T. Kaestli (Hrsg.): Nach Napoleon

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Titel
Nach Napoleon. Die Restauration, der Wiener Kongress und die Zukunft der Schweiz 1813-1815


Herausgeber
Kaestli, Tobias
Reihe
Archiv des Historischen Vereins des Kantons Bern 91
Erschienen
Baden 2016: hier + jetzt, Verlag für Kultur und Geschichte
Anzahl Seiten
255 S.
Preis
€ 49,00
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Irène Herrmann, Universität Genf

La plupart des dates anniversaires sont l’occasion d’une recrudescence et d’un renouvellement de l’historiographie consacrée à l’événement remémoré. La Restauration ne fait pas exception, bien au contraire. Longtemps, la réputation détestable de cette période, souvent résumée aux quelques années suivant la chute du système napoléonien, avait incité les chercheurs à délaisser l’étude d’une époque considérée comme un retour aux réalités conservatrices d’Ancien Régime. En outre, son centenaire était tombé alors même que la Grande Guerre se prolongeait, détournant l’intérêt du public pour le tournant décisif de 1814/1815. En Suisse, ce jubilé avait surtout donné lieu à la publication de sources. Ainsi, le bicentenaire a été l’occasion d’une redécouverte multiple, accentuée par un changement de focale méthodologique, géographique et idéologique. Le Congrès de Vienne a été relu dans une perspective socio-culturelle. L’approche transnationale a brisé les interprétations exclusivement nationales des traités post-napoléoniens et l’état d’esprit réactionnaire des monarques coalisés a été fortement remis en question.

C’est dans ce cadre épistémologique hautement stimulant que la Société d’histoire du canton de Berne, et plus particulièrement Tobias Kästli, ont publié un ouvrage au titre magnifique: „Nach Napoleon“. Ce livre se fonde sur une série de conférences organisées par l’association. Cette base garantit la clarté du propos, très appréciable dans la présentation et l’analyse des situations souvent confuses qui caractérisent les mois succédant à l’effondrement du Premier Empire. Le plan du recueil facilite lui aussi la compréhension, puisqu’il va clairement du général au particulier, soit de la présentation des enjeux européens à leur application dans différentes parties de l’espace helvétique, en partant de Genève, puis en passant par les marges du canton de Berne, l’Evêché de Bâle et Bienne, avant de s’arrêter le temps de deux chapitres dans la capitale à proprement parler. Ce parcours spatial se double d’un déplacement méthodologique, qui glisse du politique à l’histoire de l’art, dans une perspective mémorielle puis sociale.

Cette structure astucieuse est présentée en introduction par Tobias Kästli. Limpide, ce texte trahit toutefois l’influence des origines du volume ainsi constitué. En effet, la recherche suisse alémanique y est clairement privilégiée, au détriment des études menées en Romandie, où la césure de la Restauration a sans doute été moins oubliée, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de cette date pour le destin helvétique de la plupart des cantons francophones. D’ailleurs, une oeuvre notable sur cette thématique provient de la Société d’histoire du canton de Fribourg qui a entrepris de publier une version intelligemment commentée des journaux intimes de Jean de Montenach et d’Anna Eynard Lullin. L’article suivant se veut, lui aussi, une sorte de présentation générale, non pas de l’ouvrage en tant que tel, mais de son contenu. André Holenstein y résume utilement les tenants et les aboutissants de la période. L’intérêt de son texte réside essentiellement dans l’explication du poids des décisions européennes sur le sort de la Confédération. Ce faisant, l’auteur se rattache clairement à l’interprétation actuelle de cette influence, qui voit dans les monarques coalisés des dirigeants bien moins conservateurs que les autorités helvétiques. Dans sa description et son analyse des conditions de reconnaissance de la neutralité, Holenstein ne mentionne toutefois pas l’expédition de Franche-Comté, qui relativise clairement ce concept géopolitique.

La reconnaissance internationale du désengagement suisse est largement due à Charles Pictet de Rochemont, de Genève. C’est au sort de cette cité qu’est consacré l’article de François Charles Pictet, le seul de ce volume qui ne soit pas fondé sur une conférence donnée au sein du Historischer Verein des Kantons Bern. Il s’agit d’un texte préalablement publié en français, et disponible dans cette langue à la Fondation des Archives de la Famille Pictet. Sa traduction allemande livre une version claire des événements ayant conduit à l’incorporation de la petite république dans la Confédération. Et la remarque n’est pas anodine, tant l’écheveau de projets, résolutions, revirements et coups de théâtre est ici difficile à démêler. Les faits militaires, marqués par plusieurs départs et retours de troupes françaises, sont ainsi plaisamment exposés, illustrés par la riche documentation que l’auteur a su puiser dans ses archives familiales. Mais cet héritage, dont certains extraits sont très généreusement cités en exergue, n’est pas sans conséquences sur l’orientation de l’analyse. On sent ainsi une oscillation entre historiographie récente et ancienne. On ne sait pas très bien si la destinée helvétique de Genève est le fait des Grandes Puissances (p. 86), comme tendent à l’affirmer les chercheurs d’aujourd’hui, ou si elle est le fruit d’une volonté impérieuse de la population locale (p. 54), comme le pensaient ceux d’hier. Par ailleurs, le régime de James Fazy, auteur d’une révolution ayant destitué l’élite patricienne revenue au pouvoir en 1814, y est décrit comme beaucoup moins tolérant que celui qu’il a fait chuter, et dont Pictet faisait partie…

Le diplomate est d’ailleurs au cœur de la contribution extrêmement intéressante de Peter Lehmann, visant à comparer son mode de faire avec les méthodes– diamétralement opposées – de son homologue bernois, Ludwig Zeerleder, durant le Congrès de Vienne. Il s’agit-là d’une approche particulièrement séduisante des négociations internationales, appréhendées non plus en termes de projets et de réalisations (géo)politiques mais de stratégies sociales, culturelles voire comportementales. Dans ce travail, Peter Lehmann aboutit à un paradoxe plaisant: il montre un Pictet de Rochemont parfaitement à l’aise et bien introduit dans une arène de transactions mondaines, au contraire d’un Zeerleder dépressif et incapable de s’attirer les bonnes grâces des décideurs européens. Pourtant, contrairement aux attentes, et selon les observations de l’auteur, ni l’un ni l’autre n’ont remporté de succès dans leur mission. Toutefois, si l’historien avait légèrement élargi son spectre chronologique et ne s’était pas limité aux décisions de Vienne, elles-mêmes interrompues par les Cent Jours; s’il avait inclus les traités de Paris, voire de Turin, il serait parvenu à une tout autre conclusion: Pictet y est bien parvenu à faire valoir les options de la Suisse puis de Genève. Et le paradoxe ne tiendrait alors pas à l’inutilité de son entregent, mais bien au fait qu’il ait été obligé de mettre son doigté au profit d’objectifs qui n’étaient pas nécessairement les siens. S’il était clairement en faveur de la neutralité helvétique, il penchait aussi pour un grand canton de Genève, mais sa loyauté l’a forcé à œuvrer pour le territoire minuscule que voulaient les syndics de sa Cité d’origine.

Le texte suivant explore une des conséquences des traités post-napoléoniens. Jean-Claude Rebetez y décrit l’intégration de l’Evêché de Bâle dans le canton de Berne. Tout en retenue et en modestie, cet écrit se détache de la littérature partisane et entreprend de relater avec limpidité les conditions comme la réalisation de cet ajout territorial imposé tant aux Suisses qu’aux populations autochtones. Dès lors, l’intérêt de ce chapitre est double. Non seulement, il permet de comprendre les événements ayant scandé cette entrée dans le Corps helvétique, mais également la lecture qu’en ont faite les historiens des décennies précédentes. Tobias Kästli s’attaque quant à lui au sort de Bienne. Là encore, on assiste aux aménagements parfois difficiles entre volontés locales et enjeux internationaux. Là encore, toujours, et en dépit d’une écriture aussi efficace que pudique, on devine des revirements historiographiques majeurs, autorisés par l’effacement progressif du paradigme national et l’éloignement croissant des phénomènes ainsi analysés.

Quant aux deux derniers chapitres, ils adoptent des démarches inspirées par l’histoire de l’art. A travers l’examen du Lion de Lucerne, érigé en souvenir des victimes suisses du massacre des Tuileries, et de la Chapelle commémorant l’invasion française de 1798, Valentine von Fellenberg interroge l’état d’esprit de la Restauration. On y perçoit une société assez rétive à accepter le martyrologue officiel. Mieux encore, l’édifice religieux tombe progressivement dans l’oubli. L’auteure comprend cette évolution comme le signe d’un effacement des valeurs de 1815. Mais sachant que le Lion de Lucerne en symbolise encore bien plus efficacement l’axiologie, on pourrait également interpréter son succès public comme un indice rassurant pour les amateurs d’art : si les édifices mémoriels sont imprégnés d’idéologie, cette dernière ne serait pas seule à déterminer leur notoriété. Leur célébrité semble également dépendante de critères esthétiques qui parviennent même, parfois, à reléguer leur signification politique au second plan. L’importance de la beauté architecturale a peut-être été renforcée par la pauvreté des édifices urbains construits au lendemain de l’époque napoléonienne. Cette atmosphère de parcimonie est restituée par Dieter Schnell sur la base des protocoles de la Commission des bâtiments de Berne. Elle reflète les difficultés économiques consécutives aux années de guerre, et montre l’imagination développée pour les surmonter. En l’occurrence, l’état misérable des finances de la Cité oblige à organiser des mises au concours qui ressemblent à celles auxquelles les architectes se soumettent encore aujourd’hui.

L’inventivité des acteurs sociaux se retrouve d’ailleurs dans la plupart des textes, nuançant considérablement les affirmations contraires, produites par l’historiographie nationaliste. De même, l’essentiel de l’ouvrage tend à montrer la modernité des Grandes Puissances, et leur influence moins réactionnaire que pragmatique sinon progressiste sur les cantons. Au-delà de ces utiles relectures, les études réunies ici attirent l’attention sur des dynamiques encore peu relevées jusqu’ici. Au travers des chapitres, on distingue le poids d’un procédé rhétorique extrêmement efficace, consistant à présenter de vraies nouveautés comme le retour à une situation ancienne ou comme la récupération de droits injustement usurpés. Parallèlement, et au-delà de toute réputation de conservatisme, on y discerne le statut accordé à la volonté populaire, qui demeure le dernier recours quand les Suisses n’ont plus d’autre argument à présenter pour soutenir les solutions qu’ils préconisent. Et finalement, les deux chapitres conclusifs peuvent se lire comme un véritable projet épistémologique, plaidant pour une redécouverte de la Restauration sous des angles non seulement moins idéologiques mais aussi moins politiques.

Alors, bien entendu, on peut regretter que des erreurs factuelles viennent entacher ce beau bilan (pp. 6; 15; 53; 58; 61; 167 etc.). Mais pour ces détails on pourra se reporter, si nécessaire, à l’ancienne littérature sur la Restauration, qui en livre un récit événementiel toujours valable. Pour le reste, néanmoins, cette historiographie plus que séculaire semblera totalement désuète. Et si le bel ouvrage édité par Tobias Kästli a le mérite de contribuer à forger cette impression de caducité, comme de nombreuses recherches publiées à l’occasion du bicentenaire, il est encore plus remarquable par sa capacité à ouvrir de nouvelles pistes d’investigation qui portent les promesses d’une réévaluation non seulement de la charnière 1814/1815, mais aussi et surtout des décennies qui la suivent.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.09.2016
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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