M. Cassan: La Grande Peur de 1610

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Titel
La Grande Peur de 1610. Les Français et l’assassinat d’Henri IV


Autor(en)
Cassan, Michel
Reihe
Collection Epoques
Erschienen
Seyssel 2010: Champ Vallon
Anzahl Seiten
281 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
André Bandelier

Le 14 mai 1610, les chefs des armées françaises sont prêts à partir à la conquête des principautés de Clèves et de Juliers. C’est alors que le coup de couteau de François Ravaillac inaugure une courte séquence d’effroi et d’incertitude dans l’histoire de France, qui rappelle dangereusement l’assassinat d’Henri III par Jacques Clément une génération plus tôt. Reprenant le titre célèbre de Georges Lefebvre (La Grande Peur de 1789. Paris, Armand Colin, 1932), Michel Cassan fait de ce retour sur l’événement une occasion magistrale de redécouverte des vertus potentielles de l’événement au niveau méthodologique, dans la lignée d’un Pierre Nora.

L’analyse, à l’échelle du royaume, part de la perpétration du forfait sacrilège jusqu’au moment où les sources cessent de le rapporter ou de le commenter. Elle s’appuie sur deux éléments: l’acheminement de la nouvelle dans le pays jusqu’à sa transmission officielle aux populations; les réactions d’un peuple confronté à la mort soudaine du roi. Elles se fondent sur des sources doubles d’une ampleur inhabituelle: sources administratives (elles couvrent plus de la moitié des 240 villes assujetties à l’entretien de troupes) et écritures privées (corpus de 44 livres de raison qui parlent de l’événement). Les aléas de l’histoire et les lacunes de la conservation expliquent une couverture supérieure pour la France méridionale à celle du nord du royaume.

Un premier chapitre s’attache au «déficit sacramentel d’un trépas subit», d’où la réécriture partielle de la mort du roi. On octroie à Henri IV quelques instants de vie supplémentaires afin de le faire mourir en son palais et de pouvoir insister sur les signes de dévotion du roi. Mais la mort dissimulée par les compagnons du monarque reste de peu de poids dans une société qui sait qu’une blessure portée par le fer se solde encore par la mort certaine. A la difficulté du contrôle de l’information, l’entourage du roi répond rapidement: le vide politique est comblé par une Régence et la peur atténuée par la réaffirmation de l’édit de pacification, gage de la tolérance civile.

Les deux parties suivantes traitent de l’acheminement de la nouvelle et de sa circulation. Des lettres closes sont transmises à toutes les villes du pays, aux premiers présidents des Parlements, aux lieutenants généraux (les gouverneurs sont à Paris pour l’entrée de la reine primitivement prévue le 16 mai), aux responsables militaires. Les neuf routes de poste principales permettent d’atteindre Metz en 2 jours, Bayonne ou Toulon en 6 jours. Les courbes isochrones de l’enregistrement de la nouvelle suivent les courriers qui ont galopé et parcouru de 130 à 150 kilomètres par jour. Elles soulignent le contraste entre la France du nord sans grandes aspérités et la France des midis, plus montueuse et sans routes de poste. Une célérité supérieure aux messageries ordinaires évite bruits et rumeurs. Connaître rapidement la nouvelle est une condition nécessaire de la sécurité des villes et en avoir la primeur assure la pr otection des populations confessionnellement minoritaires.

Trois chapitres s’intéressent à cette quête de la sécurité et du retour au temps de la normalité: «Informer de la mort du roi»; «La mise en défense du royaume»; «Serments d’obéissance et pactes d’amitié». Institutions royales, échevinages et consulats portent à la connaissance des populations les lettres closes qui indiquent les changements à la tête de l’Etat sans délai, ou parfois, se ménagent un temps de latence pour prendre des dispositions, exceptionnellement ils falsifient l’information. Ainsi en Provence marquée par des complots ligueurs récurrents associés à des menaces maritimes gênoises et espagnoles, le gouverneur tait la mort du mort mais annonce la prétendue attaque imminente de l’Espagne. Partout, sans les habituelles querelles de préséance entre instances royales et échevinages, cité après cité, le pays se met en défense. On y prête aussi serment d’obéissance et de fidélité, en régions protestantes au roi et à l’Etat en manifestant ainsi l’éviction de la régente. Les serments d’amitié et de sauvegarde entre villes restent circonscrits aux provinces méridionales, mixtes confessionnellement.

Un chapitre particulier, «Ecritures privées et mort d’Henri IV», donne l’émotion des contemporains, en dépit de la sécheresse des propos. Hors les accusations fondées sur des projets bien réels de forfait envisagés dans les villes des Pays-Bas espagnols et dans les bastions du catholicisme en terre d’Empire surgissent les spéculations «arithmologiques» (les chiffres 7 et 14 expliqueraient «1610, année climatérique du roi») et les descriptions fantaisistes de l’assassin révélant les imaginaires de leurs auteurs (un rouquin vêtu de vert, couleur des ligueurs, qui aurait frappé de la main gauche). Avant que «La peur vaincue», celle du retour redouté à la guerre civile, ne marque le retour au temps ordinaire. Les contemporains y voient la main de la Providence; l’historien constate le triomphe posthume d’Henri le Grand et de son oeuvre, la restauration de l’autorité royale et la confirmation de l’Edit de Nantes.

Mais bien au-delà de l’attention portée au début du XVIIe siècle, l’historien soucieux de renouvellement méthodologique n’aurait pas encore compris l’intérêt de ce séduisant ouvrage si on ne soulignait pas, outre ce que le grand événement apporte en soi, ce que son traitement historique novateur livre en abondance: indirectement, l’essentiel souvent caché à sa vue avec une telle précision, en l’occurrence le fonctionnement précis de Etat royal dans ses rapports évolutifs avec ses populations, en particulier urbaines, la situation d’une société et la mentalité d’une époque.

Citation:
André Bandelier: compte rendu de: Michel Cassan: La Grande Peur de 1610. Les Français et l’assassinat d’Henri IV. Seyssel, Champ Vallon, 2010 (Collection Epoques). Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 3, 2010, p. 388-389.

Redaktion
Veröffentlicht am
20.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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