S. Humbert-Mougin u.a. (Hrsg.): Le Théâtre antique

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Titel
Le Théâtre antique entre France et Allemagne (XIXe-XXe siècles). De la traduction à la mise en scène


Herausgeber
Humbert-Mougin, Sylvie; Lechevalier, Claire
Anzahl Seiten
295 S.
Preis
€ 18,00
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Sandrine Maufroy, UFR d’Etudes germaniques et nordiques, Université Paris-Sorbonne

Issu de deux journées d’études organisées à Tours par Sylvie Humbert-Mougin et Claire Lechevalier, le livre prend le parti d’une approche résolument pluridisciplinaire pour analyser un objet complexe, façonné par des transferts culturels multiples et marqué par la tension entre rigueur philologique et exigence d’efficacité théâtrale, entre démarche historique et nécessités contemporaines, entre relectures novatrices et attentes du public.

Précédées d’une introduction précise et synthétique qui éclaire les enjeux esthétiques et idéologiques successifs de l’étude philologique, de la traductionet de la mise en scène du théâtre antique entre France et Allemagne, les douze contributions réunies dans ce volume sont réparties en quatre parties chronologiques et thématiques : « I – Renaissance (autour de 1800) », « II – Effervescence (1850-1890) », « III – Relectures contemporaines » et « IV – Regards croisés ».

Dans l’article qui ouvre la première partie, Anne Baillot (« Antigone est-elle weimarienne ? ») étudie la genèse et la réception de la mise en scène d’Antigone de Sophocle présentée à Weimar en 1809. Elle retrace les étapes de la collaboration entre Goethe, J. F. Rochlitz (écrivain et compositeur) et K.W.F. Solger (traducteur de Sophocle), et examine les difficultés nées de la tension entre le projet de Goethe et les attentes du public. Clémence Couturier-Heinrich (« La traduction "métrique" selon Wilhelm von Humboldt ») analyse la tentative de Wilhelm von Humboldt pour traduire l’Agamemnon d’ Eschyle en transposant exactement en allemand la métrique de l’original. Ces deux contributions mettent en lumière des formes d’imbrication entre approche philologique et création artistique et font apparaître la manière dont une traduction donnée s’ancre dans les débats esthétiques et conceptuels de son temps.L’acte de traduire lui-même est au centre des réflexions de Philippe Marty (« La stichomythie tragique et le "temps oisif" de la traduction. Sur quelques vers de la traduction d’Antigone et les "Notes à Œdipe" de Hölderlin ») : commentant un court extrait du dialogue entre Créon et Hémon traduit par Hölderlin, il s’interroge sur le devenir de ce texte « centaure » et propose une interprétation de la stichomythie comme analogie de l’acte de traduire.

Si le tournant des XVIIIe et XIXe siècles apparaît comme une époque de tentatives fondatrices isolées, la seconde moitié du XIXe siècle se caractérise par des événements théâtraux marquants. AngelikiGiannouli (« D’une Antigone (1844) à l’autre (1893) ») analyse deux mises en scène parisiennes de l’Antigone de Sophocle. Elle met en lumière le rôle décisif d’impulsions venues d’Allemagne et souligne l’apport des sciences de l’Antiquité concernant l’établissement et la compréhension du texte, la configuration de l’espace scéniqueet la composition musicale, sujette à controverses. Etudiantla genèse et la réception du Prométhée enchaîné de Fromental Halévy, Léon Halévy et Alexandre Vincent, Christophe Corbier (« Du proscenium à la salle de concerts : le Prométhée de Fromental Halévy ») montre le poids de la hiérarchie des genres classiques et des préjugés culturels défavorables aux musiques « orientales », mais aussi l’aptitude des tentatives de restitution du théâtre d’Eschyle à préparer, par leur « modernité » paradoxale, des remises en question radicales. C’est précisément une volonté d’ouverture à l’étrangeté de l’antique qui caractérise, à des degrés divers, les traductions de Plaute étudiées par Ariane Ferry (« Traduire Plaute au XIXe siècle : de la "chimère rétrospective" à la scène de l’Odéon »), quiparvient à la conclusion que les traductions savantes publiées à partir du début du XIXe sièclene s’opposent pas radicalement àcelles qui, à la fin du siècle, furent réalisées en vue de la scène, mais leur ont ouvert la voie. Les traductions d’Aristophane publiées vers 1860 répondent à un impératif différent, celui de « naturaliser » un auteur mis à contribution dans les débats politiques du moment. Romain Piana (« Traduire Aristophane en vers en France autour de 1860 ») montre comment dans les traductions d’Eugène Fallex et d’Amédée Fleury, le choix de la versification correspond à une recherche d’efficacité (par opposition à la recherche de littéralité des traductions en prose) et contribue à une « lecture assimilatrice » des textes favorisantleur réception et leur instrumentalisation politique.

La troisième partie réunit deux études consacrées à des « relectures contemporaines » de l’Antigone de Sophocle et de sa traduction par Hölderlin. Bernard Banoun (« Traduire une traduction ? Antigone des Sophokles de Hölderlin, texte français de Philippe Lacoue-Labarthe ») pose la triple question du statut du texte de Hölderlin entre traduction et réécriture, de la possibilité de considérer celui-ci comme un original et de la démarche à adopter pour en donner une version française. Ariane Eissen et Myrto Gondicas (« Coller au texte, traduire pour un public : trois traductions françaises récentes de l’Antigone de Sophocle ») confrontent les traductions d’Antigone publiées par Jean et Mayotte Bollack, Florence Dupont et Malika Hammou; elles mettent en évidence la manière dont les choix de ces traducteursdéfinissent de manières différentes la place du lecteur et du spectateur et transmettent implicitement des conceptions différentes de la tragédie.

La quatrième partie du volume est consacrée à la confrontation entre des versions françaises et allemandes de pièces antiques. Marie-France David-De Palacio (« Le pouvoir des femmes : variantes aristophanesques en Allemagne et en France à la fin du XIXe siècle (Wilbrandt, Donnay) ») étudie la manière dont trois aspects essentiels de Lysistrata et de l’Assemblée des femmes sont traités dans la version « légère et parisienne » de Maurice Donnay et dans la traduction allemande « plus classique » de Adolf Wilbrandt à la fin du XIXe siècle : maîtrise de l’espace, maîtrise du corps et du logos, maîtrise de la parole par les femmes. Jean-Louis Backès (« Problèmes de métrique dans la traduction des chœurs tragiques ») analyse les solutions proposées au cours du XXe siècle pour traduire les chœurs tragiques en français et en allemand en s’efforçant de concilier respect du sens et rendu des particularités métriques de ces textes problématiques. Pierre Judet de La Combe (« Un dire indirect. Traductions allemandes et françaises d’une phrase d’Eschyle ») se penche sur les traductions françaises et allemandes du début du premier chant lyrique d’Agamemnon d’Eschyle ; posant les bases d’une philologie des traductions, il met la démarche historique et critique au service d’une pratique réfléchie de la lecture, de la traduction et de la transmission des textes antiques.

Indépendants les uns des autres, les différents articles se suivent cependant de manière progressive comme les chapitres d’un livre à lire d’un bout à l’autre. Ils se répondent en écho, et font ainsi ressortir certaines questions particulièrement cruciales, comme celle de l’adaptation à la scène moderne des chœurs de la tragédie antique.

Au sein de ce qui, du théâtre antique, est parvenu jusqu’à nous, c’est la tragédie grecque qui prédomine dans le recueil.Une œuvre impose sa présence : Antigone de Sophocle. Cette prédominance d’une période, d’un genre et d’une pièce correspond certes aux prédilections des auteurs, traducteurs et metteurs en scène étudiés. Mais l’on peut suggérer qu’elle reflète aussi nos propres questionnements contemporains :de même que l’interprétation d’une œuvre antique nous apprend au moins autant sur l’interprète que sur l’œuvre interprétée, le présent volume nous apprend peut-être autant sur notre propre époque que sur les périodes qu’il étudie.

Cet ouvrage stimulant, qui contribue à remettre en question certaines idées reçues, pourra intéresser chercheurs et étudiants, gens de théâtre et traducteurs, lecteurs et spectateurs. La facture matérielle du livre, l’index et la bibliographie contribuent à en faire un ouvrage maniable, agréable à lire, apte à susciter de nouvelles interrogations et de nouvelles recherches.

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