévoyaient tout en visant à ce que leurs élus ne dépassent pas le tiers des députés au Conseil représentatif, quel que soit leur pourcentage de la population cantonale. De même, l’article 168 des Ordonnances ecclésiastiques de 1576 n’établit nullement des Conseils généraux périodiques, mais seulement la lecture de celles-ci tous les cinq ans (p. 245). Certes, en 1707, un Edit prévoyant la convocation d’un Conseil général tous les cinq ans fut passé en Général; mais cet Edit fut abrogé dès décembre 1712 lors de la première réunion de ce Conseil général périodique! Il s’agit là de vétilles sans doute, mais qui ne sont pas sans importance quand on connaît l’attachement de James Fazy à l’institution du Conseil général, organe dans lequel réside la souveraineté du peuple.

L’attachement de James Fazy au fédéralisme s’est exprimé, au soir de sa vie aussi bien dans le plaidoyer pour une Espagne fédérale, en 1869, que par son refus du projet de constitution suisse de 1872. De ce point de vue, l’analyse de la pratique politique fazyste par rapport à ses principes fondamentaux n’eut pas manqué d’intérêt. Favorable à la séparation des pouvoirs, mais n’hésitant pas à intervenir dans certaines affaires jusqu’à provoquer la démission du procureur général William Turrettini, ou valorisant le suffrage universel (masculin) tout en s’accommodant de diverses fraudes électorales, l’homme d’Etat radical est un pragmatiste bien davantage qu’un hégélien au contraire de son ami Henri Druey. Certes, la triple influence de Rousseau, des troubles genevois du XVIIIe siècle et des Lumières le marquent tandis que son agnosticisme le rapproche des partisans de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il souhaite une véritable égalité entre protestants et catholiques, ce qui finira par lui coûter son assise électorale et s’est montré souvent novateur en théorie comme en pratique, comme l’indique bien Véronique Mettral Dubois dans cet ouvrage. Il faut espérer qu’une telle étude ouvre la voie à de nouveaux travaux présentant d’autres aspects d’une oeuvre politique dont on n’a pas fini de découvrir la richesse insoupçonnée.

Zitierweise:
Bernard Lescaze: Rezension zu: Véronique Mettral Dubois, L’oeuvre politique de James Fazy (1794–1878) et son apport à l’avènement des droits fondamentaux à Genève. Sources doctrinales et contexte historique, Genève/Zurich: Schulthess, 2015. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 66 Nr. 1, 2016, S. 174-176

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 66 Nr. 1, 2016, S. 174-176

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