En trente chapitres, Jean-Pierre Rioux propose au lecteur un voyage au coeur d’un siècle d’histoire française. Trois moments scandent le parcours: «Prémisses de la Belle Epoque» (1874–1914), «Au trébuchet des guerres» (1914–1944) et «Libérations» (1944–1974). Ce volume est constitué d’une réécriture de contributions déjà publiées dans des revues et des ouvrages collectifs. Ce recueil, qui offre opportunément la possibilité d’accéder à des textes dispersés, permet de mesurer la cohérence d’une démarche éclectique, menée avec un souci constant de la pédagogie et de la transmission des savoirs, marquée par la volonté de construire une histoire qui s’enracine dans les enjeux du présent.
Ce livre permet également de retrouver des thèmes que Jean-Pierre Rioux affectionne depuis trois décennies. C’est une «civilisation d’embellies» que le livre donne à découvrir: les congés payés du Front populaire, la culture pour tous portée par les associations d’éducation populaire, l’affirmation du sport de masse, les débuts de la télévision, les «sixties» dessinent une approche résolument optimiste. Les moments de crise et de refondations politiques ne sont certes pas oubliés: l’Affaire Dreyfus bien sûr, la crise des années trente, l’exode et l’Occupation, l’épuration et la guerre d’Algérie. Quelques portraits se singularisent: Louis Renault, Jean Jaurès, Charles de Gaulle, Marc Bloch ou encore Pierre Mendès France. L’approche qui traverse l’ensemble des textes est fortement colorée par une histoire des représentations déclinée sous deux formes: la représentation politique et la consommation culturelle.
L’écriture privilégiée par Jean-Pierre Rioux mérite d’être soulignée. Issu de l’histoire politique, comme d’autres élèves de René Rémond, converti à l’histoire culturelle, l’auteur a toujours eu le souci de toucher un large public, sans pour autant abdiquer la rigueur scientifique. Chroniqueur à La Croix, après l’avoir été au Monde et au mensuel L’Histoire, Jean-Pierre Rioux est un vulgarisateur talentueux. Il a su faire partager des fronts pionniers de la recherche, qu’il ouvrait depuis l’Institut d’histoire du temps présent qu’il contribua à construire, au côté de François Bédarida, au cours des années quatre-vingt, dans les colonnes de la revue Vingtième Siècle qu’il dirige depuis 1984, dans les séances du séminaire d’histoire culturelle qu’il anime depuis 1989 avec Jean-François Sirinelli. Ajoutons que Jean-Pierre Rioux est l’un de ceux qui ont contribué à légitimer une histoire du temps présent au sein d’une université française quelquefois bien frileuse.
Le lecteur helvétique peut lire ce gros livre comme une introduction stimulante à l’histoire culturelle de la France du siècle dernier. Les orientations bibliographiques qui terminent chaque chapitre seront particulièrement utiles aux étudiants des départements d’histoire et de civilisation française. Servis par une plume alerte, souvent brillante, ces chapitres, véritables «cultural studies» à la française, sont un vrai bonheur... Loin du pessimisme culturel, qui assaille beaucoup d’intellectuels de la «vieille Europe», ce parcours d’un siècle de civilisation française, qui est aussi celui d’un historien, se termine par une interrogation sur la France d’aujourd’hui. Le bilan est plus mitigé à l’aune du triomphe de l’individualisme démocratique. L’auteur souligne la nécessité de maintenir la transmission d’une culture humaniste, repère indispensable au devenir de la société française: «comment suivre la ligne d’une continuité historique et culturelle si l’on a désappris non seulement à y participer, à la lire mais aussi à la désigner? Comment progresser si l’on n’est plus imprégné de quelque idée des origines? Un des enjeux pour demain consistera à tenter de retrouver une cosmologie culturelle et religieuse qui permettrait de ne pas s’engluer dans le magma de l’intimité quotidienne et du ‘présentisme’ à répétition.»
Citation:
Philippe Poirrier: compte rendu de: Jean-Pierre Rioux: Au bonheur la France. Des Impressionnistes à de Gaulle, comment nous avons su être heureux. Paris, Perrin, 2004. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 4, 2004, p. 467-468.