A. Brunko-Méautis: La maison des souvenirs

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Titel
La maison des souvenirs. Récit d’un horloger neuchâtelois, Jules-Samuel Jequier, 1835–1915. Préface de Pierre-Luigi Dubied, professeur de théologie à l’Université de Neuchâtel. Postface de Jean-Pierre Jelmini, historien


Autor(en)
Brunko-Méautis, Ariane
Erschienen
Hauterive (NE) 2008: Éditions Attinger
Anzahl Seiten
348 p., ill.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Georges Andrey

«Mon roman» (p. 345): c’est ainsi qu’Ariane Brunko-Méautis, historienne reconnue, appelle son livre où elle met en scène son arrière-grand-père Jules-Samuel Jequier, auteur de brefs «Souvenirs» inédits rédigés dans les années 1880 et dont le texte, soigneusement retranscrit, est reproduit in extenso en annexe (pp. 297–320). Il s’agit à la fois d’un roman vrai et d’un vrai roman. Roman vrai car il repose entièrement sur des faits avérés et dûment vérifiés. Mais également vrai roman par la fiction d’un récit où son aïeul, par l’emploi du «je», est censé reprendre la plume outre-tombe pour écrire son autobiographie. Une autobiographie de plus de 300 pages qu’il a soin, par le truchement de son arrière-petite-fille Ariane mue en iconographe, d’agrémenter d’un impressionnant lot d’images – portraits, dessins, photographies, vues, reproductions de textes, etc. – dont le total s’élève à plus de 120. De cet ensemble, une vingtaine concernent sa propre personne, depuis son enfance jusqu’à la veille de sa mort à l’âge de 80 ans. Dans cette galerie de portraits, il figure tantôt seul (9 cas sur 20), tantôt en compagnie de sa femme Marie (2), tantôt en famille (9). Dans les portraits de famille (il s’agit de photographies), Marie – Vaudoise née Thévenaz – est toujours présente, du lendemain de son mariage en 1859 (elle a 23 ans) au seuil de la mort à l’âge de 74 ans.

Les «Souvenirs» de Jules-Samuel Jequier, précise B., «sont à la base de mon récit» (p. 297). Les passages qu’elle en cite, parfois longuement, au fil des 26 chapitres de l’ouvrage sont en italiques, avec renvoi au document original. Mais en ce cas, dira-t-on peut-être, pourquoi ne pas s’être contenté d’annoter le document pour le remettre dans son contexte? Parce que, à nos yeux (B. ne s’exprime pas sur ce point), les pages écrites de la main du mémorialiste, tout en rapportant certains faits précis et parfois très prosaïques de son existence, ressemblent davantage à un testament spirituel qu’à des Souvenirs traditionnels. En témoignent les premiers mots du document: «Mon âme, bénis l’Eternel et n’oublie pas un (seul) de ses bienfaits» (p. 297). Le testateur, infiniment reconnaissant des bienfaits dont il a été gratifié sa vie durant, écrit pour ses «chers enfants». C’est en chrétien moraliste qu’il s’adresse à sa postérité. Ses «Souvenirs» sont ceux d’un homme profondément pieux qui se juge comblé par Dieu le Père. D’où sa joie de vivre en dépit des épreuves qui l’assaillent. Le témoignage de ce gai puritain est un ciel constellé de surabondantes références religieuses. Ne va-t-il pas jusqu’à écrire qu’il est «en quelque mesure ambassadeur de Jésus-Christ»! (p. 301). De fait, il sera le fondateur et l’un des piliers de l’Eglise indépendante neuchâteloise de Fleurier, bourg florissant qui est à la fois son berceau natal, son cadre de vie et son tombeau. Ses revenus? La fabrication de «montres chinoises», d’origine suisse mais destinées à l’Empire du milieu. Cette activité horlogère, à laquelle il associe ses cinq fils, ne lui procure certes pas la fortune, mais à tout le moins une honnête aisance. Réalité palpable que l’homme de foi traduit comme suit: «Dieu pourvoyait largement à tous mes besoins» (p. 301). Les derniers mots des «Souvenirs» de ce grand croyant en font aussi un testament spirituel: «Merci, Seigneur, de m’avoir tant aimé quand je le méritais si peu» (p. 320).

En dépit de l’omniprésence de la religion, le trait majeur qui ressort du remarquable livre de B. – savoir à un siècle de distance se mettre dans la peau de son aïeul ne va pas de soi – est l’importance de la famille. Quelle vitalité! Marie donne naissance à 14 enfants en 19 ans, soit de 1860 à 1879. Elle accouche donc tous les 16 mois en moyenne. De cette progéniture, 4 meurent avant l’âge de 7 mois, mais tous les autres atteignent l’âge adulte. La répartition de ces 10 rejetons selon leur longévité est la suivante: 1 trentenaire, 1 quinquagénaire, 1 sexagénaire, 2 septuagénaires, 1 octogénaire et 4 nonagénaires, dont deux meurent quasi centenaires, à 99 ans: la fille aînée Marie-Louise (1860–1959) et Paul, onzième enfant (1875–1974). Le total des petits-enfants s’élève à 34. Jusqu’en 2008, le nombre des descendants est d’environ 200. Que conclure de ce constat? Trois choses, peut-être: d’abord, pour Jules-Samuel et Marie, tout enfant est un don du Ciel; puis l’enfant mort en bas âge est une épreuve salutaire voulue par Dieu; enfin, pour les chrétiens militants qu’ils sont, il faut assurer la pérennité de l’Eglise indépendante, en conséquence de quoi la procréation est un devoir. Foi religieuse et stratégie nataliste font bon ménage.

Un autre fait capital ressort du récit véridique imaginé par B.: la religion du travail est aussi importante que la religion tout court. Qu’il soit domestique, artisanal ou industriel, le travail est une valeur quasi sacrée. Même la chanson contribue à cette sacralisation: «Bien travailler, c’est s’amuser/ Faisons la guerre à la paresse/ Laborieux, on est heureux/ Travail vaut mieux que richesse» (p. 23). La presse de l’époque fait écho à la chanson. L’article nécrologique publié dans la gazette locale à la mort de l’établisseur Jules-Samuel le montre clairement: «Figure bien caractéristique» du Val-de-Travers, le défunt incarnait les vertus de son temps: «Sa longue carrière peut se résumer dans ces simples mots: travail, honnêteté et fidélité» (p. 291, citation). Installé jeune à son compte, l’horloger a su donner à son comptoir un essor rapide, d’où «une réputation bien établie». Et le journal de relever la satisfaction légitime d’un industriel aussi avisé qu’entreprenant, à témoin «les nombreuses fabriques construites à Fleurier par ses fils» (p. 292, citation). Quant aux mérites du défunt, ils sont évidents: «Il faut reconnaître, souligne le nécrologue, que si notre village est resté un centre horloger bien connu, c’est en grande partie à Jules Jequier et à sa famille que cela est dû» (id.). Et le journaliste de conclure en qualifiant le disparu d’«homme de bien».

Citation:
Georges Andrey: compte rendu de: Ariane Brunko-Méautis: La maison des souvenirs. Récit d’un horloger neuchâtelois, Jules-Samuel Jequier, 1835–1915. Préface de Pierre-Luigi Dubied, professeur de théologie à l’Université de Neuchâtel. Postface de Jean-Pierre Jelmini, historien. Hauterive (NE), Editions Gilles Attinger, 2008. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 3, 2009, p. 370-371.

Redaktion
Veröffentlicht am
30.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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