F. Vallotton: L’édition romande et ses acteurs 1850–1920

Cover
Titel
L’édition romande et ses acteurs 1850–1920.


Autor(en)
Vallotton, François
Erschienen
Genève 2001: Slatkine Reprints
Anzahl Seiten
478 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Valérie Tesnière

C’est un beau travail d’historien qu’offre François Vallotton sur un sujet peu évident. Comment, sans forcer la problématique, cerner au cours du XIXe siècle et au tournant du XXe l’émergence d’une édition romande dans un pays pratiquant le multilinguisme, qui n’a pas la tradition centralisatrice de la France et qui ne connaît pas le même stimulant nationaliste que l’Allemagne? Le grand mérite de ce livre est de dégager des constantes dans les mutations d’une profession qui affronte la modernité. Si les éditeurs romands ne se distinguent pas de leurs homologues européens et connaissent une même évolution qui les conduit du métier de libraire et/ou d’imprimeur à celui d’éditeur au sens actuel du terme, leur rôle économique et culturel spécifique, de «lien social», est parfaitement mis en lumière dans l’originalité de l’espace suisse. Cette mise en perspective d’un XIXe siècle méconnu, permet de recadrer dans une vraie continuité le rayonnement des librairestypographes de Neufchâtel, Yverdon, Genève ou Lausanne d’Ancien Régime (les familles Cramer ou de Tournes, par exemple) et l’autre terme de l’étude, le mythe patriotique et littéraire dont les Cahiers vaudois ont été l’expression la plus célèbre dans les années vingt du siècle dernier. La lutte contre la contrefaçon à partir de 1770, puis la coupure de la Révolution contraignent la profession à un repli sur le marché local qui, en dépit de la poussée démographique, tarde à décoller en raison d’une lente alphabétisation. Le prosélytisme – suisse – de nombreuses sociétés évangéliques, notamment en milieu rural, contrebalance cette relative stagnation et profite à la circulation de l’imprimé. Celle-ci décolle à partir de 1840 grâce à diverses mesures en faveur de l’instruction publique et de la liberté de la presse. Parallèlement la question douanière agite une profession qui a du mal à se doter d’instances professionnelles adaptées aux mutations en cours, notamment aux progrès du libre échange et à la concurrence du marché parisien. En 1870, la Suisse romande compte 102 libraires éditeurs, dont 71 libraires, 19 libraires éditeurs, 10 im primeurs libraires et un imprimeur éditeur... C’est un milieu contrasté, caractérisé par un fort individualisme, où émergent les figures de Victor Bridel, Joël Cherbuliez (édition religieuse), Jules Sandoz, John Jullien (histoire locale), Samuel Blanc (livre scolaire), tous à l’origine de la première Société des libraires et éditeurs de Suisse romande. Leurs itinéraires révèlent les axes choisis par les éléments les plus novateurs d’une profession qui attire peu de capitaux, ceux-ci étant de préférence investis dans l’industrie lourde et les transports: une édition spécialisée, de rares tentatives réussies d’intégration verticale, la recherche du débouché français avec un inégal succès. Pour ces ténors, comme leurs émules les plus talentueux qui réussiront plus tard à percer sur le marché parisien comme Gustave Payot ou bien partiront de Paris pour réussir leur implantation en Suisse (Eugénie Droz ou Albert Skira), le parcours est à rapprocher aussi de celui de confrères français de la même époque; il diffère de celui des grands négociants de naguère et mise sur l’acquisition d’une formation universitaire autant qu’une forte inscription dans la vie politique et sociale. On n’observe toutefois pas comme ailleurs, de phénomène marqué d’édition engagée, car la recherche de débouchés viables passe par une certaine neutralité politique et religieuse qui caractérise la seconde moitié du XIXe siècle. Mais en cela, comme le souligne avec justesse F. Vallotton, en phase avec l’évolution de la société suisse sans doute les éditeurs sont-ils moteurs dans la production de «lien social» en tentant de dépasser les tensions politiques pour se ménager l’intérêt bienveillant des élites économiques. Conservatisme ou avantgardisme? L’auteur resitue également au fil de pages nuancées particulièrement bienvenues les contradictions d’une affirmation du nationalisme romand par le prisme éditorial. L’approche est tout aussi féconde en ce qui concerne la dépendance symbolique par rapport au modèle parisien et à son poids économique. Visàvis du marché francophone, en plus de la réussite individuelle d’un Gustave Payot dans le paysage intellectuel parisien, il faudra mettre à l’actif de l’édition romande une suprématie reconnue dans le créneau de l’édition illustrée, l’édition belge ayant privilégié de la même manière des débouchés moins développés en France comme le roman bon marché ou la bande dessinée. Les lectures de ce livre sont multiples et foisonnantes: F. Vallotton dresse une galerie de portraits inédite complétée d’une typologie des acteurs du livre, une analyse des stratégies éditoriales remarquable, de précieuses annexes statistiques incluant une comparaison de l’activité des maisons de Victor Attinger et de Gustave Payot.

L’auteur aborde à la marge le champ du colportage (sources d’archives vraisemblablement défaillantes) et explore insuffisamment celui de la presse d’opinion, qui aurait utilement complété le tableau de l’impact de l’essor de l’imprimé dans un espace restreint comme celui de la Suisse romande. Compte tenu de l’ampleur des sources exploitées par ailleurs par l’auteur et du tour de force que représente leur rassemblement et leur confrontation, cela ne manque guère à l’étude qui reste très convaincante dans son objet principal, celui de la production et de la diffusion du livre, et surtout dans sa problématisation. Car l’ambition, rendre compte des transformations structurelles de la société suisse contemporaine par le biais de l’histoire du livre, est pleinement atteinte. Rigoureux et stimulant dans son analyse, F. Vallotton continue de témoigner avec talent de l’apport d’une histoire du livre maîtrisant les données économiques, sociales et culturelles au renouvellement des problématiques de l’histoire tout court.

Citation:
Valérie Tesnière: compte rendu de: François Vallotton: L’édition romande et ses acteurs 1850–1920, Genève, Slatkine, 2001. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 1, 2004, p. 93-94.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.12.2011
Redaktionell betreut durch
Kooperation
Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
Weitere Informationen