J. Ngaire Heuer: The Family and the Nation

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Titel
The Family and the Nation. Gender and Citizenship in Revolutionary France, 1789–1830


Autor(en)
Ngaire Heuer, Jennifer
Erschienen
Anzahl Seiten
256 S.
Preis
$ 21.95
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Martine Lapied, Université de Provence, UMR TELEMME, MMSH, Aix-en-Provence

Jennifer Ngaire Heuer s’interroge sur ce que veut dire pour les femmes appartenir à une Nation. L’ouvrage montre que famille et droit de Cité sont étroitement enchevêtrés mais souligne la contradiction entre le statut de citoyenneté et la dépendance des femmes dans le privé. En voulant comprendre les liens entre mariage et politique, elle prend aussi part au débat sur la Révolution comme émancipation ou exclusion pour les femmes, avançant qu’il y a des arguments forts pour chaque interprétation.

L’auteur, professeur d’histoire à l’Université du Massachusetts, Amherst, a déjà publié d’intéressants travaux dans le domaine du Gender. L’institution familiale étant à la fois la base et le reflet de la société, le problème des liens entre Etat et famille est évidemment crucial, en particulier pour qui s’intéresse à la question du Genre.1 Le présent travail, issu d’une thèse, est fondé sur une importante recherche aux archives nationales et dans les centres des départements du nord-est de la France. Le seul regret que l’on puisse avoir, à ce niveau, est la traduction en anglais des documents d’archives cités.

Les femmes doivent-elles faire passer les liens familiaux avant la Patrie alors qu’elles ne sont pas citoyennes à part entière? La question des femmes obligées par leurs liens familiaux à émigrer pendant la Révolution est posée d’emblée dans l’introduction à partir de la lettre adressée en 1794 à la Convention par une jeune femme qui plaide sa loyauté: son père et son mari l’auraient obligée à partir contre son gré et l’empêcheraient de revenir.

L’autre interrogation porte sur les possibilités d’acquisition de la citoyenneté par le mariage, en particulier pour des étrangers de devenir français par leur mariage avec des Françaises qui leur conféreraient ainsi la nationalité.

Le livre se présente en trois parties chronologiques, ce qui est indispensable pour une analyse fine des évolutions telle qu’elle est menée par Jennifer Ngaire Heuer car les réponses à ces questions varient selon les périodes.

I - The Family of the Nation étudie la période fondamentale qui mène de l’Ancien Régime à la fin du gouvernement révolutionnaire.

Sous l’Ancien Régime, le roi est le père de la Patrie et la famille est organisée pour préserver le patrimoine. Hommes et femmes peuvent devenir français ou perdre leur nationalité par des mécanismes similaires. Considérant la famille comme la seule association naturelle, les révolutionnaires ont voulu la régénérer. Avec la Révolution, le mariage devient un contrat civil par la Constitution de 1791, mais au-dessus de la famille se constitue la grande famille de la Nation après disparition des groupes entre l’individu et l’Etat, d’où les contradictions entre les devoirs dus aux deux familles représentant toutes deux, pour les femmes, une autorité supérieure. Après des hésitations dans les débuts de la Révolution, sous la Terreur la Nation doit primer sur la famille.

Le problème de l’émigration est contradictoire à plus d’un titre: le devoir familial des femmes n’est-il pas d’accompagner leurs pères ou leurs maris? Les femmes ne pouvant exercer de droits politiques peuvent-elles perdre leurs droits de femmes françaises pour des crimes que seuls des citoyens peuvent commettre? Les révolutionnaires ont réaffirmé la conception d’un rôle « naturel » de la femme au sein de son foyer. Mais, finalement, le gouvernement révolutionnaire décide que le devoir envers la Nation surpasse les autres. Avec le divorce, la femme est libre de quitter un mari qui veut émigrer. En affirmant la responsabilité de la citoyenne qui doit rester en France, les révolutionnaires montrent qu’elle n’est pas considérée comme politiquement inexistante. La république jacobine représente l’apogée du modèle de la supériorité de la grande famille de la Nation.

II – Toward a Nation of Families: Transitions of the Late 1790s porte sur les évolutions après Thermidor et pendant le Directoire.

Dans une volonté de renforcer une vision traditionnelle de la famille, un retour progressif aux règles du droit familial de l’Ancien Régime se dessine et les contrats familiaux se distinguent désormais d’autres types de contrats. La femme mariée retombe sous la puissance de son mari. La Nation est davantage conçue comme un rassemblement de familles représentées par leur chef que comme une grande famille rassemblant des individus. Dans une vision rousseauiste, le bon citoyen doit être bon mari et bon père.

Si les femmes sont exclues de toutes les assemblées politiques, elles restent citoyennes françaises, mais bien que la résidence en France soit requise pour les deux sexes, les femmes n’ont plus l’obligation de faire passer la famille avant la Patrie et elles sont facilement excusées du crime d’émigration.

III – The Napoleonic Solution and Its Limits. Un des points clefs de cette partie est, évidemment, l’étude du Code Civil qui, en plus de son emprise sur la société française, servit de modèle dans plus de vingt nations dans le monde. La question qui est posée est de savoir dans quelle mesure il nie les droits des femmes.

Selon Jennifer Ngaire Heuer, le Code renforce le pouvoir des maris et des pères, mais s’il les limite de façon substantielle, il n’abolit pas complètement les innovations révolutionnaires dans le droit de la famille. Il préserve le divorce pour les hommes en cas d’adultère ainsi que pour les femmes mais seulement s’il a lieu au domicile conjugal.

La naturalisation est liée au service militaire et à la citoyenneté politique. Les étrangères qui épousent des Français obtiennent le statut de leur mari.

L’accent est mis sur l’unité de la famille pour tenter de résoudre la contradiction entre citoyenneté nationale et liens familiaux. Le mari a le droit d’obliger sa femme à le suivre partout où il juge à propos de résider pourvu que ce ne soit pas hors du pays, mais la loi de 1811 qui punit les citoyens quittant l’Empire sans autorisation en exclut explicitement les femmes.

Pour finir l’auteur s’interroge sur un retour à l’Ancien Régime dans le domaine des structures de la famille et de la Nation sous la Restauration avec la réaffirmation du lien entre l’autorité du père de famille et du roi père de la Nation, ainsi que l’abolition du divorce en 1816. Bien que les femmes redeviennent soumises au niveau familial, et invisibles en politique, Jennifer Ngaire Heuer conclut à une restauration limitée.

Comme les travaux de Lynn Hunt, de Suzanne Desan, cet ouvrage relève du courant actuel de la recherche qui s’intéresse à la famille et aux dimensions civiles de la citoyenneté. Il rejoint certaines analyses d’Anne Verjus dans une analyse familiariste de la politique.2 D’ailleurs, Jennifer Ngaire Heuer a co-signé un article avec elle sur L’invention de la sphère domestique au sortir de la Révolution3. Les recherches menées par Jennifer Ngaire Heuer montrent tout l’intérêt d’un travail de terrain en archives pour répondre à une problématique précise dans le domaine du Gender. Beaucoup reste encore à dépouiller, de nombreuses sources doivent être revisitées avec des grilles de lecture propres à faire avancer nos réflexions sur Femmes, Genre et Révolution.4

Notes:
1 Cf Jean-Jacques Clere, « La Révolution française et la famille », dans: La Révolution française. Une histoire toujours vivante, sous la direction de Michel Biard, Paris 2009.
2 Anne Verjus, Le cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Paris 2002; « Le bon mari », une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque de la Révolution, Paris 2010.
3 Jennifer Ngaire Heuer / Anne Verjus, « L’invention de la sphère domestique au sortir de la Révolution », AHRF, n°327, 2002
4 Cf Dominique Godineau / Lynn Hunt / Jean-Clément Martin / Anne Verjus / Martine Lapied, « Femmes, Genre, Révolution », Regards croisés, AHRF, n°358, 2009.