S. Arlettaz: Citoyens et étrangers sous la République helvétique

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Titel
Citoyens et étrangers sous la République helvétique (1798-1803).


Autor(en)
Arlettaz, Silvia
Erschienen
Genève 2005: Editions Georg
Anzahl Seiten
440 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Danièle Tosato-Rigo

Rendre compte du projet républicain de restructurer les rapports sociaux sur la base des principes de Liberté et d’Egalité, en analysant la brève existence d’un droit de cité helvétique, tel est l’objectif majeur de la thèse de doctorat de S. Arlettaz. Sur la base d’un vaste corpus de sources normatives et de correspondances, elle étudie les conditions dans lesquelles s’est effectuée cette première tentative de définir la collectivité helvétique en termes politiques. Il en résulte une division de l’ouvrage en quatre parties définies comme champs de prospection de la relation liant le binôme citoyens–étrangers à la construction de l’Etat national: «La République helvétique, un Etat national?», «Droit de cité et droits de citoyen», «Citoyens et étrangers dans la société civile», «Maintien de l’ordre public et sécurité de l’Etat».

Dans la première partie, l’analyse des concepts de «peuple souverain», «nation», «patrie» et «république», conduit à l’affirmation du caractère politique de la nation helvétienne. Car si la Constitution de 1798 a appelé dans le sillage de 1789 la création d’un «peuple souverain» indigène, admis à l’exercice des droits politiques, l’idée de «nation» vient se greffer sur une Ancienne Confédération aux héritages culturels, confessionnels et politiques, considérés comme trop hétérogènes pour envisager de fondre les Suisses dans une entité nationale: nonobstant un sentiment suisse qui avait trouvé son expression en particulier dans le mouvement helvétiste, le concept de nation demeure dès lors largement étranger à la population. Postulat de l’élite républicaine de 1798, il fait l’objet d’un transfert vers l’idée de «patrie» ou de «République» qui s’inscrivent davantage dans une continuité historique. La création d’une identité civique, fruit de l’intense action législative de la République, se traduit quant à elle par la volonté de développer l’«esprit public», d’éduquer mais également de contrôler administrativement le citoyen encouragé voire contraint à adhérer aux nouveaux symboles nationaux (serment civique, port de la cocarde, fêtes nationales).

Les phénomènes d’inclusion et d’exclusion que l’auteure considère comme inhérents à la construction de l’espace national font l’objet de la seconde partie: «Etre Helvétien» ou «Devenir Helvétien» constituent les deux facettes d’une citoyenneté que la République réfractaire au jus soli rattache fermement à ses droits souverains. La question de la naturalisation des étrangers, centrale dès lors que l’étranger «est perçu avant tout comme un futur membre actif de la communauté nationale» (p. 117–118) est analysée sous le triple angle des conditions de son octroi, des autorités compétentes et de la confrontation entre législation et pratiques. L’exemple du canton du Léman amène l’auteure à la conclusion que «l’octroi du droit de cité est moins envisagé comme un instrument d’intégration que comme un moyen de protection de la communauté nationale […]» (p. 202). Ce constat est suivi, dans la troisième partie de l’ouvrage, de celui de l’inégalité des droits conférés aux citoyens et aux étrangers dans la société civile, qui résulte des peurs conjuguées des corps de métiers et de bourgeois, craignant la concurrence économique, le partage de l’accès aux biens communaux et l’augmentation des charges d’assistance sociale. Pour traiter du protectionnisme et de la sélectivité qui caractérise à quelques exceptions près l’attitude des législateurs à l’égard des étrangers, l’auteure s’arrête sur des débats parlementaires particulièrement révélateurs, tels ceux relatifs à l’établissement des étrangers, au colportage ou au statut des Juifs. L’ouvrage se conclut par une analyse de la construction des catégories de citoyen et d’étranger sous l’angle du maintien de l’ordre public et de la sécurité de l’Etat, lorsque la dérive totalitaire de la République promeut la haine de l’étranger «au rang de vertu et d’instrument fédérateur de la nation» (p. 315), tandis que les droits du citoyen (liberté de circulation, de la presse, droit d’asile) sont limités par les impératifs sécuritaires.

L’approche développée par l’auteure qui s’écarte à la fois de l’histoire événementielle et de l’histoire politique traditionnelle s’avère particulièrement fructueuse. Tout au plus, compte tenu de l’intensité des débats législatifs et de leur forte imbrication dans une conjoncture politique troublée, aurait-on pu souhaiter une entorse à «l’histoire-problème» sous la forme d’une chronologie en annexe, voire d’un contexte socio-politique plus général présenté conjointement aux fondements idéologiques de la République. C’est le seul souhait que puisse susciter une étude remarquablement cohérente qui vient incontestablement combler une lacune dans l’historiographie non seulement de la République helvétique, mais de la culture politique en Suisse. En prenant largement en compte les dimensions économique et sociale du statut de citoyen, elle apporte un éclairage original sur le champ encore en friche que représente la construction de l’Etat national en Suisse. Le choix d’une perspective qui inclut le long terme fait ressortir aussi bien la profonde rupture que constitua l’indigénat helvétique – et son rôle de jalon respectivement à la création de l’Etat fédéral de 1848 – que le poids des mentalités encore enracinées dans l’Ancien Régime qui ont présidé à l’élaboration des décisions et à leur réception. En considérant son élaboration comme un processus dynamique, révélateur de tensions, l’auteure met particulièrement en évidence le rapport dialectique dans lequel commencent à se construire Etat et entité nationale. Ce rapport implique la participation du citoyen au fonctionnement et à la défense de l’Etat. Mais il génère également la création de la catégorie des «étrangers» au sens moderne du terme, puisqu’au «forain» d’Ancien Régime, issu d’une autre communauté, se substitue désormais un étranger défini comme ressortissant d’un autre Etat. Plus encore que de la défense d’intérêts communaux, auxquels la République finira par céder beaucoup de terrain, les tensions qui sous-tendent la création du «citoyen helvétien» résultent de l’impossible résolution de ce paradoxe originel: celui de la construction d’un Etat-nation, qui en oeuvrant à l’intégration des Helvétiens en a écarté l’étranger, et aux inégalités d’Ancien Régime a substitué d’autres clivages et exclusions en créant les «étrangers de l’intérieur», non conformes aux valeurs dominantes. L’universalisme des valeurs républicaines apparaît ainsi remis en cause par leur incarnation dans un système d’institutions nationales. Le grand mérite de cette étude est de le démontrer avec rigueur, sans négliger les discours demeurés minoritaires ni omettre le changement d’échelle qui conduit des débats de principes aux questions de politique au quotidien, patentes et autorisations de séjour comprises. Leurs innombrables détails renvoient à la multiplicité des intérêts en jeu et se révèlent d’une troublante actualité.

Zitierweise:
Danièle Tosato-Rigo: Rezension zu: Silvia Arlettaz: Citoyens et étrangers sous la République helvétique (1798–1803). Préface de Gérard Noiriel, Genève, Georg, 2005. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 56 Nr. 1, 2006, S. 105-106.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 56 Nr. 1, 2006, S. 105-106.

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