Histoire et Mémoire. Du IIIe Reich à la Republique. Reconstruction de l'Allemagne et de l'Autriche 1945-1955

Histoire et Mémoire. Du IIIe Reich à la Republique. Reconstruction de l'Allemagne et de l'Autriche 1945-1955

Organisatoren
Université Marc Bloch Strasbourg II., EA 1341 " Mémoires et frontières "
Ort
Strasbourg
Land
France
Vom - Bis
23.09.2004 - 24.09.2004
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Von
Sophie Lorrain, Université Marc Bloch Strasbourg

Les journées d'étude de la composante "culture et Société" de l'équipe d'accueil EA 1341 "Mémoires et frontières", sous la responsabilité de Monique Mombert et de Geneviève Humbert-Knitel, se sont déroulées les 23 et 24 septembre 2004 à l'Université Marc Bloch de Strasbourg.

Elles se proposaient d'éclairer la complexe relation entre histoire et mémoire en se penchant plus particulièrement sur la reconstruction de l'Allemagne et de l'Autriche entre 1945 et 1955, telle qu'elle s'écrit entre 1955 et 1989. La démarche se voulait délibérément comparatiste et interdisciplinaire, le juriste, le témoin, l'écrivain, les médias et le législateur partageant avec l'historien le rôle de producteur du passé. L'ouverture des archives, l'arrivée de nouvelles générations, les changements de politique intérieure et internationale reposent de fait la question de l'équilibre à élaborer entre histoire et mémoire, individu et collectivité. Soucieuses de rendre la complexité de cette approche, les interventions s'articulaient autour de deux axes, un axe géographique (Autriche, RDA ou RFA) et thématique (historiographie, littérature ou réflexion sur la commémoration).

Comment dire l'histoire ? L'importante année de commémoration que fut 2004 a permis d'observer comment la perception des événements de la guerre et leur analyse en Allemagne a changé non seulement d'intensité mais de nature entre la décennie 1945-1955 et aujourd'hui. Monique Mombert (Strasbourg) revient dans son intervention ("Le culte de la mémoire") sur les usages de la mémoire, sur ces "pans du passé qui surgissent, ces tabous qui se brisent" en mettant l'accent sur le tournant que connaît actuellement l'historiographie allemande dont certaines figures réputées intouchables se trouvent remises en cause. Cette nouvelle histoire allemande pose la question délicate du statut de victime, de l'existence ou non de mémoires légitimes et du rôle croissant de la médiatisation qui réinvente le passé comme une réalité. Le déplacement du souvenir vers la sphère culturelle induit de fait une nouvelle "Betroffenheit" qui consiste à assumer l'héritage du passé tout en faisant remonter d'anciennes revendications. La parution d'ouvrages récents comme celui de Nicolas Berg (Der Holocaust und die westdeutschen Historiker. Erforschung und Erinnerung. Göttingen : Wallstein 2004, 3e éd.) montre comment l'histoire de la mémoire est devenue objet d'histoire.

La fonction du théâtre contemporain allemand dans le travail de mémoire collective qu'analyse Emmanuel Béhague (Strasbourg) est également marquée par la césure de 1989-1990 ("Comment dire l'Histoire ? Formes et réflexions d'une dramaturgie allemande contemporaine face à la question de la culpabilité"). Tandis que les approches antérieures d'un théâtre critique, par delà les contextes politiques, sociaux et culturels divers qui ont vu leur naissance, participaient d'une démarche commune de dévoilement (du passé, de la culpabilité dans le théâtre documentaire d'un Peter Weiss, du "blocage" ou du non-sens de l'histoire chez Heiner Müller par exemple…), la production dramatique contemporaine réduit à la portion congrue la thématisation concrète des faits historiques pour se focaliser sur les problématiques sociales et politiques contemporaines. Le regard que portent des auteurs comme Botho Strauß, Werner Fritsch ou Rainald Goetz sur la question de la culpabilité met en doute la possibilité d'un discours critique sur l'histoire. Pour Fritsch (Supermarkt) le redoublement de la fictionalisation opérée dans le texte marque non plus le dévoilement mais bien l'obscurcissement ; chez Strauß (Schlußchor), la stigmatisation des limites de toute explication a posteriori de l'histoire trouve une échappatoire dans une rencontre métaphysique avec le sens. Pour Goetz enfin (Festung), le discours se substitue à son objet jusqu'à le faire disparaître : par la rupture permanente des perspectives et leur multiplication, le texte dramatique tente d'échapper à cette tendance. En réponse aux nouvelles césures et questionnements, la dramaturgie allemande contemporaine ne se livre donc pas à "une relecture" de la période 1933-45 et des problématiques qui y sont liées mais à un "déplacement" dans le geste critique même du théâtre comme instance d'observation et d'analyse".

Le constat semble s'inverser dans le cas de la littérature autrichienne qu'analyse Barbara Lafond (Strasbourg) au travers de l'exemple précis du roman d'Alfred Kolleritsch, Alleman ("Alfred Kolleritschs Roman Alleman - die literarische Gestaltung der Erinnerungsarbeit und Vergangenheitsbewältigung in Österreich nach 1945"). Si jusqu'à la fin des années cinquante le national-socialisme et l'austro-fascisme restent encore un tabou que se garde bien d'aborder la littérature, la seconde moitié des années soixante et surtout les années soixante-dix renversent cette tendance. Le refoulement du passé en Autriche et les scandales politiques deviennent des thèmes largement discutés par l'opinion publique et relayés par la littérature. C'est dans ce contexte de "dévoilement" que Kolleritsch publie en 1989 son roman Alleman, dans l'optique de donner une forme littéraire à son travail sur son enfance et sa jeunesse sous le national-socialisme. Les éléments de permanence de l'idéologie national-socialiste et de ses mythes le disputent aux tentatives de l'éducateur Alleman pour contrer la mainmise totale sur l'individu afin de laisser le champ libre à la subjectivité et à la créativité. Le recours à une stratégie narrative innovatrice, celle de l'"autobiographie élargie" relativise la thèse provocatrice d'une permanence de la mentalité des bourreaux. Kolleritsch se livre dans son roman à un vrai travail de mémoire en revendiquant le droit à la liberté individuelle.

La réponse paraît plus nuancée en ce qui concerne l'historiographie autrichienne comme en témoigne l'analyse des discussions sur la question de la restitution ("Anmerkungen zur österreichischen Art des Verhandelns über Geschichte") par Oliver Rathkolb (Vienne). Infirmant la thèse de l'anthropologue de la culture Elazar Barkan, il montre que l'application des lois sur la restitution n'a pas entraîné en Autriche une remise en cause du passé ni une modification du sentiment de responsabilité politique pour les fautes commises. L'identité autrichienne s'est construite sur une double "paix sacrée", celle, jamais remise en cause, des années 1933-1938 et celle, plus discutée, mais jamais non plus fondamentalement remise en question de la période 1938-1945. Ce consensus est consolidé par la signature du traité d'Etat en 1955 et par la loi sur la neutralité. La question est de savoir si, en 1955, cette neutralisation de l'Autriche n'a pas tout simplement sanctionné le statut de victime de l'Etat autrichien. Ce n'est qu'à partir de 1995, en relation avec les débats sur les travailleurs forcés, que l'action politique se double d'une réflexion sur l'histoire et sur le passé. L'internationalisation des questions concernant en particulier les droits de l'homme ou les restitutions, la fin de la guerre froide et l'apparition de la troisième génération sont les principaux facteurs de cette césure dans l'historiographie autrichienne et dans le comportement des élites politiques.

De fait, comme le souligne Geneviève Humbert-Knitel (Strasbourg) dans son intervention ("1955 - un lieu de mémoire divisée de la IIe République d'Autriche ?"), la reconnaissance officielle, en 1991, de la "responsabilité morale" dans les crimes nazis d'une partie de la population autrichienne, met un terme au mythe national de la victime et intervient également dans un contexte politique nouveau, entre autres celui de la perspective de l'entrée de l'Autriche dans l'Union Européenne. Cette réorientation de la mémoire nationale favorise l'émergence de revendications mémorielles et d'un discours critique qui, en remontant dans le passé, ravive les vieux clivages politiques. En effet, l'Autriche, à l'instar de l'Allemagne réunifiée, n'est pas épargnée par "cette effervescence mémorielle qui cherche à relier le présent au passé et qui souligne bien le lien de plus en plus privilégié existant entre la mémoire individuelle et l'identité nationale". L'analyse de quelques exemples de commémorations, comme celle de la Déclaration de Moscou, du traité d'Etat et de la loi constitutionnelle sur la neutralité, souligne non seulement le flou mémoriel qui entoure ces événements mais aussi l'ambivalence des rapports que l'Autriche entretient aujourd'hui encore avec son passé. Un "devoir de mémoire" trop inféodé à une stratégie de construction nationale mise en place par des groupes politiques au pouvoir invite avec urgence à revenir au "devoir d'histoire".

Un tel devoir s'impose d'autant plus lorsqu'on aborde la question délicate de l'historiographie "sudète" et des usages politiques du passé, analysés par Christian Jacques (Prague ; "L'historiographie 'sudète' et les usages politiques du passé"). Les débats autour des "décrets Benes" dans le contexte de l'entrée de la République tchèque dans la communauté européenne montrent les difficultés à surmonter un passé douloureux puisque même la création d'une commission d'historiens tripartite n'a pas permis de jeter les bases d'un consensus. L'étude précise de l'influence de la Sudetendeutsche Landsmannschaft et de son travail de réécriture de l'histoire de la population germanophone de Tchécoslovaquie présentée par ces acteurs comme l' "histoire sudète" nécessite de remonter jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque apparut le terme de "sudète".

C'est à l'affirmation provocante de W. G. Sebald, que la guerre aérienne n'a "pas eu lieu dans la littérature allemande de l'après guerre", qu' Irène Kuhn (Strasbourg) consacre sa communication "'Noch sind sie unter uns, die Toten….' : W. G. Sebalds Luftkrieg und Literatur." L'analyse de Sebald, présentée à un public d'étudiants à l'Université de Zurich en 19897, et reprise dans le livre publié en 1999, selon laquelle toute une génération d'écrivains allemands se révéla incapable de transcrire ce qu'ils avaient vécu, suscita en Allemagne d'intenses débats sur ce passé encore proche, toujours douloureux.

L'unification allemande a particulièrement intensifié le "devoir d'histoire" en ce qui concerne l'histoire de la RDA. La commémoration du 17 juin 1953 étudiée par Sophie Lorrain (Strasbourg) a donné lieu à une déferlante d'ouvrages, de colloques et de manifestations qui incitent à se poser la question du rôle de cette date dans la construction de l'identité de l'Allemagne réunifiée ("La commémoration du 17 juin 1953 en Allemagne"). L'analyse de sa commémoration avant la chute du mur en RFA et en RDA témoigne de sa fonction de "lieu de mémoire", même si les raisons en ont été fondamentalement différentes de chaque côté du Mur. L'étude de quelques discours politiques prononcés en 2003 montre comment le souvenir de cette journée, en valorisant un combat pour les valeurs de liberté et de démocratie, vise à réintégrer l'histoire et le peuple de la RDA dans l'histoire allemande et européenne. Cinquante ans après, la mémoire redonne sens à une journée fêtée en son temps par la RFA comme la "Journée de l'unité allemande".

Au discours sur la littérature, l'historiographie et la société, s'ajoute celui sur l'appareil judiciaire et administratif. Stefan Fisch (Spire) analyse dans son intervention ("Wiederaufbau nach 1945 in Deutschland am Beispiel des Verwaltungsaufbaus. Beharrung im Wandel ?") les permanences de l'administration après 1945 en RFA. La véritable césure se situe en 1948 avec l'introduction du D-Mark et de l'économie sociale de marché - tandis que l'économie de la future RDA se voit dès le lendemain de la guerre organisée selon le modèle soviétique. Le "devoir de critique" qui aurait dû permettre une certaine innovation n'a pas eu lieu, dans l'administration comme dans la justice.

Le devoir de mémoire est alors susceptible d'apporter quelques corrections et de rétablir l'histoire dans sa vérité comme l'analyse Andrea Tam (Strasbourg) dans son intervention "Les résistants de l'Abwehr. Entre condamnation et réhabilitation. Le cas de Hans von Dohnanyi". Les résultats de recherches très récentes sur ce juriste d'exception au sein du ministère de la Justice, puis au sein de l' "Abwehr" qui a été le cerveau du complot contre Hitler permettent de remonter aux sources des diffamations qui l'ont accablé de son vivant et qui ont jeté une ombre sur sa mémoire jusque dans les années 1980. L'exemple du "cas Dohnanyi" illustre l'importance de la réhabilitation historiographique qui peut avoir dans certains cas plus de poids que la réhabilitation juridique.

Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis la fin de la seconde guerre mondiale et les querelles d'interprétations sont encore vives. Le renouvellement des problématiques imposé par l'actualité invite à approfondir la question de la réécriture de l'histoire en tenant compte des acquis récents de la recherche, des enjeux politiques et des grands débats historiographiques. Les actes de ce colloque feront l'objet d'une publication dans le numéro 2 de l'année 2005 de la Revue d'Allemagne.


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