G.Heller u.a.: Enfance sacrifiée

Cover
Titel
Enfance sacrifiée, témoignages d'enfants placés entre 1930 et 1970.


Autor(en)
Heller, Geneviève; Avvanzino, Pierre; Lacharme, Cécile
Erschienen
Lausanne 2005: Cahiers de l'EESP
Anzahl Seiten
144 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Martial Gottraux

Récemment paru, l’ouvrage de Heller et al. offre le témoignage de dix personnes, arrachées à leur milieu parental et placées au sein d’institutions « éducatives », dans le canton de Vaud et en Suisse. Après une présentation de la vie et des combats de Louisette Buchard-Molteni qui a beaucoup oeuvré pour exhumer de l’oubli les conditions de vie souvent atroces de ces enfants, l’ouvrage présente un bref parcours biographique de chaque témoin ainsi qu’un regroupement thématique des entretiens. La mise en perspective historique de ces témoignages est volontairement restreinte. C’est qu’il ne s’agit ici que d’offrir, enfin, la parole à des personnes non seulement éloignées de leurs familles mais également exclues de l’histoire. Plusieurs constats se dégagent alors de cet ouvrage, susceptibles d’engager un questionnement historique, du reste souhaité par les auteurs. Lesquels ? En premier lieu, bien sûr, la réalité des conditions de vie déplorables de ces enfants. Ballottés d’une institution ou familles d’accueil à l’autre, souvent sans nouvelles de leurs parents, maltraités, exploités, battus voire victimes de sévices sexuels, même non représentatifs ces témoignages ne laissent aucun doute : la politique de placement des enfants, dans la période considérée (1930 à 1970) a donné lieu à de graves abus, commis par des personnes « bien pensantes », souvent sous le couvert d’une idéologie chrétienne mobilisée pour justifier des pratiques tyranniques.

Ce qui frappe alors, c’est la quasi impunité dont, à quelques exceptions près, ont joui les personnes maltraitantes au sein des institutions éducatives. A l’époque, un consensus social existe visiblement, tendant à considérer que de telles pratiques sont acceptables, mises en oeuvre pour le « bien de l’enfant ». Une impunité, notons le, qui prend ultérieurement la forme du silence, d’un oubli dont nous avons du mal à considérer qu’il ne soit pas volontaire : oubli des Eglises, en particulier, qui n’ont jamais songé à offrir une réparation morale et matérielle à ces enfants, brimés le plus souvent au non de conceptions éducatives soit disant chrétiennes. Et ce ne sont pas les quelques cas de traitements acceptables rapportés par les témoignages qui suffisent à dissimuler l’écrasante responsabilité des milieux religieux de l’époque.

Mais alors justement : c’est un fait historique de première importance que, plusieurs décennies après les faits, il se trouve une Conseillère d’Etat vaudoise, Anne Catherine Lyon, qui préface l’ouvrage, pour stigmatiser les anciennes pratiques institutionnelles et leur opposer la conception actuelle de la protection de la jeunesse. Les jugements portant sur les faits, actuels ou passés sont des faits historiques ; l’indignation fait à ce titre partie de l’histoire. Reste alors à l’historien à dégager quelles ont été, au cours de ces dernières décennies, les conditions sociales et politiques de l’occurrence de pratiques plus humaines. Le « devoir de mémoire » est insuffisant. Encore faut-il comprendre comment se forme le regard qui, aujourd’hui, construit l’horreur là où régnait autrefois la justification de pratiques qui ont historiquement acquis le statut de maltraitance. « Peut-on prétendre être des entités neutres dans la recherche historique ? » interroge Pierre Avvanzino (p. 41), semblant craindre que le parti pris d’une distance « objective » avec les faits historiques puisse contribuer à générer un « système d’exclusion ». Une telle question semble superflue, ne serait-ce que du fait que l’appareil conceptuel de l’historien est socialement et historiquement déterminé : le chercheur n’a pas, aujourd’hui, le choix de parler ou non de maltraitance s’agissant de pratiques qu’il aurait peut-être considéré comme des moyens éducatifs il y a quelques décennies.

Dernière interrogation : Ce qui constitue la spécificité des témoignages c’est, bien sûr, le fait que ces personnes ont été arrachées, souvent abusivement, à leur milieu parental. Mais pour le reste : la vie en institution différait-elle beaucoup des conditions de vie frappant nombre d’enfants, les plus pauvres en particulier, vivant au sein de leur famille ? S’ils font allusion à ce problème, les auteurs ne peuvent répondre à cette question. Et ce pour une raison bien simple : Nous ne savons que très peu de choses des pratiques éducatives de la première moitié du xxe siècle. C’est donc finalement à la production d’une véritable histoire sociale de l’enfance que convoque également cet ouvrage, une histoire qui, elle aussi, mériterait l’appui des pouvoirs publics.

Citation:
Martial Gottraux: compte rendu de: Geneviève Heller, Pierre Avvanzino, Cécile Lacharme, Enfance sacrifiée, témoignages d'enfants placés entre 1930 et 1970, Préface de Anne-Catherine Lyon, Lausanne, 2005, Cahiers de l'EESP, 144 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.355.

Redaktion
Veröffentlicht am
25.05.2010
Beiträger
Redaktionell betreut durch
Kooperation
Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
Weitere Informationen
Klassifikation
Epoche(n)
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit