M. Vaucher: Créer, organiser, durer

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Titel
Créer, organiser, durer. Naissance et développement de l’Union des Femmes de Lausanne (1896–1916)


Autor(en)
Vaucher, Marc
Erschienen
Neuchâtel 2014: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
223 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Dominique Dirlewanger

Lorsqu’elles passaient la porte du petit local de la rue de Bourg 20 en juillet 1897, que pouvaient bien venir chercher les dames en visite à l’Union des Femmes de Lausanne (UdFL)? C’est probablement le plus grand mérite de Marc Vaucher que de nous faire revivre de l’intérieur les péripéties de cette discrète association féminine de Suisse romande à la fin du XIXe siècle. Avec précision, rigueur et moult détails, l’historien lausannois retrace la vie intime aussi bien que les tentatives d’activités publiques menée par l’UdFL de 1897 à 1916. Alors que les associations féminines sont en pleine effervescence à la Belle Epoque en Suisse et ailleurs en Europe, Marc Vaucher interroge les conditions d’émergence d’une union locale dont il présente les élans, les contradictions et les échecs.

Créée en 1896 en marge du premier Congrès suisse des Intérêts féminins organisé dans le sillage de l’Exposition nationale de Genève, l’UdFL apparaît dans un contexte social marqué par la modernité et le changement des mentalités à l’égard des femmes. Sans complaisance, Marc Vaucher montre comment ce climat d’ouverture n’était pas seulement favorable aux membres de l’UdFL, mais que nombre d’entre elles n’ont pas vécu si facilement le fait d’organiser un espace indépendant à ceux des hommes. Cette «nouvelle posture transgressive de l’ordre établi» n’est donc pas uniquement le fruit d’une «dynamique associative favorable». La religion, les besoins de formation des nouvelles professions typiquement féminines, les aspirations issues d’une nouvelle conception des femmes sont autant de facteurs structurels de l’émergence de l’UdFL emmenée par 54 femmes en 1897 et qui comptera jusqu’à 227 membres en 1905.

Après avoir dessiné un portrait sociologique des membres de l’UdFL, l’historien nous livre une étude attentive de la vie de l’association. En sus des procès-verbaux de l’association et du Bulletin mensuel, les documents conservés aux Archives de la ville de Lausanne permettent de suivre au jour le jour les activités de l’UdFL grâce au «Journal des dames receveuses». Cette source originale contient la retranscription minutieuse des visites au local de l’association. Le lecteur pénètre alors dans l’intimité de la vie associative où se mêlent espoir et déception, solitude et rencontre, soulagement et réjouissance… A l’aide d’une analyse de ces 1300 pages manuscrites, Marc Vaucher envisage l’écriture comme un «liant associatif». La subtilité de l’observation calligraphique ajoutée à la sensibilité de l’historien du genre débouche sur une écoute patiente des réflexions féminines, ainsi qu’une observation scrupuleuse des activités menées durant deux décennies. Les problèmes financiers de l’UdFL conduisent l’association à une précarité permanente qui force ses membres à revoir à plusieurs reprises leurs offres de cours (enseignement de commerce, langues, droit, sténographie, dactylographie, hygiène, école ménagère, etc.) Dans ce contexte, les discussions entourant la question de l’achat d’une machine à écrire constituent un moment fort. Après sept mois de délibération, la décision est finalement prise d’investir la somme nécessaire à l’acquisition de cet outil moderne, mais fort coûteux. Avant 1914, trois autres événements mobilisent activement les membres: les discussions autour de la consultation du Code civil en 1912, la mise en place d’un bureau d’aide à l’emploi (Bureau d’adresse) avec conseils juridiques et, enfin, la confection d’une bibliothèque. Ces différents volets forment l’horizon des activités menées en interne, au sein du local de l’UdFL.

Les difficultés financières ne sont que la partie visible de problèmes plus sérieux d’identité. Après des débuts encourageants, la politisation de la question des femmes va progressivement miner l’UdFL. Après avoir soutenu la pétition des femmes vaudoises en 1897 et une pétition antialcoolique en 1900, l’Union peine à trouver son credo entre philanthropie bourgeoise et militantisme féministe. La «recherche d’une légitimité d’action» se traduit par un certain opportunisme, ce que révèle l’adhésion à pas moins de sept sociétés locales, nationale ou internationales, entre 1903 et 1911: Conseil international des sociétés féminines, Ligue vaudoise contre la tuberculose, Comité de la société des maîtres secondaires, Association suisse pour la protection de l’enfant et de la femme, Fédération abolitionniste internationale, Société pour la lutte contre le chômage, Association suisse des arts et métiers. La logique d’ouverture laisse entrevoir une certaine dispersion et la crise identitaire est atteinte en 1912. Alors que les mouvements féministes européens se renforcent, en premier lieu vis-à-vis des revendications suffragistes, l’UdFL doit faire face pour la première fois de son histoire à une diminution de ses membres. Ecartant toute augmentation des cotisations, par crainte d’un effet dissuasif sur les restantes, le Comité et la présidente de l’Union peinent à mobiliser les troupes. Un effet de saturation semble atteint au sein du mouvement associatif lausannois. La naissance en 1912 du journal genevois Mouvement féministe porte également préjudice au Bulletin de l’UdFL qui peine à soutenir la concurrence. La réaction de l’Union glisse alors vers le repli local: «le féminisme vaudois prend la direction d’un activisme plus étroitement régional», résume Marc Vaucher. Réalisation d’un arbre généalogique de l’UdFL pour l’Exposition nationale prévue à Berne en 1914, engagement dans la lutte contre la tuberculose ou comme inspectrice des Maisons ouvrières de Bellevaux à

Lausanne, les nouvelles orientations de l’Union illustrent les contradictions d’un féminisme vaudois écartelé entre opérations caritatives et morale bourgeoise, engagement social et revendications suffragistes. Finalement, ce sont les oeuvres charitables entamées au lendemain du déclenchement de la Grande Guerre qui relancent les activités de l’UdFL.

«Créer, organiser, durer», le mot d’ordre souligné lors de la création de l’UdFL en 1896 sert de fil rouge à l’ouvrage de Marc Vaucher. Utilisant avec profit les concepts de Jürgen Habermas sur l’espace public et le concept d’habitus cher à Pierre Bourdieu, il nous livre un récit à une échelle micro relevée de concepts pertinents et convaincants. Depuis la quête identitaire jusqu’aux problèmes de trésorerie, sans oublier les questions organisationnelles et les débats idéologiques, l’histoire de l’UdFL met en lumière les contradictions d’un «féminisme différentialiste». Il aurait été stimulant de compléter cette approche en articulant les hésitations des engagements féminins avec le conflit entre l’origine sociale et l’appartenance au genre. En effet, les limites et les échecs de l’Union sont une illustration éclatante des logiques contradictoires d’une vision du monde progressiste bourgeoise avec une morale conservatrice. Si le lecteur aurait apprécié une description plus générale des différents féminismes de l’avant-Première-Guerremondiale, ainsi qu’une lecture plus interconnectée des activités lausannoises avec les autres régions romandes, voire avec la réalité fédérale (notamment autour du carrefour qui s’opère lors du rapprochement avec l’Alliance nationale des sociétés féminines suisse en 1901), le livre de Marc Vaucher constitue un magnifique travail de micro histoire, révélateur de nombreuses tensions des mouvements associatifs féminins de la Belle Epoque.

Zitierweise:
Dominique Dirlewanger: Rezension zu: Marc Vaucher, «Créer, organiser, durer». Naissance et développement de l’Union des Femmes de Lausanne (1896–1916), Neuchâtel: Editions Alphil (Presses universitaires suisses), 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 343-345.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 343-345.

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