V. Rjéoutski u.a. (Hrsg.): Le Précepteur francophone en Europe

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Titel
Le Précepteur francophone en Europe, XVIIe – XIXe siècles.


Herausgeber
Rjéoutski, Vladislav; Alexandre, Tchoudinov
Erschienen
Paris 2014: L’Harmattan
Anzahl Seiten
456 S.
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Pierre Caspard

« Le français deviendra la langue unique. J’en suis convaincue », écrit Isabelle de Charrière en 1797. Elle-même a épousé un Vaudois venu en Hollande enseigner le français à ses frères. Elle juge, comme nombre de ses contemporains, qu’aucune autre langue ne peut rivaliser avec la « langue universelle», qu’il faut donc connaître. C’est la raison pour laquelle, dans un peu toute l’Europe, du XVIIe au XIXe siècle, les précepteurs et gouvernantes francophones furent massivement sollicités par les familles princières, nobles ou simplement bourgeoises, pour enseigner le français à leurs enfants. « Je connais par le monde vingt princes ou princesses qui ont été élevés par des Vaudois et des Vaudoises », écrit ainsi Sophie La Roche en 1792. Parmi les Vaudois figure bien sûr Frédéric-César de La Harpe, précepteur du futur Alexandre Ier (dont l’influence sur son élève est ici analysée par Marie-Pierre Rey) ou, moins connu, Nicolas Fornerod, employé chez le prince Golitsyne (évoqué par André Bandelier et Vladislav Rjéoutski). Les Neuchâtelois fournirent de leur côté une large part du contingent suisse, depuis le Boudrysan David Marat, professeur de français de Pouchkine (évoqué par Charlotte Goëtz) jusqu’à Jacques-Alexis Lambert, qui l’enseignera à Lénine. Entre les deux, Alain Maeder avait naguère montré, à partir de sources neuchâteloises, l’importance des départs (au moins 1500) des Neuchâtelois(es) vers le seul Empire russe.

Le présent ouvrage présente l’intérêt d’analyser le contexte et l’exercice du préceptorat francophone à partir de sources, publiques et privées, des pays de destination même des précepteurs. Parmi eux, la Russie occupe ici la première place, avec quatorze communications sur dix-neuf, les autres étant consacrées à l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, la Pologne et la Bohème ; on note l’absence de la Hollande, où A. Bandelier avait jadis repéré une vingtaine de précepteurs suisses au XVIIIe siècle. Dans ce cadre géographique très large, l’ouvrage met bien en lumière le rôle du préceptorat, à la fois comme agent de transferts culturels et comme état ou profession désirable pour des catégories de populations très diverses, depuis des cuisiniers ou coiffeurs sans emploi jusqu’aux savants et érudits membres de la République des lettres ou aspirant à le devenir.

On n’en retiendra ici que les raisons qui ont tout particulièrement fait apprécier les Suisses pour les fonctions de précepteurs ou gouvernantes. Par rapport aux Allemands, qui ont d’autres atouts (un niveau d’instruction souvent très élevé), les Suisses romands ont bien sûr l’avantage d’être francophones, à condition de parler la langue « dans toute sa pureté », avec « la vraie prononciation », et de l’écrire « avec goût et délicatesse ». Par rapport aux Français qui sont (théoriquement) à l’aise avec la langue de leur propre pays, les Romands offrent d’autres qualités. Car le rôle attendu des précepteurs et gouvernantes n’est pas seulement d’enseigner le français, par l’usage ou par principes. Il est aussi d’éduquer. Et de ce point de vue, au dire des employeurs, les Suisses ont l’avantage de ne pas être affligés de « ces traits communs aux Français : égoïsme, légèreté, vanité, audace et sotte présomption ». Ils sont au contraire réputés « sérieux et modestes ». On concède que « la femme suisse brille moins par son esprit et ses manières », mais quant au reste, « elle est semblable à la Française, sans avoir la légèreté qui lui est propre ». Représentations et stéréotypes que tout cela, mais qui pèsent sur le marché de l’emploi européen...

Un autre atout des Romands est la religion réformée que professent la plupart d’entre eux, jugée plus compatible avec le luthérianisme ou l’orthodoxie que le catholicisme ou, au contraire, l’incrédulité dont sont souvent crédités les Français. Quant à la culture politique des Suisses, elle peut poser problème dans un pays comme la Russie, quand tel précepteur engagé par une famille noble inspire à son élève de onze ans l’idée que les véritables vertus se trouvent, non dans les Etats monarchiques, mais dans des républiques comme la Suisse ou la Hollande, ou quand d’autres prétendent appliquer tel ou tel principe éducatif de l’Emile. De ce point de vue, les Suisses finirent par être engobés dans la même méfiance que les Français et furent l’objet, dans les décennies qui suivirent la Révolution, des mêmes mesures visant à contrôler et nationaliser l’enseignement public et privé. Les bonnes d’enfants et gouvernantes échappèrent davantage à cette suspicion, d’où la féminisation croissante du milieu préceptoral présent en Russie, au fil du XIXe siècle.

Au total, ce livre érudit mais d’une lecture agréable – on note la qualité des traductions du russe – éclaire excellemment l’une des manifestations majeures de la présence suisse et neuchâteloise en Europe du Nord et de l’Est, pendant plus de deux siècles.

Zitierweise:
Pierre Caspard: Rezension zu: Vladislav Rjéoutski, Alexandre Tchoudinov (dir.), Le précepteur francophone en Europe (XVIIe-XIXe siècles), Paris, L’Harmattan, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 3, 2014, pages 185-186.

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Revue historique neuchâteloise, Vol. 3, 2014, pages 185-186.

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