E. Valeri: «Italia dilacerata»

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Titel
«Italia dilacerata». Girolamo Borgia nella cultura storica del Rinascimento


Autor(en)
Valeri, Elena
Reihe
Studi e ricerche storiche
Erschienen
Milan 2007: Franco Angeli
Anzahl Seiten
288 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Bertrand Forclaz

Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, Elena Valeri étudie une figure aujourd’hui largement oubliée de la Renaissance italienne, le Napolitain Girolamo Borgia (1479–1550), auteur d’une monumentale histoire des guerres d’Italie, les Historiae de bellis italicis. Comme elle le souligne dans son introduction, si la des cente de Charles VIII en 1494 a entraîné une vaste production historiographique, ce sont surtout les travaux des Florentins (en particulier ceux de Machiavel et de Guichardin) qui ont été étudiés, tandis que la production des humanistes liés à la cour pontificale est moins connue. Il est vrai que l’ouvrage de Borgia, comportant vingt-et-un volumes et rédigé en latin, est resté inédit. Elle se propose dans son travail d’éclairer les raisons de cet oubli et de resituer le contexte religieux, politique et culturel dans lequel s’inscrit l’oeuvre de Borgia.

Le premier chapitre est consacré à la biographie de Borgia. Celui-ci, né dans une famille pro-aragonaise d’origine espagnole – mais pas apparentée à celle du pape Alexandre VI, contrairement à une fausse généalogie établie au XVIIe siècle – a fréquenté l’académie de l’humaniste napolitain Pontano, avant de choisir le métier des armes au début du XVIe siècle. Il participe alors au projet de libération de la péninsule de la domination étrangère. A partir du milieu des années 1510, il vit entre Naples et Rome et se dédie complètement à l’écriture historique. Sa rencontre avec Alessandro Farnese (le futur Paul III) au milieu des années 1520 s’avère déterminante: elle conduira à sa nomination comme évêque en 1542.

Dans le chapitre suivant, E. Valeri s’intéresse à la forme et à la méthode des Historiae. Elle y montre l’influence de la tradition historiographique classique, qui se marque en particulier à travers le choix d’un cadre chronologique, ainsi que la conception de l’histoire de Borgia, centrée sur l’action des hommes mais tenant compte des forces de la fortune et de la providence. Elle montre aussi les spécificités de Borgia, en particulier la rédaction de l’ouvrage au fil du déroulement des événements narrés et le large éventail des sources utilisées, notamment son expérience directe des guerres. L’étude des dédicataires des différents volumes constitue l’un des aspects les plus intéressants de cette partie: on y trouve notamment des membres de familles nobles napolitaines, un condottiere et le pape Paul III. Comme le souligne E. Valeri, l’ensemble des dédicaces suggère un parcours politique et culturel précis: s’il s’agit d’une oeuvre qui est née de la propre initiative de Borgia et non d’un travail de commande, l’humaniste a cependant besoin de mécènes. D’autre part, les Historiae constituent une tentative de synthèse entre les différents courants politiques, religieux et culturels qui animent l’histoire italienne de la première moitié du XVIe siècle.

Dans les deux chapitres suivants, E. Valeri analyse le contenu de l’ouvrage, en suivant le plan chronologique des Historiae. Borgia, qui débute son récit par la descente de Charles VIII en Italie en 1494, insère d’emblée les guerres d’Italie dans un jeu diplomatique européen plus large; il met aussi en évidence les fautes des souverains de la péninsule, en particulier du pape Alexandre VI, ainsi que le rôle du peuple – un élément inhabituel dans l’historiographie de l’époque – et les luttes de factions. Il présente également Charles VIII comme un instrument de la colère divine, reprenant la prophétie du dominicain florentin Savonarole, sur lequel Borgia porte un jugement positif. L’humaniste, qui critique les abus ecclésiastiques, consacre tout un livre à la réforme de l’Eglise, faisant l’éloge du concile comme instrument de réforme, à l’instar d’Erasme, pour lequel il affiche son estime. L’apparition de Luther dans son ouvrage est étroitement liée à celle du pape Léon X, rendu responsable par Borgia des malheurs politiques et religieux de l’Italie; si Borgia perçoit la Réforme luthérienne comme une nouvelle étape du combat entre l’Allemagne «barbare» et l’Italie «civilisée», son jugement sur le Réformateur, à la différence de la plupart des textes contemporains, n’est pas polémique. A partir des années 1520, Charles Quint est un protagoniste central de l’oeuvre de Borgia, qui donne une large place aux prophéties le concernant, et le présente comme monarque universel et porteur d’un espoir de pacification de l’Italie; après le couronnement impérial de Charles Quint à Bologne en 1530, Borgia célèbre sa domination en Europe et le compare aux empereurs romains. Dans l’ensemble cependant, le jugement porté sur l’empereur est ambivalent, notamment du fait de la complexité de la situation politique italienne, entre espoir de liberté de l’Italie et nécessité de stabilité et de paix. A l’inverse, le pape Clément VII, dont le comportement ambigu précipite le Sac de Rome en 1527, fait l’objet d’une critique dure; Borgia s’en prend également aux moeurs corrompues de la Curie romaine. Les années 1530, enfin, voient le déplacement du jeu politique et militaire européen vers le bassin méditerranéen d’une part, la France et l’Allemagne de l’autre, une évolution que l’on retrouve dans les Historiae. Borgia adhère à la propagande impériale et soutient son programme de réforme de l’Eglise, à travers la convocation du concile, et de croisade contre les Turcs. L’autre protagoniste de ces années est Paul III, protecteur de Borgia, le seul pape sur lequel il porte un jugement positif, présentant son accession au trône pontifical comme une occasion de renovatio Urbis. Les derniers volumes, enfin, sont consacrés au concile de Trente et aux espoirs de réconciliation de la chrétienté dont il est initialement porteur. Avec l’échec du projet iréniste, c’est un monde qui disparaît; un nouveau climat culturel émerge, marqué par la fermeture et la censure, et la publication de l’oeuvre de Borgia devient impensable: il plonge alors dans l’oubli, qui est «peut-être la forme de censure la plus efficace, parce que silencieuse et durable» (p. 220).

Cet ouvrage représente une contribution importante à l’histoire culturelle, politique et religieuse de la Renaissance italienne. E. Valeri y restitue tout d’abord le milieu humaniste napolitain et romain, dont Borgia est un représentant de premier plan; elle met en évidence une pratique historiographique qui perçoit le présent à travers des catégories largement empruntées à la culture antique. Elle met aussi en évidence les ambiguïtés de la position politique de Borgia, fervent partisan de la liberté de l’Italie, mais qui se rend progressivement compte du caractère durable de la domination espagnole et de sa contribution à la stabilité politique de la péninsule. Enfin, elle présente une position religieuse hardie, critique envers l’Eglise et la papauté et proche d’Erasme. La force de l’ouvrage, porté par une érudition admirable, est d’étudier de façon conjointe ces différents domaines et d’effectuer un va-et-vient constant entre discours historique et contexte politique et religieux, rappelant l’adage de Benedetto Croce: «toute histoire est contemporaine».

Citation:
Bertrand Forclaz: compte rendu de: Elena Valeri: «Italia dilacerata». Girolamo Borgia nella cultura storica del Rinascimento. Milan, Franco Angeli, 2007 (Studi e ricerche storiche). Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 2, 2009, p. 248-250.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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