I. Herrmann: Genève entre République et Canton

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Titel
Genève entre République et Canton. Les vicissitudes d’une intégration nationale (1814–1846).


Autor(en)
Herrmann, Irène
Erschienen
Genève 2003: Editions Passé Présent
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Gérald Arlettaz

Tout au long de la Restauration, du gouvernement de «progrès graduel» et de l’émergence de l’opposition radicale, Irène Herrmann retrace les vicissitudes de l’intégration de Genève à l’entité nationale. D’entrée de jeu, l’auteur expose les dimensions du problème. La thèse est l’helvétisation de Genève, non pas évidemment au niveau factuel, par négociation d’alliance ou de souveraineté, mais à celui de l’«intégration». L’auteur pose le problème de l’identité, de son bricolage, de son évolution, de sa dynamique relationnelle et – c’est là un des points les plus originaux de l’ouvrage – de sa préservation.

Dans sa démarche pour mettre en oeuvre cette étude de cas, Irène Herrmann choisit d’aborder comme plan: la société genevoise, la politique genevoise et bien sûr l’identité genevoise. Comme il se doit, bien que fortement documentée dans sa réalité historique, la société, très catégoriquement divisée entre élite et peuple, est appréhendée comme génitrice du problème de l’indépendance nationale. Pour son analyse, l’auteur aborde avec pertinence les caractéristiques historiques et culturelles des Anciens et des Nouveaux Genevois et de ce fait leur capacité possible d’intégration à un nouvel espace.

La politique genevoise est au centre de la démarche. A ce stade, la quête du processus identitaire doit s’accompagner de l’étude de nombreux paliers et de l’évocation d’une foule d’exemples et de faits plus ou moins signifiants. La lecture s’en ressent quelque peu. Pourtant, parmi les passages les plus enrichissants, mentionnons en particulier le travail d’adaptation au contexte helvétique opéré dans le cadre politique et religieux, de même que l’adaptation populaire. De manière générale, l’auteur est particulièrement à l’aise dans les questions religieuses dont elle sait dégager les implications politiques, sociales et identitaires. Les événements politiques, parfois très détaillés, sont également intégrés dans leur signification à l’«intégration» helvétique et au maintien d’une spécificité genevoise.

Si les deux premiers volets du triptyque réunissent les matériaux nécessaires à la construction de l’ouvrage, le troisième, l’«identité genevoise», nous fournit la clé de l’édifice. Opposant les éléments de la nationalité genevoise (entre autres l’indépendance, l’éducation, le protestantisme et la République) au «mythe helvétique», Irène Herrmann montre comment Genève s’est d’abord adaptée à ce mythe avant de s’y identifier et de se l’approprier. L’adaptation est modulée par les contingences genevoises; elle est également utilitariste. Histoire, passé, fêtes et paysages, tout incite Genève à décréter le mythe helvétique assimilable, voire déjà assimilé vers 1830: «la cité ne doit pas devenir suisse, elle l’est».

En outre, dans plusieurs analyses et notamment dans celle de la révolution de 1846, Irène Herrmann montre que les différents partenaires de l’action, se situant par rapport à l’image qu’ils se font de la Confédération et de leur intégration, «luttent en fait pour la même chose: la préservation de ce qu’ils pensaient être l’identité genevoise» (p. 339). Le mobile identitaire, qu’il soit «progressiste» ou «conservateur », agirait donc comme mesure d’adaptation entre le soi et sa projection idéale. C’est là à la fois un constat et une hypothèse à noter avec soin.

Finalement – l’auteur termine son étude par quelques-unes de ces meilleures pages – Genève affirme la supériorité de son esprit républicain contre les excès de la liberté helvétique. Elle proclame de ce fait sa «supériorité par la modération». Dès lors, Genève imaginera jouer le rôle de guide dans celui de la construction identitaire helvétique. De ce fait, il est légitime de parler d’un «immobilisme symbolique qui sous-tend le processus mental d’adaptation nationale. Il pousse les autochtones à accepter leur nouvelle appartenance helvétique pour peu que la Suisse devienne genevoise et leur en sache gré».

Une telle analyse est particulièrement convaincante en ce qu’elle définit les rapports entre une société et sa construction dans l’espace national. A cet effet, les termes de «national» et de «nationalité» exprimant l’interaction entre Genève et la Suisse sont équivoques, désignant une double perception du rapport à soi et à l’autre. Selon Irène Herrmann, «Genève, riche d’un passé individuel illustre, se concevait fondamentalement comme nation (...) elle a tendance à considérer la Confédération comme une sorte d’égale.» Les caractéristiques identitaires de la «nation genevoise» «se désignaient par le terme particulièrement parlant de nationalité ». Ces propos sont très porteurs en ce qu’ils ne se limitent pas à la période considérée (1814–1846) mais restent très explicatifs pour la Genève plus récente, celle du début du XXe siècle par exemple. Vers 1910, le parti libéral et le Journal de Genève défendent une «Genève suisse». Ils entendent lutter contre les influences morales et culturelles étrangères sur l’«âme» et les «traditions genevoises» désormais inscrites dans une entité fédérale référentielle. L’identité est alors perçue comme genevoise, c’est-à-dire suisse, mais suisse d’une qualité distincte.

Les grandes qualités de l’étude d’Irène Herrmann n’occultent cependant pas quelques défauts. La construction de l’ouvrage est parfois touffue; les périodes chronologiques, les faits politiques et religieux s’entremêlent et le lecteur peut parfois éprouver une impression de répétition. En outre, et cela est quelque peu étonnant à l’heure de la valorisation des études comparatives, l’auteur ne se réfère que très occasionnellement à la littérature existante sur d’autres cantons. Depuis un certain nombre d’années, celle-ci s’est pourtant enrichie. Ainsi, l’exposé sur la politisation de la société genevoise (élite et peuple) ignore les études similaires. Il en va de même des analyses sur la sociabilité nationale et sur le Réveil, ainsi que des réflexions sur l’attitude de l’«élite» face à l’appel au peuple (p. 278). Plus grave peutêtre, s’il est indéniable que les concepts de «liberté», d’«indépendance», de «moeurs» et d’«éducation» font partie du vocabulaire identitaire genevois, il serait nécessaire de situer ces concepts dans le bagage commun des collectivités suisses voire étrangères en quête de «nationalité» et d’intégration. Or, dans le travail d’Irène Herrmann, ces valeurs sont exposées sans autre dans le paragraphe intitulé «les spécificités genevoises» (p. 353).

Ce travail genevois reste pourtant exemplaire, par sa démonstration d’une intégration nationale fondée sur les logiques identitaires mais aussi par la somme exceptionnelle d’un savoir intelligemment analysé.

Citation:
Gérald Arlettaz: Rezension zu: Irène Herrmann, Genève entre République et Canton. Les vicissitudes d’une intégration nationale (1814–1846), Genève, Editions Passé Présent; Québec, Presses de l’Université Laval, 2003. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr.1, 2005, S. 113-114.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.11.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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