A. Clavien: La Province

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Titel
"La Province n'est plus la province". Les relations culturelles franco-suisses à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale (1935-1950).


Autor(en)
Clavien, Alain; Gullotti, Hervé; Marti, Pierre
Erschienen
Lausanne 2003: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
365 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Sylvie Béguelin

Alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti, ont choisi d'étudier de manière détaillée l'histoire des relations culturelles franco-suisses entre 1935 et 1950. Pour écrire cet ouvrage, les trois historiens, membres du Groupe de recherche en histoire intellectuelle contemporaine (GRHIC), ont dépouillé une quantité impressionnante de documents, tant dans les archives publiques que dans les archives privées, en Suisse et en France. Ils ont analysé plus d'une quinzaine de revues et journaux publiés en Suisse romande entre 1936 et 1949 et ont complété leurs sources par des interviews de témoins de cette époque. Cette étude très fouillée, qui a d'ailleurs bénéficié du soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNRS), est découpée en trois parties, retraçant des moments clés de l'histoire intellectuelle européenne: l'immédiat avant-guerre jusqu'à la capitulation française (1935-1940), l'occupation et le régime de Vichy (1940-1944), la libération et la reconstruction (1944-1950). De brèves notices biographiques des principaux personnages cités éclairent le lecteur sur leur parcours personnel. Une démarche identique a été réalisée pour les revues. Enfin, un index des noms complète le travail.

Dans la première partie, les auteurs dressent un état des lieux de la période d'avant-guerre du point de vue des échanges franco-suisses, en les analysant sous l'angle des réseaux, académiques, associatifs et institutionnels, mais en mettant aussi en évidence les relations personnelles qui ont permis ces échanges. A cette époque, Paris joue le rôle de pôle littéraire européen, se présentant comme un réservoir d'auteurs potentiellement attractifs pour le lectorat provincial. De nombreux écrivains romands y tentent leur chance, avec plus ou moins de bonheur. Certains d'entre eux reviennent en Suisse à la suite d'un échec, mais gardent leurs liens parisiens.

La deuxième partie, la plus volumineuse, met en scène la rupture occasionnée par l'occupation de la France par les Allemands. De nouvelles règles du jeu sont imposées: censure, papier restreint soumis aux allocations, contrôle strict des frontières. Les milieux intellectuels français sont partagés. Certains se tournent vers Vichy, d'autres vers la Résistance. De nombreux écrivains français, muselés dans leur pays, se tournent vers la Suisse, fenêtre d'expression au milieu d'une Europe en guerre. La collection des Cahiers du Rhône, lancée par Hermann Hauser et Albert Béguin, illustre ce développement. La Suisse devient par ailleurs une terre d'accueil pour les intellectuels menacés d'emprisonnement, mais aussi pour ceux qui fuient la dureté de la vie sous l'occupation. Les revues et journaux suisses profitent en quelque sorte du chaos français. Leur tirage augmente. L'attraction se renverse: «La Province n'est plus la province» constate Daniel Simond en 1942. Or, cette étude met aussi en lumière le rôle parfois ambigu joué par quelques écrivains, revues ou journaux en Suisse. Prises de position en faveur de Vichy, complaisance pour l'occupant. La stricte neutralité est parfois difficile à respecter.

La troisième partie de l'étude révèle la difficile reconstruction de la France après une division qui a duré plusieurs années. La situation privilégiée de la Suisse, due essentiellement à l'affaiblissement momentané de son voisin, cesse. Les auteurs constatent un changement générationnel qui, très logiquement, ne favorise pas la continuité des échanges. En conclusion, ils estiment que la guerre n'a été qu'une simple parenthèse: «... son infrastructure culturelle reconstruite, Paris recouvre ses privilèges et ses monopoles de fait.» (p. 326)

Fruit de plusieurs années de recherches, le travail des trois historiens étourdit par la richesse de ses informations. Il offre sans aucun doute des premiers éléments de réponse à une problématique jusqu'alors peu étudiée. Dans sa préface, Francis Python qualifie ce travail de «décapage» (p. 7). Il ouvre en effet de nombreuses pistes d'exploration en histoire intellectuelle qu'il s'agira maintenant d'approfondir. Ouvrage de base d'une très grande qualité, indispensable à la compréhension de l'histoire des intellectuels en Suisse, il mérite une lecture attentive.

Zitierweise:
Sylvie Béguelin: Compte rendu de: Alain CLAVIEN, Hervé GULLOTTI, Pierre MARTI, "La Province n'est plus la province". Les relations culturelles franco-suisses à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale (1935-1950), Lausanne, Editions Antipodes, 2003, 365 p. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 142-3, 2005, p. 237-238.

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