S. Roulin: Un credo anticommuniste

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Titel
Un credo anticommuniste. La commission Pro Deo de l'Entente internationale anticommuniste ou la dimension religieuse d'un combat politique (1924-1945)


Autor(en)
Roulin, Stéphanie
Erschienen
Lausanne 2010: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
517 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Alix Heiniger, Universität von Genf (Schweiz)

Dans sa thèse de doctorat, Stéphanie Roulin montre comment l’Entente internationale anticommuniste (EIA) utilise la religion comme levier dans sa lutte contre la IIIe internationale. Elle s’intéresse donc aux acteurs qui sont d’une part les promoteurs de ce credo, non seulement au sein de l’EIA, mais également de sa branche dédiée à la question religieuse, et d’autre part les membres des réseaux du christianisme en Europe. Elle examine les modes d’organisation adoptés par ces acteurs, la nature de leurs actions et leurs cibles privilégiées. L’auteure veut découvrir non seulement ce que fait l’EIA, mais également comment elle est perçue par ses partenaires éventuels. Elle s’est donc donné les moyens de cette ambition en allant dépouiller les archives de ces derniers, au Vatican et en Allemagne notamment.

Le livre offre ainsi une vue d’ensemble d’une nébuleuse de l’anticommunisme religieux qui dépasse les frontières européennes, et qui se donne comme objectif l’élimination de la doctrine communiste et surtout la fin du régime soviétique. Mais pour l’EIA et Pro Deo, qui prend la suite du combat de la première sur le terrain religieux, mobiliser les réseaux et convaincre se révèle être une mission difficile, notamment parce que les gouvernements occidentaux ne souhaitent pas renoncer à leurs relations économiques avec l’URSS.

Roulin montre également le double jeu auquel se livrent l’EIA et Pro Deo en dénonçant les persécutions religieuses en URSS, mais en gardant le silence sur celles qui ont cours en Allemagne nazie. Ainsi, elles font un large usage de l’encyclique papale Divini redemptori et passent sous silence Mit Brennender Sorge qui critique l’idéologie national-socialiste. Sur le front des relations internationales, la question de l’entrée de l’URSS à la S.d.N. pousse l’EIA à mettre l’organisation internationale dans sa ligne de mire.

L’ouvrage est divisé en quatre parties dont les troisième et quatrième sont plus particulièrement consacrées à Pro Deo, la commission ad hoc de l’EIA sur les questions religieuses.

Dans la première partie, l’auteure esquisse les structures de l’EIA et dresse un tableau de ses principaux animateurs. Tirant ses origines dans la notabilité genevoise d’une part et dans les cercles de l’émigration russe d’autre part, l’EIA dès ses débuts est menée par deux personnalités: Georges Lodygensky et Théodore Aubert. Ce dernier marque à ce point l’organisation qu’elle est parfois appelée «la Ligue Aubert».

L’affaire Conradi, le meurtre de Vatzlav Vorovsky, délégué soviétique à la Conférence de Lausanne en 1923, par Maurice Conradi, un Suisse d’origine russe, fournit à Aubert et Lodygensky l’occasion de faire leurs premières armes contre leur nouvel ennemi, le communisme, et constitue le moment fondateur de l’EIA. Roulin montre ensuite comment la jeune organisation envisage son expansion à travers la mise en place de points d’appuis constitués davantage de partenaires, que de sections ou de bureaux étrangers.

Dans la deuxième partie, l’auteure se concentre sur les stratégies de l’Entente pour investir les réseaux religieux au nom de la lutte contre le communisme, les sans-Dieu et les persécutions religieuses en URSS. Elle montre comment l’EIA entend se faire le chantre de la défense de la «civilisation chrétienne». La religion doit ainsi servir de porte d’entrée pour atteindre certains milieux et tenter de les gagner à la cause anticommuniste.

Les troisième et quatrième parties, se concentrent davantage sur Pro Deo. Formée à la fin de l’année 1933, Pro Deo tire son origine dans une commission religieuse qui se réunit lors de la 9e Conférence internationale de l’EIA en octobre 1933, sur l’initiative d’Aubert et de Lodygensky. Elle s’inscrit dans une continuité avec d’une part d’autres actions de l’EIA des années 1932–1933 contre le courant de la libre pensée et, d’autre part, des efforts de l’organisation anticommuniste pour tisser un réseau dans les milieux religieux.

Dans la troisième partie, Roulin livre une enquête très minutieuse sur ces réseaux religieux en Europe et les tentatives de Pro Deo d’établir des liens et des coopérations. Elle fait un large usage des biographies des principaux animateurs de ces réseaux et des potentiels partenaires de l’EIA pour illustrer les milieux dont il est question. L’objectif principal avoué de Pro Deo est le soutien aux victimes des persécutions religieuses. S’appuyant sur ses recherches, Roulin montre cependant que l’aide accordée par la commission religieuse n’est sans doute jamais d’ordre matériel ou humanitaire, mais remplit une fonction propagandiste.

Par ailleurs, l’Allemagne occupe une place importante dans l’ouvrage puisqu’elle a également été une cible privilégiée de l’EIA dans un premier temps, puis de Pro Deo. En effet, l’établissement de relations privilégiées avec des correspondants dans ce pays devient un des objectifs de l’EIA sur lequel elle concentre ses efforts dès 1929, avant de pouvoir le réaliser notamment par le biais de l’Antikommintern. Cette organisation est aussi très proche de l’EIA dans son mode de fonctionnement (travail d’information par la lecture attentive de la presse soviétique, rédaction de rapports, etc). Roulin analyse finement également l’utilité de l’EIA pour l’organisation allemande anticommuniste en ce qu’elle lui a permis d’atteindre des milieux qui lui seraient restés fermés sans cette collaboration. Encore une fois, l’historienne a su consulter les sources qui lui ont permis de documenter la relation de façon bilatérale.

Deux des réalisations concrètes de Pro Deo et de l’EIA: l’exposition sur les sans-Dieu et l’organisation d’un congrès mondial anticommuniste sont analysées tant dans leur portée locale qu’européenne. La première est inaugurée à Genève en janvier 1934 dans un cercle très fermé et voyage ensuite en Europe. La seconde, organisée par l’Antikomintern avec l’aide de Lodygensky, réunit une quarantaine de participants, parmi lesquels des représentants de l’EIA et ses proches, près de Munich en 1936 dans une ambiance tout aussi secrète.

La croisade contre les sans-Dieu se poursuit dans les années 1930, notamment par des actions contre les congrès des libres penseurs entre 1936 et 1938. Roulin continue de suivre dans cette période la progression de l’organisation anticommuniste basée à Genève et de sa section religieuse, jusqu’au déclanchement de l’opération Barbarossa. Pendant la guerre, l’internement de militaires soviétiques en Suisse donne à nouveau l’occasion à l’EIA de faire usage du levier religieux pour atteindre ce public sous prétexte de fournir un secours spirituel aux soldats. L’analyse qui se termine avec la fin du conflit est complétée par un épilogue sur l’incapacité de l’EIA de s’en relever.

Dans cet ouvrage qui couvre une large période en se concentrant sur les aspects religieux de la lutte anticommuniste menée par l’EIA, Roulin montre également les principaux obstacles rencontrés, notamment la question de son caractère trop politique, qui constitue souvent un motif de refus de collaboration pour les milieux sollicités. L’historienne montre aussi les difficultés rencontrées par Pro Deo pour établir un équilibre religieux en son sein.

Il s’agit d’une recherche menée minutieusement, très bien documentée par de nombreuses sources, dont on voit par le matériau exploité la volonté de la chercheuse de suivre les réseaux et leurs traces dans les archives afin de saisir cette nébuleuse de l’anticommunisme religieux. L’usage de la bibliographie sur le communisme et sur l’URSS permet d’éclairer le lecteur sur les événements qui sont exploités par l’EIA pour nourrir son discours. Elle s’appuie également sur des travaux réalisés sur certains aspects de l’action de l’EIA ou sur les rapports de cette dernière avec certaines aires géographiques, ainsi que sur la thèse en cours de Michel Caillat qui a pour objet l’EIA.

Zitierweise:
Alix Heiniger: Rezension zu: Stéphanie Roulin: Un credo anticommuniste. La commission Pro Deo de l’Entente Internationale Anticommuniste ou la dimension religieuse d’un combat politique (1924–1945). Lausanne, Antipodes, 2010. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 2, 2011, S. 262-264

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 2, 2011, S. 262-264

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