K. Crousaz: L’Académie de Lausanne

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Titel
L'Académie de Lausanne entre Humanisme et Réforme (ca. 1537-1560).


Autor(en)
Crousaz, Karine
Erschienen
Leyden 2012: Brill Academic Publishers
Anzahl Seiten
608 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Yves Krumenacker

De manière surprenante, les travaux consacrés à l’Académie de Lausanne, modèle de toutes les Hautes Écoles calvinistes, étaient jusque là peu nombreux et pour la plupart, fort anciens. C’est à combler cette lacune qu’est consacrée la thèse de K. Crousaz, soutenue en 2010 à l’Université de Lausanne et à présent publiée chez un éditeur prestigieux.

Un premier chapitre éclaire le contexte politique, religieux et surtout éducatif de la Suisse de la Renaissance, en centrant l’étude sur les régions réformées, et notamment sur le Pays de Vaud, conquis par les Bernois en 1536: une synthèse sobre, mais précise et bien informée, qui insiste notamment sur la volonté des protestants de promouvoir l’enseignement, pour répondre aux exigences humanistes qu’ils partagent avec les catholiques, mais aussi pour faire mentir l’affirmation polémique selon laquelle la Réforme aurait été néfaste aux bonnes lettres. On entre ensuite dans le vif du sujet avec l’histoire de la première période de l’Académie de Lausanne. Contrairement au mythe couramment répandu, K. Crousaz montre que l’éta blissement n’a pas été fondé en 1537, dès les débuts de l’autorité bernoise: à cette date ne sont établis que quelques cours, principalement à destination des religieux qui ont rallié la Réforme. Il faut attendre 1540 pour que la décision de fonder un collège avec un internat pour douze boursiers soit prise; ce n’est qu’en 1542 qu’est recruté le maître des boursiers, Celio Secondo Curione, et, en 1545, le principal (directeur de l’école inférieure), Maturin Cordier, un des plus célèbres pédagogues de son temps. Une réflexion sur le cursus scolaire s’engage, marquée par la Synopsis (1545-1546) de Curione, programme d’éducation très complet fondé sur les textes du Strasbourgeois Jean Sturm, et qui aboutit aux lois académiques de 1547, négociées avec les autorités bernoises et dues surtout au pasteur de Berne Sulzer et aux pasteurs et professeurs lausannois, dont Viret, Cordier et Ribit. Très rapidement, un conflit perturbe l’institution, opposant Zébédée, qui avait remplacé Curione, à Viret, accusé de vouloir établir une discipline «calviniste»; Zébédée est finalement désavoué en 1550 et l’Académie connaît des années paisibles, seulement marquées par une épidémie de peste virulente en 1551 et 1552, qui entraîne une interruption des cours de quelques mois dans l’école inférieure. Puis éclate la célèbre crise de 1558-1559, dont l’enjeu est de savoir qui détient le pouvoir d’excommunication et, au-delà, quels sont les rapports respectifs des pouvoirs civil et ecclésiastique. Elle est décrite dans le détail, à partir de sources principalement bernoises. L’aboutissement est le bannissement ou la démission de beaucoup de pasteurs et de tous les professeurs, avec comme conséquence le départ de très nombreux élèves. Berne ne parvient que difficilement à sauver l’institution, qui n’attire plus désormais que des enseignants de moindre renom. Le «parti calviniste», en apparence vaincu, fournit en fait les cadres de l’Académie de Genève, opportunément fondée en juin 1559. L’Académie de Lausanne a vécu sa période la plus brillante; elle était alors considérée, depuis les années 1540, à l’instar d’une véritable université, même si elle ne peut pas délivrer les grades académiques, comme l’indique une précise étude du vocabulaire employé pour la désigner.

Une série exceptionnelle de comptes permet de connaître le budget de l’Académie, année par année. Les dépenses représentent, en gros, la moitié de l’ensemble des dépenses du bailliage de Lausanne. Elles permettent de payer les salaires en argent, vin et céréales des six enseignants permanents (professeurs de grec, d’hébreu et de théologie, maître des 12, principal et proviseur), des salaires très convenables, après quelques années de flottement; les salaires des étudiants avancés qui donnent des cours à l’école inférieure; les bourses d’études des 12, entièrement prises en charge contre l’obligation pour eux de servir Berne à la fin de leurs études; les bourses extraordinaires, de plus en plus nombreuses (jusqu’à 111 en 1559), dont les progrès intellectuels et les moeurs des titulaires sont surveillés chaque année; l’aménagement des bâtiments, les livres pour la bibliothèque. À partir de 1542, ce sont les étudiants qui coûtent le plus, suivis par les professeurs; les dépenses pour les infrastructures restent marginales. Ces dépenses sont couvertes en partie par les frais d’écolage, modestes, des élèves de l’école inférieure, et surtout par le Conseil de Berne qui ordonne le paiement au bailli de Lausanne. Pour cela, Berne utilise les biens ecclésiastiques sécularisés, dont une partie est vendue, au grand dam de Viret qui aurait voulu qu’ils soient entièrement consacrés aux pasteurs, aux pauvres et aux écoles.

Les professeurs sont la plupart du temps choisis par les pasteurs et professeurs lausannois, notamment Viret, souvent avec l’avis de Calvin. Mais il arrive que les conseillers bernois prospectent eux-mêmes, notamment lors des premières nominations et pendant la crise de 1558-1559. Une fois sélectionné, le candidat doit être élu par le colloque ou la classe de Lausanne, puis examiné par les pasteurs de Berne, confirmé enfin par le Conseil bernois qui communique sa décision au bailli de Lausanne. Il ne reste plus au nouveau professeur qu’à prêter serment de respecter la réformation bernoise. Le choix initial est généralement respecté, à une exception près, celui de Farel, récusé par Berne sans qu’on en sache la raison. Les professeurs nommés sont majoritairement français ou connaissent, pour la plupart, le français (même s’ils enseignent en latin). S’ils ont tous fait des études universitaires avant leur nomination, ils sont encore peu réputés, à l’exception de Cordier et de Curione; mais certains, comme Bèze ou Gessner, feront par la suite de brillantes carrières. Ils maîtrisent tous le latin cicéronien et le grec, mais beaucoup moins l’hébreu. Théologiquement, ils sont relativement divers: plusieurs ont des sympathies pour les opinions zwingliennes, certains sont des amis de Castellion; mais à partir de 1549 (affaire Zébédée), tous sont proches des idées de Calvin. Ils restent assez longtemps en poste ou, s’ils ne conviennent plus, obtiennent une autre fonction (pasteur généralement). La principale cause de départ, en dehors des décès, est la démission de 1558-1559. Aucun renvoi n’est à noter, en dehors de celui de Curione, accusé de pédophilie (1546), ce qui ne l’empêchera pas d’enseigner jusqu’à sa mort à l’Université de Bâle.

Les deux derniers chapitres sont consacrés aux étudiants et à leur formation dans cette école qui veut promouvoir une «piété lettrée», selon l’idéal de Sturm repris par Cordier. On connaît surtout les boursiers et l’auteur, tout en donnant une foule de renseignements précis, ne bouleverse guère nos connaissances sur ce point: des jeunes gens sélectionnés par les pasteurs et professeurs de Lausanne, mais aussi quelquefois directement par Berne, ayant des capacités intellectuelles, mais peu de moyens financiers, venant des terres bernoises, mais aussi du reste de la Suisse et de France; après leurs études, ils sont au service de Berne (souvent comme diacres dans un premier temps), ou partent en France (comme les fameux «cinq écoliers de Lausanne», largement étudiés ici), ou encore dans leurs régions d’origine. Plus neuve est la constatation que la grande majorité des étudiants, non boursiers, provient des élites bernoises, helvétiques ou françaises, qui y recherchent une culture humaniste et cela d’autant plus facilement que le serment qu’ils doivent prêter est dépourvu de toute connotation confessionnelle. En l’absence de grades académiques, les étudiants peuvent se faire délivrer des lettres de témoignages portant sur leur niveau et surtout leur comportement, utiles pour être employés dans des lieux éloignés. Alors que les boursiers sont assez encadrés, les autres étudiants choisissent librement les cours qu’ils veulent suivre. La confrontation entre les lois académiques, des manuels scolaires et de nombreuses sources manuscrites permet de décrire, année après année, le contenu de l’ensei gnement donné; à noter une particularité lausannoise, les examens écrits. Il y a également une éducation du comportement, principalement à l’école inférieure, que l’on connaît principalement grâce aux Colloques de Cordier.

En résumé, on a là une bonne monographie, d’autant plus intéressante qu’elle fourmille de renseignements très précis sur une institution dont l’importance pédagogique est fondamentale, aussi bien pour la formation de pasteurs que d’une classe dirigeante réformée; une institution qui a permis d’enraciner la Réforme dans les terres francophones, qui a enfin servi à légitimer l’autorité politique de Berne dans le Pays de Vaud. Ajoutons qu’une bibliographie importante et de nombreuses annexes rendront de précieux services aux chercheurs.

Zitierweise:
Yves Krumenacker: Compte rendu de: Karine CROUSAZ, L’Académie de Lausanne entre Humanisme et Réforme (ca. 1537-1560), Leyde/Boston: Brill (Education and Society in the Middle Ages and Renaissance, vol. 41), 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 288-290

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Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 288-290

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