I. Karremann u.a. (Hrsg.): Forgetting Faith

Cover
Titel
Forgetting Faith?. Negotiating Confessional Conflict in Early Modern Europe


Herausgeber
Karremann, Isabel; Zwierlein, Cornel; Groote, Inga Mai
Reihe
Pluralisierung und Autorität 29
Erschienen
Göttingen 2012: de Gruyter
Anzahl Seiten
VI, 287 S.
Preis
€ 89,95
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Julien Léonard, Centre de Recherche Universitaire Lorrain d'Histoire, Université de Lorraine Nancy

Cet ouvrage est le fruit des réflexions menées à partir d’un colloque tenu à Munich en 2010. Il pose la question originale de la possibilité d’oublier la religion de l’autre dans l’Europe moderne, c’est-à-dire dans une société où la religion est précisément structurante. Les contributions sont nombreuses, variées, et écrites par des spécialistes internationalement reconnus. Malgré le caractère éclaté des différents chapitres, ce qui est la loi du genre, une introduction très dense, rédigée par les trois éditeurs, pose des bases solides et très intéressantes de réflexion sur le sujet. Soulevant la question d’un „Religious Turn“ en histoire moderne, notamment depuis 2001, les éditeurs insistent beaucoup, à juste titre, sur l’interdisciplinarité, notamment avec la littérature, mais aussi avec la musique, qui sont des disciplines largement sollicitées dans ce volume.

Une des interrogations centrales qui irriguent les diverses contributions est de savoir si, dans certains contextes et sur certains sujets, il a été possible, dans l’Europe d’un long XVIe siècle allant jusqu’en 1648, de laisser de côté la question confessionnelle. Cela ne veut pas dire, bien au contraire, que la religion soit devenue secondaire: mais elle a pu être volontairement oubliée, par un haut degré de réflexivité et suite à un travail social et culturel important. La culture de l’oubli est donc un objet d’analyse particulièrement central, notamment chez les protestants qui ont été à l’origine de l’iconoclasme ou de l’abandon de la prière pour les morts, tout en publiant des martyrologes inscrivant leur mémoire dans l’histoire. Mais se pose aussi la question de l’amnistie, parfois organisée avec soin, comme dans la France des guerres de Religion, avec des édits de pacification mettant l’oubli au rang de leurs premières préoccupations, y compris dans l’Édit de Nantes (1598). Reprenant les travaux de Maurice Halbwachs sur le caractère social de toute mémoire, individuelle ou collective, les éditeurs posent également l’hypothèse d’un oubli comme condition préalable à la formation des identités nationales.

Trois champs d’études sont principalement analysés dans les contributions: la production esthétique, le discours érudit et les pratiques sociales. L’articulation est soignée, afin de bien percevoir les différences et les points communs entre ces champs-ci. Richard Wilson étudie ainsi les conséquences des guerres de Religion en Europe sur les pièces de Shakespeare. La question est même au cœur de certaines pièces, comme les Peines d’amour perdues: Wilson montre ainsi que l’auteur a pu remarquablement jouer sur les controverses religieuses et en offre une vision largement critique et féroce, sous le couvert de la création littéraire, permettant de contourner certaines contraintes.

Andrea Frisch s’intéresse quant à elle à la représentation des guerres de Religion françaises dans les tragédies écrites entre 1560 et 1640, ce qui pose nécessairement la question de l’oubli organisé (et légalisé dans l’Édit de Nantes). Mais certains historiographes et poètes ont habilement joué sur la comparaison avec l’Antiquité, procédé déjà bien connu, ce qui les a amenés à comparer, entre autres exemples, Henri IV à César et les guerres de Religion aux guerres civiles romaines. Jonathan Baldo revient à Shakespeare, en montrant qu’il permet de percevoir les mémoires et les oublis dans l’Angleterre de son temps, notamment dans sa pièce „Richard II“: au lieu d’explorer le passé comme il veut donner l’impression de le faire, il permet au contraire de faire oublier certains événements dramatiques et de surmonter, dans une certaine mesure, le traumatisme des guerres et des réformes. Ingrid Hotz-Davies montre pour sa part que les contours de la foi sont souvent définis par ce qui n’est pas du ressort de la foi, à travers l’étude d’un texte de Robert Burton, „Anatomie de la Mélancolie“ en 1621. Cette œuvre montre la grande complexité de la réduction des éléments de foi au seul domaine de la foi. Le texte de Burton comprend ainsi une riche phénoménologie des religions, mais la foi elle-même semble bien „oubliée“. Cornel Zwierlein propose ensuite une théorie politique de l’oubli en Italie aux XVIe et XVIIe siècles. Il s’appuie notamment sur un passage explicite de Machiavel, souvent méconnu d’ailleurs, appelant à l’oubli de la religion pour mieux construire une mémoire collective et un État puissant. Pourtant, ce texte a eu une postérité, puisqu’il a été repris par l’historien Scipione Ammirato, dans ses „Discours“ sur Tacite en 1607. Cette communication propose également la publication, en annexe, du passage d’Ammirato en question, ce qui permet d’accéder, pour les italianisants, à une source intéressante.

Freya Sierhuis analyse encore l’oubli de la religion par l’intermédiaire du théâtre et de la poésie, mais cette fois dans les Provinces Unies, là où le pluralisme confessionnel est sans doute le plus fort et le plus achevé. S’appuyant sur les écrits politiques de Grotius et de ses amis dans les années 1610, elle montre ensuite leur pénétration dans la littérature et le théâtre, notamment dans les années 1630, et tout particulièrement chez le célèbre Joost van den Vondel, qui consacre une trilogie à l’histoire biblique de Joseph et à la réconciliation entre frères séparés. Vondel a lui-même expérimenté la division confessionnelle, puisqu’il est né mennonite et qu’il s’est converti au catholicisme. On voit bien, par ce biais, que le pluralisme a été très tôt intégré et intériorisé, grâce à des formes d’oubli de la diversité confessionnelle. Inga Mai Groote et Philippe Vendrix se demandent ensuite selon quels moyens et pourquoi les musiciens ont pu être amenés à cacher leur appartenance confessionnelle et voient quelles en ont été les conséquences esthétiques et artistiques. Pourtant, il existe des marqueurs confessionnels forts et ce sont des choix parfois individuels, mais aussi collectifs qui peuvent pousser à s’y plier ou à les refouler jusqu’à en faire oublier la foi des auteurs. Andrew Spicer travaille sur la possibilité pour des étrangers de diverses religions de s’installer à Londres dans les années 1570. Il tente ainsi de voir quelle est leur inscription confessionnelle, mais aussi et surtout si l’absence de rattachement officiel à une Église signifie l’indifférence, ou simplement l’impossibilité d’en avoir une.

Thomas Weller évoque de façon originale la présence, méconnue, de marchands anglais en Espagne, avec un traitement assez souple qui leur est réservé au cours des dernières décennies du XVIe siècle, pour des raisons pragmatiques. Ces Anglais ne sont toutefois pas autorisés à exercer leur culte et sont cantonnés dans certaines villes: pourtant, ils mettent en place des pratiques de dissimulation, elles aussi pragmatiques, qui sauvegardent leur identité confessionnelle, tout en se pliant aux exigences espagnoles visant à la préservation de l’identité catholique de leur propre pays. Stefan Schmuck se penche sur les voyageurs anglais en terre d’Islam à la fin du XVIe siècle. Il analyse comment ceux-ci négocient leur différence religieuse et comment ils peuvent affronter l’altérité, y compris avec des chrétiens locaux. Cela les amène à élaborer diverses stratégies, notamment de dissimulation et d’accommodation, tout en veillant à préserver au mieux leur propre identité confessionnelle. Enfin, la dernière contribution en forme de conclusion est due à Jane Newman, qui met tous les éléments précédents en perspective et propose une réflexion passionnante. Elle étudie en effet notre relation actuelle avec le confessionnel par comparaison au système des traités de Westphalie, et remet en cause une certaine tradition historiographique faisant de ceux-ci des facteurs de sécularisation. Rappelant la persistance des liens entre confession et politique bien après 1648 et prônant une relecture attentive des traités, elle se demande même si cette sécularisation a réellement existé.

Chaque contribution, en particulier l’introduction, comporte des indications de sources et de bibliographie très intéressantes et précises. Le seul bémol que l’on pourrait souligner serait l’absence de connexion avec l’historiographie française. Malgré tout, il s’agit d’un ouvrage érudit et, surtout, qui stimulera la réflexion.

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