Ch. Balme u.a. (Hrsg.): Theatre, Globalization and the Cold War

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Titel
Theatre, Globalization and the Cold War.


Herausgeber
Balme, Christopher B.; Szymanski-Düll, Berenika
Reihe
Transnational Theatre Histories
Erschienen
Basingstoke 2017: Palgrave Macmillan
Anzahl Seiten
XVI, 350 S.
Preis
€ 103,99
Rezensiert für den Arbeitskreis Historische Friedens- und Konfliktforschung bei H-Soz-Kult von:
Stéphanie Gonçalves, Université Libre de Bruxelles

Que fait la guerre froide au théâtre? Publié en 2017, l’ouvrage collectif Theatre, Globalization and the Cold War, dirigé par Christopher B. Balme et Berenika Szymansli-Düll, deux chercheurs en études théâtrales à la Ludwig-Maximilians-Universität München, répond à cette question. Chevilles ouvrières du programme «Global Theatre Histories» (DFG), ils ont développé une recherche sur l’histoire globale et transnationale du théâtre entre le 19ème et le 20ème siècle. Ce livre est le fruit d’une conférence qui y a eu lieu en Mai 2012.1 Il s’inscrit dans le renouvellement de l’historiographie de la guerre froide, repensée depuis le «tournant culturel» des années 20002 et les ouvrages dédiés à la diplomatie culturelle.3 Il résonne en particulier avec les recherches récentes publiées sur la musique4 ou la danse5 dans la guerre froide, un domaine de recherche privilégié depuis quelques années. Après le livre Cold War Theatre de John Elsom, réédité en 2015 par Routledge6, qui s’intéressait aux institutions théâtrales en Grande-Bretagne, ou celui de Charlotte M. Canning sur le théâtre américain7, il vient combler un vide historiographique important dans l’étude du soft power pendant la guerre froide: l’histoire du théâtre à travers ses institutions, ses acteurs et, plus original mais aussi plus difficile à appréhender, à travers ses pratiques dans une dimension transnationale. Cette histoire a été jusqu’ici assez négligée, comme le rappelle l’introduction, notamment à cause de la difficulté de faire la part des choses entre des dynamiques qui relevaient de la guerre froide ou non.

L’ouvrage, composé de dix-sept contributions de qualité, est per se un beau défi de publication. L’introduction efficace est particulièrement éclairante sur les enjeux et les objectifs. La difficulté, comme souvent avec les ouvrages collectifs, réside dans le fait de trouver des points communs et transversaux dans un si grand nombre d’articles. Le pari est réussi grâce à la division en quatre parties, qui brossent un tableau complexe, détaillé et multiforme de l’histoire du théâtre pendant la guerre froide. La première partie, Shifting Borders: Tours and Touring (pp. 23–130), est consacrée aux tournées et dépasse l’idée – depuis longtemps réfutée par les chercheurs – d’une guerre froide cloisonnée où deux blocs se font face hermétiquement. L’histoire du théâtre est une histoire de circulations de femmes et d’hommes et de pratiques artistiques. La tournée devient alors un momentum de confrontations, de négociations mais aussi de dialogues entre des conceptions différentes et parfois une tribune politique (chapitre 3). La deuxième partie Institutions and Institutional Imbrications (pp. 131–186), concerne la dimension institutionnelle du théâtre en guerre froide et en particulier, la dimension de la surveillance, essentielle et encore peu connue en détail. La troisième partie, Acting, Artists and Art Between the Battlefronts (pp. 187–270), s’attache aux acteurs et aux esthétiques dans ce contexte martial. Enfin, la quatrième partie Postcolonial Perspectives (pp. 271–324), la plus courte, se concentre sur la dimension postcoloniale, jusqu’ici rare, cet aspect méritant à l’avenir un développement plus conséquent. Il s’agit donc d’une histoire faite de tournées, de transferts et de circulations culturelles mais aussi, dans les coulisses, de compromis et d’arrangements.

Outre la diversité spatiale – notamment l’Europe centrale et de l’Est – et la temporalité large – depuis avant la deuxième guerre mondiale jusqu’à la fin de la guerre froide – la première réussite de l’ouvrage est sa capacité à faire émerger une pluralité d’acteurs du monde théâtral et à sortir d’une histoire purement institutionnelle de la guerre froide. Il s’agit d’une histoire à la fois individuelle et collective. Au-delà de figures bien connues, les «usual suspects» (p. 3) comme Brecht, Grotowski et Brook, les contributions plongent dans une histoire des «oubliés» du théâtre, non moins essentielles pour comprendre les dynamiques complexes qui se sont jouées. La question des agents est centrale. Les contributions ne tombent pas non plus dans la facilité en évoquant uniquement l’histoire bien connue, mais partielle, des transfuges entre Est et Ouest. Elles dessinent des parcours d’individus, ne les réduisant pas à de simples marionnettes d’un pouvoir, mais dont les carrières sont irrémédiablement touchées par la guerre froide.

Le second atout des contributions est leur capacité à analyser et imbriquer les différentes échelles locales, régionales, nationales, internationales et transnationales. L’objectif du livre a été de mettre en lumière des concepts opérants pour l’analyse des dynamiques de la guerre froide. L’utilisation de concepts comme les «communautés épistémiques» (p. 10) et «communautés imaginées partagées» de B. Anderson (p. 154), la notion de «performance comme métonymie de la culture» de C. Balme (p. 77), ou encore la «République mondiale des lettres» de P. Casanova (p. 311), n’est pas nouvelle mais sera utile aux chercheurs de la guerre froide, aux spécialistes d’histoire culturelle voire d’histoire de l’art pour appréhender de nouveaux questionnements dans une dimension comparative, transnationale et globale.

L’ouvrage me semble un pas décisif dans la compréhension subtile et fine – en termes de sources, de dynamiques et d’acteurs – de l’histoire de la guerre froide dans le théâtre. C’est un chantier récent qui a de belles années de recherche devant lui grâce à l’ouverture prochaine de nouvelles archives. Il s’agit d’une histoire nuancée qui va bien au-delà des stéréotypes associés à la guerre froide. Loin d’être des marionnettes d’une histoire qui les dépasse, les artistes incarnent des esthétiques, des pratiques (la méthode Stanislavski par exemple) et parfois des idéologies qui font du théâtre bien plus qu’une mise en scène fictive qui ne serait qu’un jeu. Balayant des thématiques classiques comme la propagande et la censure, les contributions mettent aussi en avant les tensions de la guerre froide dans le théâtre en termes de financements (chapitre 4) mais aussi «la résistance et le plaisir» (p. 38), deux notions que l’on ne peut dissocier du théâtre. Theatre, Globalization and the Cold War est, par conséquent, une lecture recommandée pour les historiens de la guerre froide autant que pour les historiens culturels.

Notes:
1 Antje Dietze, Review of Theatre, Globalization and the Cold War, Conference of the DFG Koselleck project “Global Theatre Histories”, September 2012, in: H-Net Reviews, http://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=37311 (08.05.2018).
2 Robert Griffith, The cultural turn in Cold War studies, in: American History 29/1 (2001), pp. 150–157.
3 Jessica C. E. Gienow-Hecht / Mark Donfried, Searching for a Cultural Diplomacy, Oxford 2010.
4 Penny Von Eschen, Satchmo Blows Up The World: Jazz Ambassadors Play the Cold War, Cambridge 2004; Danielle Folser-Lussier, Music Pushed, Music Pulled: Cultural Diplomacy, Globalization, and Imperialism, Oxford 2012; Lisa E. Davenport, Jazz Diplomacy: Promoting America in the Cold War Era, Jackson 2009.
5 Naima Prevots, Dance for Export, Cultural Diplomacy and the Cold War, Middletown 1999; Victoria Phillips Geduld, Dancing Diplomacy: Martha Graham and the Strange Commodity of Cold-War Cultural Exchange in Asia, 1955 and 1974, in: Dance Chronicle 33 (2010), pp. 44–81; Christina Ezrahi, Swans of the Kremlin, Ballet and Power in Soviet Russia, Pittsburgh 2012; Clare Croft, Dancers as Diplomats: American Choreography in cultural exchange, New York 2015; Catherine Gunther Kodat, Don’t Act, Just Dance, The Metapolitics of Cold War Culture, London 2015; Emily Wilcox, Performing Bandung: China dance diplomacy with India, Indonesia, and Burma, 1953–1962, in: Inter-Asia Cultural Studies 18 (2017), pp. 518–539.
6 John Elsom, Cold War Theatre, London 2015 (1992).
7 Charlotte M. Canning, On the Performance Front: US Theatre and Internationalism, London 2015.

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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit dem Arbeitskreis Historische Friedens- und Konfliktforschung. (Redaktionelle Betreuung: Jan Hansen, Alexander Korb und Christoph Laucht) http://www.akhf.de/
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