E. Abetel: La gigantomachie

Titel
La gigantomachie de Lousonna-Vidy; suivie de Considérations sur la transmission du motif de l'anguipède.


Autor(en)
Abetel, Emmanuel
Herausgeber
Cahiers d'archéologie romande 106
Erschienen
Lausanne 2007: Cahiers d'archéologie romande
Anzahl Seiten
200 S.
Preis
URL
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Michel Fuchs

Il était temps qu’un ouvrage soit consacré à l’un des monuments les plus évocateurs, mais peut-être aussi des plus énigmatiques du bourg antique de Lousonna. Trouvés en 1936 près du temple situé au centre du vicus, à l’endroit de la promenade archéologique actuelle, les blocs épars d’une série de bas-reliefs révèlent les scènes d’une gigantomachie, autrement dit du combat entre dieux et géants au tronc d’homme et aux membres inférieurs en forme de serpents. Les fragments ne sont pas nombreuxmais suffisent amplement à faire l’objet d’une thèse qui sera augmentée d’un volet fort intéressant et novateur sur la survie du thème de la gigantomachie de l’Antiquité au XIXe siècle, avec le tableau d’Ingres montrant Thétis et Jupiter assis sur un trône orné de son combat contre des géants. La publication de cette thèse commencée en 1981 offre l’avantage du profond mûrissement du sujet. Chacun des aspects découlant de l’étude des blocs conservés a été soigneusement et clairement abordé. L’historique de la découverte permet de rendre attentivement compte des fragments sculptés, du morceau de choix au Jupiter foudroyant au bras d’un géant anguipède en passant par deux autres fragments de géants, le torse d’un guerrier, le bout d’un cavalier, l’épaule droite d’un homme vêtu d’une chlamyde, le caisson d’un char, le buste et la tête d’un personnage barbu assis de plus grande dimension. Les éléments d’architecture sont aussi présentés, permettant de regretter la disparition d’une inscription et de s’étonner de la mention d’un décor de tulipe là où il y a rais de coeur. L’analyse de détail des fragments va conduire à une reconstitution grâce au passage par les textes et les représentations antiques de ce thème fondamental de l’opposition entre le Bien et le Mal que représente le combat entre les dieux de l’Olympe et les géants chthoniens. Avec la volonté d’être le plus exhaustif possible, E. Abetel cherche par les textes autant que par l’image à démontrer ce que les sculpteurs à l’origine des motifs lausannois ont pu avoir comme modèle; si l’intention est tout à fait louable, elle ne semble pas tenir compte du fait que la discussion sur les ateliers est l’une des plus fournies de la recherche sur l’art antique, ce que quelques références complémentaires auraient montré. Le relief lausannois se révèle ainsi directement dans la ligne de la frise du Grand autel de Pergame exposé à Berlin. Pour renforcer la marque de cet héritage grec, E. Abetel va chercher les noms connus des protagonistes, l’aspect des monstres et leur évolution, leur armement. Un chapitre important aborde le thème de la gigantomachie à l’époque romaine, et son succès particulier en Gaule et en Germanie; là plus qu’ailleurs dans l’Empire, les barbares, comparables aux géants anguipèdes, ont été une menace pour l’ordre du monde. Des colonnes surmontées d’un Jupiter aux prises avec un anguipède, qu’E. Abetel met très habilement en parallèle avec les scènes de Lousonna, sont là pour rappeler la suprématie de l’Olympien et donc de l’empereur régnant. C’est d’ailleurs dans la commémoration d’un exploit militaire impérial que va se spécialiser l’utilisation de l’iconographie du géant.

Pour la restitution du monument lausannois, E. Abetel reprend scrupuleusement chacun des parallèles qu’il a utilisés avec description et historique de leur découverte, examinant les positions des protagonistes pour assurer le choix graphique, ajoutant Mars, un Dioscure et Apollon archer au nombre des dieux représentés. Malgré une démonstration serrée, reconnaître le char d’Hélios dans le fragment à disposition ne nous a pas convaincu; les références prises en compte sont essentiellement situées à l’époque classique et hellénistique et non à l’époque impériale romaine. La représentation de Luna ne devrait pas être négligée, nous semble-t-il.Àces éléments s’ajoutent les vestiges d’un coussinet d’autel. Fort de cette démarche détaillée, l’auteur aborde prudemment la question de la répartition des figures, de leur style, du ou des artistes qui les ont exécutées au début du IIIe siècle après J.-C., peut-être en provenance d’Avenches, la capitale des Helvètes.

La qualité de la facture des bas-reliefs amène E.Abetel à se poser la question et du lieu auquel ils étaient destinés – un fanum, un temple de type celtique – et, dans un tel lieu, de la place que prennent généralement les sculptures. Suite au passage en revue très suggestif des possibilités, la solution privilégiée est celle d’un pilier situé devant le temple et supportant une sorte d’édicule réunissant quatre pans sculptés sous un même toit; le choix est discutable mais une proposition de restitution (fig. 60) nous en donne un rendu en couleur bienvenu. L’emplacement trouvé, il s’agit ensuite de s’interroger sur le contexte dans lequel a été érigé le monument. Le combat victorieux de Jupiter a sans doute été utilisé pour la commémoration d’exploits guerriers de l’empereur Septime Sévère, appelé le «sauveur du monde» sur une dédicace d’Avenches. Si le temple a bien été élevé en l’honneur du grand Jupiter, le seul dieu mentionné par une inscription est Mercure, un patron des commerçants tout à fait adapté pour un bourg comme Lousonna. La religion antique permet ces côtoiements. Peut-être faudrait-il mettre au compte de cette double appartenance du temple l’existence possible d’un second pilier visible sur le relevé de fouille de 1936 (fig. 63), sur lequel rien ne nous est dit.

Restait une dernière question à examiner pour que l’histoire du monument soit complète: celle de sa destruction. C’est l’occasion pour l’auteur de s’interroger sur l’implantation du christianisme sur le Plateau suisse et ses conséquences. Une couche d’incendie de la seconde moitié du IVe siècle inciterait à attribuer la destruction du temple lausannois à un moment où Martin et ses disciples sont connus pour avoir opéré des destructions de bâtiments païens. Si la gigantomachie disparaît non seulement du centre de Lousonna,mais de manière générale de l’artmonumental, elle continuera à être utilisée dans les textes, les pères de l’Église en faisant une image de l’homme inculte. Est-ce là l’emploi qui a fini par faire oublier les géants anguipèdes? La monstruosité sera celle du diable et de ses acolytes. Il faudra attendre la Renaissance pour que ressurgisse le thème des géants, lié à la découverte d’objets les représentant comme le magnifique camée d’Athénion conservé à Naples. E. Abetel donne là deux excellents chapitres sur la survie des anguipèdes.

On aurait aimé voir un avertissement au lecteur signalant la relative ancienneté de la bibliographie; quelques ouvrages récents capitaux pour le propos ne sont pas mentionnés comme celui de François Queyrel, L’autel de Pergame. Images et pouvoir en Grèce d’Asie, Paris: Picard, Antiqua 9, 2005. Sur ce sujet, notons la parution en 2007 de l’étude de Françoise-Hélène Massa-Pairault, La Gigantomachie de Pergame ou L’image du monde,Athènes: École française d’Athènes, Bulletin de correspondance hellénique, Supplément 50. Plus généralement autour de Pergame, de la nouvelle datation du grand autel suite à une fouille, l’ouvrage de Wolfgang Radt, Pergamon. Geschichte und Bauten einer antiken Metropole, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1999, auraitmérité d’être cité. Pour rester enAsieMineure,Termessos a eu droit à une publication qui reste incontournable, éditée pour la quatrième fois, celle de Mustafa Uysal, Termessos: a Pisidian Mountain Town of Antiquity, Antalya: Graphics, 1990; Aphrodisias a survécu à l’honorable Kenan Erim puisqu’une collection de papers porte le nom de la ville pour la quatrième fois en 2008 et qu’elle a eu droit à un article fouillé dans l’ouvrage édité par David Parrish, Urbanism in Western Asia Minor. New Studies on Aphrodisias, Ephesos, Hierapolis, Pergamon, Perge, and Xanthos, Portsmouth: Journal of Roman Archaeology, JRA Suppl. 45, 2001. Pour la discussion autour de la base de colonne de Jupiter dans la villa de Neftenbach, l’ouvrage de son fouilleur aurait apporté des compléments utiles: Jürg Rychener, Der römische Gutshof in Neftenbach, Zurich, Egg: Direktion der öffentlichen Bauten des Kantons Zürich, Monographien der Kantonsarchäologie Zürich 31, 1999. De même, la publication du guide archéologique de Pully aurait offert un éclairage bienvenu au propos: Sandrine Reymond, Évelyne Broillet-Ramjoué et al., La villa romaine de Pully et ses peintures murales, Pully: Musées de Pully, Guides archéologiques de la Suisse 32, 2001. Ces quelques lacunes n’enlèvent en rien l’acuité et la précision de l’analyse pour un livre qui rend enfin justice à un monument exceptionnel de la petite bourgade de Lousonna.

Citation:
Michel Fuchs: compte rendu de: Emmanuel Abetel, La gigantomachie de Lousonna-Vidy; suivie de Considérations sur la transmission du motif de l'anguipède, Lausanne: Cahiers d'archéologie romande 106, Lousonna 10, 2007, 200 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 117, 2009, p.267-290.

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Veröffentlicht am
17.03.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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