C. Chaponnière u.a.: La Mixité des hommes et des femmes

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Titel
La Mixité des hommes et des femmes.


Autor(en)
Chaponnière, Corinne; Martine Chaponnière
Erschienen
Gollion 2006: Les édition Infoclio
Anzahl Seiten
159 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nadine Boucherin

A l’instar du «gender», qui s’est imposé comme catégorie épistémologique dans le large éventail d’études consacré à la problématique des femmes, la mixité reconduit ce couple indissociable et irréductible pour appréhender les modalités et les raisons de la rencontre ou, au contraire, de l’éloignement des hommes et des femmes. Corinne Chaponnière et Martine Chaponnière remontent aux origines de la mixité et consacrent une partie importante de cet ouvrage stimulant au développement actuel, immédiat, de la mixité, qui apparaît sous des auspices plutôt préoccupants. Etude historique, mais aussi sociologique, cet ouvrage captive les lectrices et les lecteurs par le déroulement fluide des arguments et la présentation de nombreux exemples concrets des réussites de la mixité, mais aussi des entraves à son application.

Le terme apparaît dans les années 1950 dans le contexte scolaire où la réunion des deux sexes dans une même classe répond à l’idéal d’égalité entre femmes et hommes. Cette mixité n’échappe cependant pas à un va et vient entre identité et différence: la mixité rassemblante applaudit les bienfaits de l’interaction, alors que la mixité neutralisante doit inlassablement combattre les stéréotypes réducteurs des caractères féminins et masculins. Dès les années 1990, la mixité s’étend à d’autres diversités (communautaire, sociale, religieuse, …) qui tendent insidieusement à se résoudre à une équation binaire sur le modèle des sexes. Les auteures rappellent la dynamique existant dans la diversité où la différence précisément justifie l’initiative du rapprochement. Cette extension sémantique de la mixité pourrait à son tour modifier la perception de la mixité sexuelle «dans le sens d’une gestion des différences entre groupes coexistants, plutôt que vers la neutralisation ou le déni des différences» (p. 11).

Un des points d’ancrage essentiels de la mixité est son rapport à l’espace. En effet, cette notion complexe et non moins ambiguë concrétise des frontières symboliques. De l’isolement absolu, volontaire ou non, à la mixité parfaite, l’espace se compose de zones grises puissamment structurées par des survivances historiques, des intérêts économiques et des préjugés sexistes.

S’appuyant sur deux ouvrages de la Renaissance, Le Livre du courtisan (1528) de Baldassar Castiglione et les Essais (1580) de Montaigne, les auteures remontent aux origines de l’apprivoisement réciproque (l’utilisation ici de mixité paraît un anachronisme peu heureux) et décrivent les principales modifications qui l’affectent au fil des siècles. Les liens privilégiés et exclusifs de la courtoisie du Moyen Age cèdent alors la place à une «sociabilité de groupe» (p. 21), réunion des deux sexes dans un lieu privé qui annonce l’émergence de la civilité. Avec les exigences humanistes de la Renaissance et la conscience du Moi, la sphère privée est le lieu privilégié de l’introspection; la solitude se dépouille de ses oripeaux acétiques pour s’«embourgeoiser» (p. 27). Les salons des siècles suivants profitent de l’aura positif de cet espace privé, protégé, lieu d’inversion des valeurs de la Cour.

Cette socialité n’est réalisable qui si les hommes se dépouillent de leurs prérogatives masculines afin de se mettre à la hauteur des femmes (ce qui équivaut en fin de compte à un homme déchu!). Ce que nombre de contemporains nomment l’efféminement des moeurs et de la culture est virulemment critiqué à l’époque des Lumières où l’ignorance (des femmes) n’est plus valorisée. Les hommes développent alors des espaces «privés» exclusivement masculins: cafés, sociétés, clubs, cercles, loges maçonniques, …

Un double mouvement concomitant scelle alors l’avenir reclus des femmes: la politisation de la société, qui entraîne une dévalorisation de la sphère privée, et la privatisation de l’univers féminin. D’une part, médecins et moralistes démontrent, dès la fin du XVIIIe siècle, le lien intime et tenace qui relie les femmes à la nature, partant leur ultime finalité dans la société, d’autre part, le Code napoléonien procure une assise juridique à la séparation des sphères, cantonnant les femmes dans le privé. Quoique les lois entérinent pendant longtemps cette inégalité, les moeurs tendent à une détente entre les sexes et favorisent leurs retrouvailles. Cette tendance ne se dément pas, malgré les traumatismes causés par les Guerres mondiales, pour s’épanouir dans la liberté sexuelle et la mixité généralisée dans les années 1970.

Les auteures attirent l’attention sur un développement préoccupant de la mixité dans les quartiers défavorisés principalement des grandes cités. Ce phénomène nouveau, surgi au début du XXIe siècle, se caractérise par une polarisation extrême et radicale des sexes qui conduit à une séparation absolue des sphères. Ce virilisme rétrograde est le dernier refuge d’une identité dénigrée par la société d’accueil.

Les auteures accordent une attention particulière à l’école qui réalise l’intégration des filles en 1882. L’Education nouvelle prône, dès la fin XIXe siècle, la coéducation misant sur l’autonomie de l’enfant. Etant un individu à part entière, il est de la tâche des enseignant(e)s de lui offrir un laboratoire de la réalité, donc de le préparer à la vie sociale et professionnelle. La mixité à l’école se réalise dans les années 1960–1970, mais n’a pas rapporté les fruits escomptés: la violence a augmenté et l’égalité des chances n’est pas atteinte. Les auteures mettent en exergue un «curriculum caché» qui consiste en un ensemble de valeurs, normes et représentations que les enfants intègrent à l’école à leur insu. Les schémas traditionnels se perpétuent, souvent par les enseignant(e)s eux-/elles-mêmes qui n’en sont pas conscient(e)s.

L’apprentissage inconscient de sa place dans la société se retrouve dans la mixité au travail. Alors que les femmes réussissent leur scolarité globalement mieux que les hommes, elles se maintiennent dans les métiers à connotations féminines et renoncent souvent à persévérer dans un univers masculin qu’elles qualifient de revêche. Cette sournoise ségrégation professionnelle a une longue tradition historique où la rivalité entre les sexes a souvent relégué les femmes dans les travaux les moins prestigieux et les moins rémunérés. Les auteures parlent de «micromagnétismes» (p. 102) horizontaux et verticaux: les femmes se regroupent dans certains métiers avec une forte connotation féminine, et n’accèdent que rarement au sommet de la hiérarchie, le prestige étant réservé aux hommes.

Autre genre de prestige, la citoyenneté se construit tout au long du XIXe siècle sur l’exclusion des femmes. Avec l’introduction du suffrage universel en 1848, le droit de vote devient un attribut naturel masculin. Les auteures développent plus longuement le Sonderfall suisse, puisqu’il est le premier pays à accorder le droit de vote aux hommes et le dernier à l’accorder aux femmes. Sans expliquer les raisons de cette étrangeté, elles remarquent que les opposants avancent toujours les mêmes arguments: destruction de l’ordre naturel des sexes et déliquescence de la famille.

Les auteures prônent une action volontariste pour favoriser le retour de la civilité afin de permettre à la mixité de répandre ses bienfaits, celui notamment d’«activer la diversité» (p. 149) et de devenir un modèle d’organisation humaine. Encore faudrait-il, d’une part, que notre perception du monde se dépouille de sa binarité, ce qui ne semble pas acquis vu notre soumission au diktat binaire de l’informatique, à tous les supports médiatiques et à la science dont les hypothèses heuristiques demeurent binaires. D’autre part, l’activation de la différence, en l’occurrence sexuelle, rencontrerait une force d’inertie puissante parmi les femmes mêmes, puisqu’elle s’inscrit dans le débat féministe encore vif entre essentialistes et universalistes. L’appel des auteures apparaît dès lors comme un voeu pieu peu adapté à la disposition réelle des composantes de la société.

Il est regrettable que Corinne Chaponnière et Martine Chaponnière se soient presque exclusivement référées au modèle historique français et à la classe aisée de la société qui semble mieux documentée. Karin Hausen, notamment, décrit l’importance de l’apport féminin à la survie de la «maisonnée», qui représentait une communauté de production, (das ganze Haus) des petites gens; en outre, la séparation des sphères semble d’autant plus nette que les personnes concernées évoluent dans une catégorie sociale élevée. Les femmes «du peuple» entretenaient de multiples réseaux (village, quartier, parenté) et n’échappaient pas à la promiscuité quotidienne (marché, boutique, fêtes, messes, …).

Cela dit, cet ouvrage extrêmement stimulant nous sensibilise à une problématique actuelle et ouvre la perspective à de nouvelles études, principalement sociologiques, sur les aléas de la mixité dans notre société, dont le développement ou au contraire la régression nous renseigne sur l’état réel de notre idéal d’égalité sexuelle.

Citation:
Nadine Boucherin: Compte rendu de: Corinne Chaponnière et Martine Chaponnière: La Mixité des hommes et des femmes. Gollion, Infolio, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 2, 2007, pages 230-232.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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