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Titel
Sarajevo. Die Geschichte einer Stadt


Autor(en)
Sundhaussen, Holm
Erschienen
Anzahl Seiten
409 S.
Preis
€ 34,90
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Xavier Bougarel, CNRS, Paris / Centre Marc Bloch, Berlin

Holm Sundhaussen, spécialiste internationalement reconnu de l’Europe du Sud-Est, revient avec un nouveau livre. Après avoir publié une histoire de la Serbie en 2007 et une histoire de la Yougoslavie et de ses États successeurs en 2012, il s’intéresse à la ville de Sarajevo et se demande: „Qu’a Sarajevo que les autres villes n’ont pas ?“ (p. 9). Tout en mettant en garde contre toute idéalisation, il insiste alors sur le caractère multiconfessionnel et multiethnique de cette ville, et choisit pour l’étudier „une ‘histoire croisée’, au-delà des récits nationaux qui, dans le cas de Sarajevo, n’ont de toute façon aucun sens“ (p. 17). L’auteur adopte cependant un plan chronologique classique, chacun des quatre chapitres de l’ouvrage traitant d’une des grandes périodes de l’histoire de Sarajevo.

Dans le premier chapitre consacré à la période ottomane (1462–1878), Holm Sundhaussen décrit la naissance de la ville ottomane et le rôle essentiel joué par les fondations pieuses dans ce processus. Puis il étudie les principaux traits de cette ville, des rapports entre marché (čaršija) et quartiers d’habitation (mahala) à l’organisation intérieure des maisons, en passant par les lieux de culte et les infrastructures collectives. Il compare le statut de Sarajevo à celui des villes occidentales à la même époque, et offre une image de la ville ottomane dont le principe organisateur serait la ségrégation plutôt que l’intégration (p. 59). L’auteur s’intéresse aussi au processus d’islamisation, en insistant entre autres sur l’action des confréries soufies, puis décrit les rapports entre populations musulmanes, chrétiennes et juives en termes de „sociétés parallèles“ (p. 85), tout en relevant diverses formes d’hybridité et de syncrétisme dans la culture populaire (p. 91). Enfin, il oppose l’âge d’or des XVe–XVIIe siècles à la crise des siècles suivants, quand les réformes ottomanes se heurtent à la résistance des élites musulmanes locales et échouent à freiner la crise des rapports interconfessionnels.

Le second chapitre traite de la période austro-hongroise (1878–1918) et insiste sur les transformations démographiques, urbanistiques et architecturales de Sarajevo, sur la confrontation entre les ardeurs civilisatrices de l’Autriche-Hongrie et les traits „orientaux“ de la société bosnienne, et sur le déclin de la communauté musulmane. L’auteur montre également qu’après l’échec du projet de „nation bosnienne“ promu par Benjamin Kallay, le communautarisme à base confessionnelle et les idéologies nationalistes serbe et croate façonnent de plus en plus la vie politique et sociale, jusqu’à l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 qui fait basculer la Bosnie-Herzégovine et l’Europe dans la guerre.

Le troisième chapitre couvre la période yougoslave, et se décompose en différentes parties traitant de la première Yougoslavie (1919–1941), de la Seconde Guerre mondiale (1941–1945) et de la Yougoslavie communiste (1945–1992). Selon Holm Sundhaussen, l’entre-deux-guerres est caractérisé par la marginalisation de Sarajevo, par sa „chute dans l’insignifiance“ (p. 256), mais aussi par un début de réelle „vie commune“ (p. 264) entre les communautés. A propos de la Seconde Guerre mondiale, l’auteur déconstruit le mythe d’une ville unanimement résistante et lui oppose une analyse plus nuancée de l’attitude des élites locales. Enfin, il montre que la période communiste est pour Sarajevo un moment de croissance rapide et un nouvel âge d’or, symbolisé par les Jeux olympiques d’hiver de 1984. Cette période est aussi marquée par la sécularisation des mœurs et la reconnaissance de la nation musulmane, mais s’achève par une profonde crise économique et politique.

Le quatrième chapitre est consacré à la période post-yougoslave, à savoir la guerre de 1992–1995 et l’après-guerre. Holm Sundhaussen resitue le long siège de Sarajevo dans son contexte général et montre la manière dont les années de guerre ont transformé la composition de la population sarajévienne et les rapports entre communautés religieuses et nationales. Puis il s’intéresse à la reconstruction de la ville, à sa normalisation progressive mais aussi à ses difficultés durables, dans un contexte pesant et incertain, avant de terminer sur les évolutions de l’islam bosnien dans l’après-guerre.

En conclusion, Holm Sundhaussen revient alors à la question: „Qu’a Sarajevo que les autres villes n’ont pas ?“ et affirme que „la longue cohabitation de musulmans, d’orthodoxes, de catholiques et de juifs sépharades à Sarajevo est bien quelque chose de particulier, une exception plutôt que la norme“ (p. 363), qui fait de Sarajevo une ville unique en Europe (à défaut de l’être dans le monde méditerranéen).

L’ouvrage de Holm Sundhaussen est un ouvrage de synthèse, basé sur une très bonne maîtrise de la littérature scientifique – et de la littérature tout court – existant sur Sarajevo, sur la Bosnie-Herzégovine et sur la Yougoslavie (seule la partie sur la Seconde Guerre mondiale renvoie à des documents d’archive). Son recours fréquent aux récits de voyageurs, aux témoignages de diplomates et aux œuvres romanesques rend son propos plus concret et plus prenant. A peine regrettera-t-on qu’il ne s’appuie pas d’avantage sur les travaux d’ottomanistes tels que Suraiya Faroqhi, ou qu’il ignore apparemment l’ouvrage de Peter Andreas sur l’économie du siège de Sarajevo.1

Fort de son intime connaissance de l’espace yougoslave, Holm Sundhaussen propose donc au lecteur une synthèse solide et bien écrite, offrant de brillants résumés de certaines situations historiques (sur l’urbanité ottomane, le réformisme islamique, la Seconde Guerre mondiale, etc.) et faisant le point avec beaucoup d’à-propos sur certains débats historiographiques (sur l’islamisation, l’attentat de Sarajevo, le bilan de l’expérience yougoslave, etc.). De ce point de vue, cette histoire de Sarajevo (et de la Bosnie-Herzégovine) est incontournable.

Mais cet ouvrage a aussi ses limites. En premier lieu, il comporte certaines erreurs factuelles: pour ne prendre qu’un exemple, la communauté affichant les pertes proportionnellement les plus importantes en Bosnie-Herzégovine pendant la Seconde Guerre mondiale n’est pas la communauté musulmane (p. 280) mais la communauté serbe. 2

De manière plus générale, la volonté de l’auteur d’offrir un récit synthétique et nuancé le conduit parfois à des considérations peu originales: ainsi, quand il écrit que „la guerre de Bosnie ressemble à un puzzle dont les parties ne se laisseront jamais réassembler par une perspective national(iste)“ (p. 334) ou que tous les camps en présence ne sont pas également coupables mais qu’il y a des coupables dans tous les camps (p. 339), Holm Sundhaussen ne nous apprend pas grand-chose sur un débat vieux de vingt ans maintenant. Chose étonnante, il s’abstient de se prononcer sur la qualification comme génocide de certains crimes commis pendant la guerre.

Enfin, Holm Sundhaussen peine à respecter le format de son livre, qui se lit parfois comme une histoire de Sarajevo, parfois comme une histoire de la Bosnie-Herzégovine, et parfois comme une histoire des seuls Musulmans/Bosniaques. Or, si son souci de contextualisation est louable, le fait qu’il consacre plusieurs pages au débat sur le réformisme musulman dans l’entre-deux-guerres ou aux évolutions de l’islam depuis 1995 sans nous proposer l’équivalent pour l’orthodoxie, le catholicisme ou le judaïsme crée un fâcheux déséquilibre. Certaines de ses analyses concernant l’islam, le soufisme et la sécularisation mériteraient par ailleurs une discussion plus approfondie, qu’il est impossible de mener ici.

Pour conclure, je dirai que l’ouvrage de Holm Sundhaussen constitue une synthèse précieuse qui sera utile à tous ceux qui s’intéressent à la Bosnie-Herzégovine, et incitera sans doute les jeunes générations de chercheurs à soulever de nouvelles questions et à explorer de nouveaux champs de recherche.

Notes:
1 Peter Andreas, Blue Helmets and Black Markets. The Business of Survival in the Siege of Sarajevo, Ithaca 2008.
2 Voir Vladimir Žerjavić, Gubici stanovništva Jugoslavije u drugom svjetskom ratu, Zagreb 1989, p. 74.

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