A. Clavien u.a. (Hrsg.): Les intellectuels antifascistes dans la Suisse

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Titel
Les intellectuels antifascistes dans la Suisse de l’entre-deux-guerres.


Herausgeber
Clavien, Alain; Nelly Valsangiacomo
Erschienen
Lausanne 2007: Editions Antipodes
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Pierre Jeanneret

Deux remarques liminaires. Le titre de ce petit, mais riche recueil, relève à dire vrai de la métonymie: sans prétendre à l’exhaustivité, il présente des intellectuels et ajoute un certain nombre de pièces au «puzzle antifasciste». Pouvait-on, par ailleurs, faire l’économie d’une définition précise de l’intellectuel, concept qui sera constamment mis à contribution dans ces quelque 150 pages? Un André Muret par exemple (dont l’hebdomadaire clairement antifasciste La Semaine n’est jamais mentionné) était-il d’abord un intellectuel? Un communiste? Un intellectuel communiste?…

Dans leur éclairante Introduction, les maîtres d’oeuvre de l’ouvrage expliquent par trois raisons l’état de friche partiel de ce champ de recherche: le mythe de la «concordance» lié à la «défense nationale spirituelle»; la méfiance helvétique envers les élites et leur faible poids moral et politique, dans un pays de surcroît linguistiquement morcelé; enfin des carences archivistiques. Les études, jusqu’à ce jour, se sont donc plutôt focalisées sur les exilés antifascistes italiens puis allemands, leurs actions et leur influence en Suisse. Cet ouvrage collectif se propose donc de combler quelques lacunes.

Vu ses liens de proximité géographique, linguistique et culturel avec l’Italie, le Tessin a joué dans le mouvement antifasciste un rôle sans commune mesure avec son importance démographique. Il fut l’un des lieux de séjour – fût-il provisoire –privilégiés des fuorusciti. Nelly Valsangiacomo se penche sur l’éphémère Associazione Romeo Manzoni (1929–30), dont le but était de faire pièce à la politique culturelle fasciste véhiculée par la Scuola ticinese di coltura italiana de Fransesco Chiesa. Cet article (un peu terni par des maladresses de langue et notamment des italianismes) présente une réflexion sur les rapports entre culture et politique.

De facture plus classiquement biographique, la contribution en allemand d’Erwin Marti rend un juste hommage à une très riche personnalité, celle de Carl Albert Loosli, le «philosophe de Bümpliz» ou encore le «Zola suisse». Son engagement était fondé sur le vécu personnel douloureux de son enfance (placements, maisons de redressement): ce dernier le rendra sensible à toutes les formes d’injustice et d’oppression. A juste titre, l’auteur met en exergue ses prises de position précoces et quasi visionnaires contre l’antisémitisme. C’est lui qui, en 1934–35, remportera le procès de Berne contre les Protocoles des Sages de Sion. Particulièrement intéressant est le rapport opéré par Loosli entre antifascisme et politique sociale. Très tôt et avec un courage sans failles, il ne cessa de mettre en garde contre l’«infâme barbarie hitlérienne» et le danger de l’expansionnisme nazi. Il dénonça aussi les modalités d’internement des réfugiés en Suisse. Pertinemment, l’ouvrage accorde une place importante aux organes de presse antifascistes… même si leur existence fut en général météorique! En bon connaisseur des problèmes tant éditoriaux que commerciaux de la presse (ainsi ses travaux sur la Gazette de Lausanne), Alain Clavien présente le quotidien genevois Le Moment (1933–34), créé par un antifasciste d’origine juive roumaine, Alfred Hefter. Moderne par sa présentation graphique, son recours à la photographie (caractéristiques qui annoncent La Semaine), Le Moment constitua une véritable concurrence pour les journaux établis. D’où une campagne violente et sournoise de pressions sur les autorités, marquée par un antisémitisme nauséabond, pour obtenir, finalement avec succès, l’expulsion de Hefter. Il faut dire que la figure de René Payot, souvent considéré comme un maître à penser du libéralisme, ne sort pas grandie de cette confrontation.

C’est à un autre journal, satirique celui-là, Le Canard libre (1936–38), que Milena Malandrini consacre son étude. Sa création – au financement de laquelle les Loges prirent une part importante – est liée au combat contre l’initiative antimaçonnique de 1937. L’auteure aurait pu mieux opérer le lien entre l’opposition des radicaux et celle des francs-maçons à l’initiative du fasciste Fonjallaz, en rappelant la forte pénétration de ces derniers dans le «Grand Vieux Parti» vaudois, et cela dès Druey et Ruchonnet. Les radicaux ne feront pas preuve du même libéralisme lorsqu’il s’agira d’interdire le Parti communiste! Comme Le Moment, Le Canard libre sera aussi la victime des difficultés financières inhérentes à un journal bénéficiant de faibles rentrées publicitaires. Il aura eu le temps de se poser en adversaire décidé du fascisme, du nazisme allemand, du frontisme helvétique, mais aussi du bolchevisme. On relèvera les caricatures particulièrement fortes de C. Ed. Guinand publiées dans ce journal: les concepteurs du livre ont eu l’heureuse idée de reproduire une série d’entre elles.

Mauro Cerutti se penche, lui, sur le Journal des Nations (1931–38) de Carlo Emanuele a Prato, un fuoruscito libéral proche du comte Sforza. Défendant les principes de la SdN et notamment les sanctions envers l’Italie conquérante, cet organe fut suspendu après l’expulsion de Prato, «personnalité chevaleresque, dont l’engagement antifasciste est d’abord de nature morale» (p. 110).

Stefanie Prezioso conduit une réflexion sur «les exilés antifascistes et leur impact sur la culture des pays d’accueil» (p. 111). Au centre de son analyse, on trouve la question des rapports entre les exilés politiques et l’immigration économique, souvent pauvre et peu instruite.

Enfin Alexandre Elsig et Arnaud Gariépy nous présentent La Bise (1932–33), feuille socialiste liée à deux personnalités trop oubliées du Parti socialiste genevois «nicoliste», Emile Unger et André Ehrler. Ce journal était illustré lui aussi par des caricatures vigoureuses – c’est un trait caractéristique de l’époque – à l’instar de sa bête noire, Le Pilori de Georges Oltramare, que La Bise assimilait volontiers à Hitler. Signalons que, pour chacun des organes de presse considérés ici, les auteur-e-s, loin de se cantonner à son contenu idéologique, ont pris soin de nous livrer des données factuelles indispensables: format, tirage, appuis financiers, etc. Cet ouvrage, de lecture en général agréable, offre donc un éventail de situations, de personnalités et de tendances de l’antifascisme. Il ouvre des pistes de recherche et suscitera sans doute – c’est l’un de ses objectifs explicites – d’autres travaux de recherche sur les différentes facettes de l’antifascisme en Suisse.

Citation:
Pierre Jeanneret: Compte rendu de: Alain Clavien, Nelly Valsangiacomo (sous la dir. de): Les intellectuels antifascistes dans la Suisse de l’entre-deux-guerres. Lausanne, Antipodes, 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 1, 2008, pages 106-107.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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