B. Andenmatten:La Maison de Savoie et la noblesse vaudoise

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Titel
La Maison de Savoie et la noblesse vaudoise (XIII-XIVe s.). Supériorité féodale et autorité princière


Autor(en)
Andenmatten, Bernard
Reihe
Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande
Erschienen
Lausanne 2005: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
722 p.
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Gilbert Coutaz

Avec la parution du travail de thèse de Bernard Andenmatten et de celle de Jean-Daniel Morerod, en 2000 1), l’histoire vaudoise dispose désormais de deux études de référence, qui renouvellent singulièrement les connaissances historiques et documentaires de la période médiévale, trop longtemps empreinte d’idéologie (déjà présente dans la Chronique de la Maison de Savoie de Jean d’Orville dit Cabaret, fin XVe-début XVIe siècle) et d’a priori intellectuels (en particulier ceux de la Ligue vaudoise, des années 1930), et insuffisamment fondée sur le recours aux documents d’archives. On peut réellement parler d’une histoire d’avant et d’après ces deux travaux, tant leurs apports sont fondamentaux et jettent des éclairages nouveaux. Elles se complètent parfaitement – elles ont été menées, sous la direction du professeur Agostino Paravicini Bagliani, parallèlement et ont partagé les résultats intermédiaires ; elles constituent le socle obligé de toute recherche historique sur les cantons de Suisse romande qu’elles vont nécessairement influencer de leurs résultats. Leur plan et leur approche les lient. Les auteurs ont dû d’abord évaluer les publications dont ils soulignent les limites et leur manque d’érudition, faire ensuite l’état des archives à disposition dont celles des Archives d’Etat de Turin, extraordinairement riches et diversifiées, n’avaient pas suscité, jusqu’à l’intervention de Bernard Andenmatten, de recherches directes et approfondies 2), et enfin fixer le cadre précis de leurs investigations. Ils recourent tous les deux à la publication de nombreux documents ; Bernard Andenmatten édite 127 documents dont 121 couvrant la période entre 1240 et 1285 (p. 445-626), alors que Jean-Daniel Morerod en retient 44, le premier s’attachant dans son apparat critique à citer judicieusement de longs passages pour relever les affirmations erronées et terrasser les conclusions péremptoires et intrépides de ses prédécesseurs. Tous deux, sentant le besoin d’avoir un arrière-fond chronologique permanent, s’appuient sur une « trame événementielle » serrée et précise. En mettant de l’ordre dans les faits et dans les dates dont de multiples n’avaient pas été soulignées ni commentées, ils en font l’examen complet et les soumettent à un questionnement dense et original. Ils mettent à nu tous les défauts des travaux antérieurs, avant de forger leur propre discours. Ils multiplient les tableaux et surtout les cartes, particulièrement nombreuses et soignées dans le travail de Bernard Andenmatten, pour manifester leurs résultats intermédiaires et leurs synthèses. Ils les rendent ainsi lisibles et convaincants. La qualité des index permet de rapprocher les informations entre elles, d’autant plus utilement qu’elles sont souvent réparties dans le temps et éclatées dans le livre.

La thèse de Bernard Andenmatten présente l’histoire de la noblesse vaudoise au Moyen Age, plus précisément entre 1200 et 1350. Ce sont les relations entre la Maison de Savoie et les nobles vaudois qui sont au coeur de la recherche. Dès les premières pages, Pierre II de Savoie n’est plus le héros unique de la construction de l’unité du pays de Vaud, « le rassembleur », celui qui, avant de couvrir de son autorité tout le pays, avait reçu spontanément et généralement les hommages vassaliques des familles nobles dont de nombreuses sont aussi seigneuriales. Sa conquête ne fut ni rapide ni pacifique – certaines soumissions furent arrachées par l’argent ou par la force, à l’instar des mésaventures arrivées aux seigneurs de Rue dont le château fut rasé et dont les derniers représentants furent peut-être éliminés physiquement dans le troisième quart du xiiie siècle. Cette première rupture dans l’historiographie vaudoise se double de l’évaluation, la première jamais faite, de la période de la baronnie de Vaud, entre 1285 et 1349, qui vit deux autorités, de la même famille, s’opposer et se disputer les faveurs et les appuis des seigneurs locaux. A nouveau, l’étude de Bernard Andenmatten, tout en nuances et forgée sur l’observation scrupuleuse des textes, se distance des acquis et démontre que le processus d’intégration de la noblesse vaudoise à l’autorité savoyarde s’est déroulé par étapes sur un siècle et demi, a marqué des temps d’avancement et de repli, des affrontements militaires et des compromis. L’implantation savoyarde au nord du lac Léman dépasse l’action et la personnalité de Pierre II de Savoie, certes importantes dans la chronologie des événements et dans le type de politiques appliquées, mais elle n’aboutira que dans les années 1320 avec Louis II, sire de Vaud. Les formes de collaboration ont été multiples et changeantes, elles ne se fondent pas exclusivement dans un moule féodal traditionnel. Bien au contraire, elles reposent sur d’autres bases, difficiles à appréhender et à systématiser : jeux de rapports personnels, achats et rachats, ramifications familiales et aides financières. La gamme des attitudes est large, souvent inattendue, allant de la collaboration active à la soumission, réaliste et opportune. Elle est complexe, variée et subtile. Les hommages vassaliques (le premier hommage vaudois date de 1240) constituent le fondement de la démarche tant des comtes de Savoie que des sires de Vaud. Les Savoie ont pour eux l’avantage de l’écrit qui garde la mémoire des hommages et en façonne les contours ; ils s’appuient sur les notaires dont ils importent la tradition de l’Italie du Nord. Bernard Andematten voue toutes ses attentions aux documents d’archives, en sollicitant principalement les cartulaires et les sources comptables.

Le premier cartulaire date de Pierre II de Savoie, il porte sur les années 1260 à 1263 (103 documents), le deuxième, également de l’époque de Pierre, de 1267 à 1268 (73), le troisième de Philippe, antérieur à 1285 (99)., le quatrième et le cinquième étant exécutés dans les années 1314 à 1316. Parallèlement aux comtes de Savoie, Louis II reçoit près de 70 hommages individuels entre 1302 et 1321 ; deux cartulaires lui sont attribués, l’un vers 1320, comprenant dans son état actuel 68 documents, l’autre établi entre 1339 et 1345, attestant 186 actes se limitant strictement au territoire du pays de Vaud et donnant par là même une géographie féodale du pays de Vaud. Le cartulaire est inscrit dans l’approche de l’écrit et de l’administration savoyarde, il traduit des évolutions dans l’organisation des droits. Il fut abandonné dès la seconde moitié du xive siècle au profit de volumes de reconnaissances et sous forme de minutes abrégées. A la veille de la vente du pays de Pays de Vaud et du Bugey, au comte Amédée VI, en janvier 1359, le nombre d’hommages en faveur de Catherine de Savoie se monte à 95 et offre une image apparemment exhaustive du réseau vassalique des Savoie-Vaud.

La situation développée dans le pays de Vaud est à bien des égards atypique, voire unique. Tout en l’inscrivant comme une contribution à l’histoire de la féodalité dont l’auteur prend la précaution de présenter, dès le chapitre introductif, les derniers résultats pour mieux se positionner, Bernard Andenmatten la présente comme bien éloignée de la simple subordination et l’adhésion des nobles à un suzerain. Les liens sont de différentes natures, les nobles étant à la fois des créanciers, des officiers administratifs et militaires et les vassaux du pouvoir savoyard. Les temps chronologiques du développement du processus sont donnés par les chapitres des deux parties qui fondent la recherche : « L’entrée de la noblesse vaudoise dans la mouvance savoyarde » (p. 37-275), et « La noblesse vaudoise au service de la Maison de Savoie » (p. 277-429), suivies d’une substantielle conclusion (p. 431-442). Les dates décisives entre les deux périodes sont les années 1320-1330.

Dans la première partie, l’auteur aborde l’apparition des Savoie au nord du Léman dans les années 1200-1240, l’action directe de Pierre II de Savoie sur la noblesse entre 1240 et 1260, d’abord par la neutralisation des seigneurs châtelains et l’effacement des réseaux concurrents, puis la constitution d’une clientèle. Dès les années 1240-1250, Pierre II de Savoie est l’instigateur de l’hommage vassalique et du fief de reprise pour conduire sa politique de domination du Pays de Vaud. Il sera suivi en cela par ses successeurs. Les querelles internes de la succession du comte Philippe, mort sans héritier, en 1285, et les convoitises de la famille concurrente, les Habsbourg, sur le Plateau suisse vont ralentir la progression des Savoie au nord du lac Léman. Le pays de Vaud fut constituée en apanage, dès 1285-1286, en faveur du frère du comte Amédée V, Louis Ier de Vaud, et qui donna naissance à la baronnie de Vaud qui disparut en 1349. Le 6 juillet 1321, Louis II qui avait succédé à son père, en 1302, dut reconnaître l’ensemble des fidélités tenues par lui en fief de son oncle, Amédée V – c’est à celui-ci que la famille seigneuriale la plus importante du pays de Vaud, les Grandson prête hommage en 1329.

En prenant séparément en compte les politiques féodales des sires de Vaud et du comte Amédée V, Bernard Andenmatten présente leurs réseaux respectifs, mais aussi la dépendance de l’une, celle des sires de Vaud, par rapport à l’autre qui peut s’appuyer sur les relations avec l’empereur et la paix retrouvée avec les Habsbourg, dès 1310. Dès 1320, on constate une certaine permanence féodale et la cohésion territoriale. «L’effet le plus important de ce tournant aura été la stabilisation des différentes puissances et surtout leur reclassement hiérarchique définitif, qui mit fin aux diverses tentatives d’hégémonie : celle des Savoie-Vaud au premier chef, mais aussi les velléités d’autonomie de certaines familles locales (Grandson, Cossonay-Prangins), voir des puissances voisines (comtes de Genève, Montfaucon, Chalon, Neuchâtel, Thoire-Villars) qui, par l’accusation de fidélités partielles en Pays de Vaud, avaient toutes plus ou moins essayé d’y étendre leur influence » (p. 432-433).

C’est dans la seconde partie du travail que l’auteur examine les formes d’expression de la noblesse vaudoise au service de la Maison de Savoie, au travers du service féodal : chevauchée, rétribution su service armé et mercenariat, la noblesse vaudoise dans l’administration savoyarde. La noblesse vaudoise renonce à contester le pouvoir savoyard, elle entre dans l’administration savoyarde, notamment dans les fonctions de baillis et de châtelains de la baronnie de Vaud et dans les châtellenies du Chablais, pour lesquelles Bernard Andenmatten donne des tableaux récapitulatifs précieux, avec des pages exceptionnelles sur la fonction de vidomnat, se situant « entre patrimoine familial et office savoyard » (p 379). Les nobles vaudois participent aux entreprises militaires en dehors du territoire vaudois, en Italie du Nord, en Angleterre et dans les armées françaises. Approche intéressante, car complètement originale, l’auteur tente de situer l’endettement de la noblesse vaudoise, au travers des transactions entre la noblesse vaudoise et la Maison de Savoie. A fin 1360, le comte de Savoie détient la suprématie féodale dans l’espace romand, accrue de manière éclatante par le rachat de la baronnie de Vaud. A cette date, on assiste à une sorte de convergence d’éléments d’intégration qui jusqu’alors ne concernaient pas les mêmes individus ou les mêmes familles. Le comte de Savoie est arrivé à un équilibre institutionnel et territorial avec l’évêque de Lausanne, qui allait demeurer stable pendant près de 1cent-cinquante ans. Désormais, elle allait se manifester par l’autoritarisme princier, faisant valoir son titre de comte, que ses prédécesseurs, cent ans, étaient en train de conquérir et à partir duquel ils allaient bâtir patiemment, intelligemment et en sachant combiner avec l’évêque de Lausanne et les principales familles nobles.

Il faut espérer que les conclusions de la thèse de Bernard Andenmatten, comme celles de la thèse de Jean-Daniel Morerod, dépassent les cercles universitaires et érudits ; elles doivent imprégner toutes les publications qui verront le jour. De notre point de vue, elles remplacent définitivement les pages insuffisantes de Richard Paquier du volume 4 de l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, dont les idées principales avaient été déjà formulées en 1942, à coup de convictions idéologiques, aujourd’hui démenties sans rémission par les preuves documentaires. Une nouvelle manière de penser la présence des Savoie dans le pays de Vaud et, partant, toute la vision historique médiévale des actuels cantons de Suisse romande, est donnée par les recherches de Bernard Andenmatten. Les effets de l’onde de choc provoquée par cette thèse se mesureront sur de très nombreuses années.

1) Voir notre compte rendu dans Traverse 2001/2, pp. 194-196 : Morerod, Jean-Daniel : Genèse d’une principauté épiscopale. La politique des évêques de Lausanne (IXe-XIVe siècle), Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, 2000, 650 p. (Bibliothèque historique vaudoise, 116).

2) Il faut excepter de cette assertion les publications dès les années 1990 de Guido Castelnuovo, et la thèse remarquable qui s’est faite simultanément à celle de Bernard Andenmatten, de Daniel de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours dans les Etats de Savoie (1230-1330). Un modèle : le château d’Yverdon, 2 vol., Lausanne, 2004 (Cahiers d’archéologie romande, 99).

Citation:
Gilbert Coutaz: compte rendu de: Bernard Andenmatten, La Maison de Savoie et la noblesse vaudoise (xiii-xive s.). Supériorité féodale et autorité princière. Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 4e série, t. VIII, Lausanne, 2005, 722 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.341-344.

Redaktion
Veröffentlicht am
04.03.2010
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