C. Calame: Hygiène d’un autre temps

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Titel
Hygiène d’un autre temps.


Autor(en)
Calame, Caroline
Erschienen
Neuchâtel 2001: Éditions Attinger
Anzahl Seiten
150 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Thierry Christ-Chervet

Paru dans la belle petite collection des «Anecdotes neuchâteloises» de la maison Gilles Attinger, ce livre a, pour le lecteur non historien, le mérite de la collection dans laquelle il paraît. Il y trouvera, en effet, de nombreuses anecdotes sur ce qu’il pensera, ensuite, avoir été la façon dont ses ancêtres de la fin du XIXe siècle prenaient soin de leur corps et de leur santé. En quatorze chapitres de longueur fort inégale, l’auteure livre à son lecteur moult détails sur la propreté corporelle (chap. 2-4), la culture matérielle des «aisances» (chap. 3), la conservation et le contrôle des aliments (chap. 7) ou, encore, la lessive, le ménage, les soins aux enfants et l’hygiène à l’école (chap. 9, 10, 12, 13). L’on peut, également, relever que l’ouvrage a été pourvu, par l’éditeur, d’une riche et souvent judicieuse illustration. Pour le lecteur érudit ou un peu plus exigeant, par contre, le mérite, indirect, de l’ouvrage se borne à attirer l’attention sur une source imprimée de grand intérêt pour l’histoire neuchâteloise de la fin du XIXe siècle: les Feuilles d’hygiène et de police sanitaire (FHPS) du Dr Louis Guillaume 1). L’on ressort, en effet, dubitatif et irrité de la lecture d’un ouvrage qui, sans souci d’examen de ses sources ni de la littérature existante, pense pouvoir conclure que «l’hygiène devient (...) une règle de vie dans la seconde moitié du XIXe siècle» (p. 132). Au-delà de l’aimable illustration d’un thème, démarche qui constitue l’objectif, légitime, de la collection dans laquelle l’ouvrage paraît, il y a, çà et là, des prétentions peu fondées à la constitution d’un savoir qui se borne, en réalité, à accorder aux affirmations de la source presque unique de l’étude une valeur absolue. Les lacunes de la démarche se situent, à notre sens, à trois niveaux.

En premier lieu, l’on doit relever l’usage inconsidéré et massif des FHPS qui, sous la forme de citations ou de paraphrases, constituent la source presque unique de l’auteure 2). Or, il est au moins hasardé d’admettre que cette source nous donne, à elle seule, accès sans autre à ce qu’étaient les pratiques des Neuchâtelois de la fin du XIXe siècle en matière d’hygiène. Revue mensuelle visant à transmettre à la population un savoir médical, à le lui rendre accessible, les FHPS sont une entre- prise d'acculturation, de diffusion, en terre romande et neuchâteloise, des normes d’un mouvement qui naît vers le milieu du XIXe siècle en Angleterre et se répand ensuite sur le continent: le «mouvement hygiéniste». Il s’agit d’un discours qui, visant à informer et à convaincre, énonce des normes – comment faut-il s’alimenter, se vêtir, (se) nettoyer? – dont rien ne dit, en soi, qu’elles étaient appliquées. De la même façon, disant ce qu’il ne faut pas faire, le discours hygiéniste condamne des pratiques populaires, qu’il décrit, souvent, en termes frappants, imagés: ici aussi, l’on ne peut admettre sans autre que les réalités décrites pour être dénoncées le sont fidèlement. En raison même du genre du discours hygiéniste, l’historienne, versât-elle dans l’anecdote, ne peut en supposer a priori la véracité.

En deuxième lieu, l’on doit insister sur un problème de lexique. Alors que l’auteure comprend le terme d’«hygiène» dans son acception actuelle et courante de propreté (du corps, du lieu où l’on vit, etc.), il a, au contraire, au XIXe siècle, et tout particulièrement sous la plume des tenants du mouvement hygiéniste, une signification plus technique et médicale. L’hygiène est une science structurée au niveau national et européen, dotée de revues et de chaires universitaires 3). Son objet est l’examen des causes de la mortalité et, tout particulièrement, des moyens de la diminuer: en allemand, l’on parle de «Gesundheitspflege». Le but des FHPS est, ainsi,

«d'attirer l'attention de leurs lecteurs sur les causes d'insalubrité et de provoquer dans le sein des familles des discussions qui popularisent davantage les principes que nous proclamons. [...] nous avons [...] à faire comprendre d'où proviennent les dangers qui menacent la santé, dans quelles circonstances ils naissent et ce que nous pouvons faire pour les conjurer.» 4)

L’«hygiène» se veut une science, qui repose sur la conviction qu'une observation stricte des règles qu’elle promeut pourrait réduire le taux de mortalité. A parler de l’Hygiène d’un autre temps en usant du terme dans son acception actuelle tout en recourant à des sources où il a un sens autre, l’on se condamne à ne rapporter du discours que sur le mode de la distorsion illustrative. L’ouvrage ne dit, par exemple, presque rien de l’un des deux axes du projet hygiéniste. Ce dernier entend, certes, donner des informations pratiques sur les causes de maladies, pour persuader le lecteur de modifier certains comportements: cette dimension du projet hygiéniste est largement, quoique de façon biaisée, présente dans l’ouvrage. Mais il n’en va pas de même du second volet du discours hygiéniste, c’est-à-dire des mesures de police sanitaire des collectivités publiques, mesures que, dans l’esprit des hygiénistes, l’on ne peut dissocier des pratiques privées 5).

En troisième lieu, enfin, et bien que la collection où paraît l’ouvrage n’ait aucune prétention académique, l’on ne peut manquer d’être surpris par l’absence, dans le corps du texte et/ou en bibliographie, de références aux études existantes. Pour ne s’arrêter qu’à quelques titres connus, l’on aurait ainsi pu, au moins, signaler le beau travail de L. FEUZ sur l’évacuation des eaux usées à Neuchâtel au XIXe siècle 6), de même que l’étude de R. J. LAWRENCE sur le logement populaire 7). Un chapitre entier est consacré à l’hygiène à l’école (pp. 117-129): l’on y apprend incidemment l’existence d’une thèse de médecine peut-être intéressante, mais à tout le moins bien méconnue, sur l’éclairage dans les écoles 8), mais l’Hygiène scolaire du Dr Guillaume, souvent rééditée et traduite, n’est pas même mentionnée 9), alors que l’on a pu dire qu’il est «le plus important et sans doute le plus lu» 10) des ouvrages en la matière dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Dans le même ordre de considérations, l’on saisit mal le critère qui a présidé à la mention d’un seul des nombreux travaux de G. HELLER 11), alors que d’autres travaux, par ailleurs plus récents, mais, certes, moins médiatisés, auraient mérité de retenir l’attention 12). Il en va de même des travaux dont il eût été possible de tirer partir pour les chapitres 10 et 11 consacrés à l’image de la femme dans les écrits hygiénistes 13).

1) Feuilles d'hygiène et de police sanitaire, 1 (1875)-19 (1893), Neuchâtel, s.n.; deviennent: Feuilles d’hygiène et de médecine populaire, 20 (1894)-57 (1931), Neuchâtassumée presque exclusivement par le Dr Guillaume jusqu’en 1889.

2) Sources: 94 indications, dont 76 pour les FHPS, essentiellement entre 1880 et 1899 (60), le solde pour les années 1900-1911 (16). Les 18 références restantes se partagent entre un ouvrage de L. FAVRE
(L’Habitation, les vêtements, les aliments: manuel d’économie domestique, Neuchâtel, 1875) (5), des extraits de T. COMBE(5) et d’articles isolés du Musée neuchâtelois (5).

3) En Europe, sans exhaustivité aucune: a) sociétés nationales d'hygiène en France, Allemagne, Italie; b) revues françaises: Journal d'hygiène, L'Hygiène pratique, la Revue d'hygiène; c) congrès: Bruxelles (1876), Paris (1878), Genève (1882), Vienne (1887) et exposition internationale d'hygiène à Londres (1884). En Suisse: a) sociétés: Genève, Lausanne, Neuchâtel, Zurich; b) revues: FHPS; La médecine usuelle ou la santé pour tous: journal populaire d'hygiène et de médecine vulgarisées (1876->) (Genève); Blätter für Gesundheitspflege(Zurich); c) enseignement universitaire: Neuchâtel (dès 1878), Zurich (dès 1887), Lausanne (dès 1891), Bâle et Berne. Cf. H. CARRIÈRE, «Hygiène», in Handwörterbuch der Schweizerischen Volkswirtschaft, Sozialpolitik und Verwaltung, Bd. II, Berne, Verlag Encyklopädie, 1905, pp. 273-280; «Hygiène», in A. LECOINTE, Inventaire des institutions économiques et sociales de la Suisse à la fin du XIXe siècle, Genève, Imprimerie Romet, 1900, pp. 349-408; J. L. SONDEREGüber Literatur und Nachweisung über Austellungsgegenstände der Hygiene, Saint-Gall, 1883.

4) 1882, p. 145. Voir aussi, p. ex.: 1881, pp. 110-111 ou 1875, p. 1.

5) Cf. pour Neuchâtel les textes de loi suivants, souvent cités et commentés par les FHPS: «Loi sur la police sanitaire» du 7 mai 1875, Recueil des lois [...] de la République et canton de Neuchâtel, 13, pp. 60-70; «Règlement pour les autorités sanitaires cantonales» du 24 novembre 1875, ibid., 13, pp. 308-320; «Règlement pour les Commissions locales de salubrité publique» du 11 juin 1878, ibid., 14, pp. 63-68. Pour une vision d'ensemble de la législation en Suisse à la fin du XIXe siècle: H. CARRIÈRE, «Hygiène...», basé sur F. SCHMID, La Santé publique en Suisse en 1888, Berne, 1891 et Tableau systématiquedes lois, ordonnances, prescriptions et autres dispositions concernant l'hygiène publique, Berne, 1897.

6) L. FEUZ, Un aspect de l'idéologie hygiéniste en ville de Neuchâtel: l'évacuation des eaux usées: 1834-1885, mémoire de licence, Neuchâtel, 1999, condensé sous le titre «Les progrès de l'évacuation des eaux usées à Neuchâtel au XIXe siècle: une réponse à la menace épidémique» RHN, 2001, pp. 207-231.

7) R. J. LAWRENCE, Le seuil franchi...: logement populaire et vie quotidienne en Suisse romande, 1860-1960, Genève, Georg, 1986.

8) C. NARBEL, Recherches sur l'éclairage naturel dans les écoles de Neuchâtel,Vevey 1894 (Diss. Med. Berne).

9) L. GUILLAUME, Hygiène scolaire: considérations sur l'état hygiénique des écoles publiques, présentées aux autorités scolaires, aux instituteurs et aux parents, Genève, Paris, J. Cherbuliez, 1864; 2e éd., revue et augmentée: 1865; paru aussi sous le titre de Hygiène des écoles, conditions architecturales et économiques, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1874. Traduction allemande: Die Gesundheitspflege in den Schulen: Betrachtungen über den Gesundheitszustand in den öffentlichen Schulen, Aarau, J.J. Christen, 1865 (2. und 3. unveränd. Aufl.: Aarau, J.J. Christen, 1865, 1865); traduction hollandaise: De gezondheid in de school, Utrecht, Kemink en zoon, 1866.

10) G. HELLER, «Tiens-toi droit!»: L'enfant à l'école primaire au XIXe siècle: espace, morale, santé: L'exemple vaudois, Lausanne, Editions d'En Bas, 1988, p. 42. L’auteure fait également allusion à des traductions anglaises et italiennes.

11) G. HELLER, «Propre en ordre»: Habitation et vie domestique 1850-1930: l'exemple vaudois, Lausanne, Editions d'En Bas, 1979.

12) «Tiens-toi droit!»...; La cage dorée: de la chambre d'école au groupe scolaire: deux siècles d'architecture vaudoise, Chapelle-sur-Moudon, Ed. Ketty & Alexandre, 1997 ou, encore, pour rester à Neuchâtel: «”Si tu tiens à ta peau, lave-la”: la propreté du corps comme instrument de progrès et de discipline sociale àla fin du XIXe siècle», in Le corps enjeu, Neuchâtel, Musée d'ethnographie, 1983, pp. 151-166.

13) Par exemple, pour se borner à la Suisse: F. FRITZ, «Gesundheit als Lebensaufgabe: Sozialisation und Disziplinierung der bürgerlichen Frau durch populärmedizinische Ratgeber des 19. Jahrhunderts», Schweizerisches Archiv f. Volkskunde, 89, 1993, pp. 51-68; B. MESMER, «Reinheit und Reinlichkeit», in: Gesellschaft und Gesellschaften. Festschrift zum 65. Geburtstag von Professor Dr. Ulrich Im Hof, Berne, Wyss, 1982, pp. 470-494; A. WIDMER, Die Hüterin der Gesundheit: Die Rolle der Frau in der Hygienebewegung
Ende des 19. Jahrhundert, Diss. Phil I, Zurich, 1991.

14) Pour la Suisse, sans exhaustivité aucune: A.-M. STALDER, «Die Erziehung zur Häuslichkeit. Über den Beitrag des hauswirtschaftlichen Unterrichts zur Disziplinierung der Unterschichten im 19. Jahrhundert in der Schweiz», RSH34, 1984, pp. 370-384; P. BARRAS, L'école professionnelle et ménagère
des jeunes filles de Genève: (1897-1927). Histoire d'une institution, Genève, SHAG, 1994; G. HELLER, «Propre en ordre»..., pp. 155-162.

15) E. QUARTIER-LA-TENTE, Histoire de l'instruction publique dans le canton de Neuchâtel, Neuchâtel, 1914, pp. 690-699 ou Bulletin de la société neuchâteloise d'utilité publique, 1887, pp. 287-323.

Zitierweise:
Thierry Christ-Chervet: Compte rendu de: Caroline Calame, Hygiène d’un autre temps, Hauterive, Editions Gilles Attinger, 2001, 150 p. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 141-(1-2), 2004, p. 123-126.

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