D. Auberson u.a. (Hrsg.): Deux siècles de présence russe en Pays de Vaud

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Titel
Deux siècles de présence russe en Pays de Vaud. Actes du colloque du 11 juin 2011 à l’Université de Lausanne


Herausgeber
Aubeson, David; Olivier, Meuwly
Erschienen
Genève 2012: Editions Slatkine
Anzahl Seiten
236 S.
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Ariane Devanthéry

«Pays à l’histoire si riche, à la culture si opulente, aux traditions si enracinées, la Russie a toujours entretenu un lien paradoxal avec le monde extérieur. Entre fascination et répulsion, entre admiration et hantise… […] Nombreux sont les pays européens qui, dès la fin du XVIIIe siècle, comptent des colonies russes de plus en plus importantes dans leurs hôtels de luxe ou leurs soupentes. Et parmi ces régions d’Europe occidentale destinées à devenir de véritables carrefours de l’émigration russe figure la Suisse.» C’est par ces mots que le Consul honoraire de la Fédération de Russie et mécène du projet, Frédérik Paulsen, ouvre ce livre. Un ouvrage qui permet enfin de faire le point sur l’importance de la présence russe en Pays de Vaud depuis près de deux cent cinquante ans, ainsi que sur les nombreuses influences réciproques qu’ont entretenues ces deux espaces culturels.

Je dis «enfin», car, jusqu’à présent, cela n’était point aisé. Qui s’intéressait aux Russes en terre vaudoise entamait en effet une quête, s’aventurant souvent à l’aveugle dans un long dédale, à la recherche d’informations dispersées un peu partout. Certains sujets, on le sait, étaient connus: l’histoire des ballets russes, l’amitié entre Strawinsky et Ramuz qui a donné naissance à l’Histoire du Soldat, le rôle de F.-C. de La Harpe auprès du futur tsar Alexandre Ier, le legs de Gabriel de Rumine qui a permis la construction du palais surplombant la place de la Riponne ou le passage (rapide et anecdotique) du tsarévitch Paul à l’hôtel du Lion d’Or à Lausanne à la fin du XVIIIe siècle. Peut-être, selon nos centres d’intérêt, connaissait-on aussi Grégoire de Razoumowky, l’un des pères des sciences naturelles vaudoises, ou le tombeau de la princesse Catherine Orlov dans la cathédrale, voire le récit de voyage du jeune Nikolaï Karamzine qui passe par Lausanne en 1789. Mais toutes ces informations étant éparpillées dans des livres ou des pages internet, touchant de plus à des domaines qui ne communiquent pas nécessairement de manière évidente (les sciences naturelles, la politique, l’éducation, l’histoire de l’art, la littérature ou la musique), elles étaient difficiles à trouver et à rassembler. Dans un tel cas de figure, une recherche court évidemment le risque d’être partielle, de manquer une information importante. Aujourd’hui, cette lacune est comblée: bien que rassemblant une série d’articles indépendants les uns des autres, cet ouvrage offre moins un tableau morcelé et fragmentaire que la vision kaléidoscopique d’une seule et même histoire.

La formation très largement historienne des auteurs participe à l’homogénéité du tout, leur faisant porter le même type de regard sur leurs sujets, appliquer des questionnements semblables et recourir aux sources de manière systématique. Des sources qui frappent d’ailleurs par leur variété: lettres intimes, imprimés presque introuvables, textes littéraires, fonds d’archives, journaux, enregistrement audio. Placées dans l’ordre chronologique, ces études dessinent ensemble une vaste fresque. La longue et très intéressante introduction généraliste de David Auberson ouvre ce recueil et lui sert de ciment ; elle assure en effet le lien entre les articles souvent pointus (mais jamais pédants ni nébuleux) qui suivront. Danièle Tosato-Rigo s’est ainsi attachée à une famille russe installée très tôt en terre vaudoise (dès 1754), les Golowkin, et dessine la part qu’ils ont prise dans la « résonance et la diffusion des Lumières en Pays de Vaud» (p. 76). La doctorante Valentina Smekalina s’intéresse aux premiers voyageurs russes, tandis que le professeur Andrei Andreev suit le grand poète Vassili Joukovski, spécialement lors de ses deux séjours sur les bords du Léman en 1821 et 1832-1833. Pierre Jeanneret fait le point sur les liens que l’on a souvent considérés comme évidents entre les étudiantes russes, la politique et la révolution. Il conclut que ce rapport a été exagéré et que, si certaines étudiantes russes ont frappé les esprits, c’était plus par leur moderne liberté qu’à cause de leurs opinions politiques. Le spécialiste de l’histoire de la presse Olivier Meuwly a plongé dans les journaux vaudois pour brosser l’image qu’on se faisait alors des anarchistes russes. Une image contrastée qui fait réfléchir à l’usage de la violence et éveille de curieux échos avec d’autres luttes, actuelles. Yuri Obozny fait quant à lui l’histoire de Nikolaï Skriabine, père du compositeur Alexandre Skriabine, et surtout premier consul honoraire de Russie à Lausanne. Cela lui permet aussi d’évoquer un autre diplomate russe encore largement méconnu, Jean Capo d’Istria. En s’intéressant à l’Histoire du Soldat et à la renaissance des ballets russes à Lausanne en 1915, Jean-Jacques Langendorf et Jean-Pierre Pastori reviennent sur une des parties les mieux connues de cette histoire russe en terre vaudoise, mais qui aurait manqué si elle avait été absente. Le journaliste Alain Campiotti zoome sur la période allant de 1913 à 1917 et balade sa loupe sur plusieurs bolcheviques (connus – Lénine – et moins connus) qui ont trouvé refuge pour un temps entre Chailly-sur-Lausanne et Baugy-sur-Clarens. La fin de son article, qui explique ce qu’ils sont devenus, abandonne l’effet de loupe pour résumer utilement la suite des vies esquissées. L’historien Nicolas Gex clôt la partie des études en s’intéressant à la double vie de Nicolas Oulianoff (qui n’a toutefois rien à voir avec Lénine), de sa jeunesse révolutionnaire en Sibérie à la chaire de géologie de l’Université de Lausanne.

Le recueil se termine de façon plus littéraire, avec les textes de deux écrivains russes qui se répondent à plus de deux cents ans d’intervalle: Mikhaïl Chichkine qui s’interroge sur les raisons de la présence russe en terre vaudoise et les lettres que Nikolaï Karamzine consacre au Pays de Vaud lors de son Grand Tour en 1789. Ces lettres ne sont d’ailleurs pas le moindre intérêt de cet ouvrage: elles constituent en effet pour l’instant la seule traduction intégrale du texte de Karamzine (travail de Maud Mabillard avec le très bon appareil critique de David Auberson), les traductions précédentes ayant en effet fait l’impasse sur de nombreuses pages. C’est encore partiel, mais cela donnera peut-être l’élan à une nouvelle traduction complète!

Cet ouvrage soigné – n’oublions pas de mentionner une belle iconographie, souvent peu connue de surcroît – fait suite à deux autres recueils récents où sont aussi étudiées les relations entre Russes et Vaudois: Frédéric-César de La Harpe, 1754-1838, Olivier Meuwly (dir.), Lausanne: Bibliothèque historique vaudoise, (BHV 134), 2011, et les actes d’un colloque s’étant tenu à Moscou en 2011: Olivier Meuwly, Irina Karapetyants (dir.), Les Vaudois et la Russie. Colloque du 16 septembre 2011, Moscou: Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture , 2012, (en russe). Ensemble, ces études permettent de mieux comprendre les raisons d’une attirance qui survit au temps.

Zitierweise:
Ariane Devanthéry: Compte rendu de: David AUBERSON, Olivier MEUWLY (dir.), Deux siècles de présence russe en Pays de Vaud. Actes du colloque du 11 juin 2011 à l’Université de Lausanne, Genève: Slatkine, 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 290-291

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 290-291

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