S. Myers-Shirk: Pastoral Counselors in a Psychotherapeutic Culture

Cover
Titel
Helping the Good Shepherd. Pastoral Counselors in a Psychotherapeutic Culture, 1925-1975


Autor(en)
Myers-Shirk, Susan E.
Reihe
Medicine, Science and Religion in Historical Context
Erschienen
Anzahl Seiten
320 pp.
Preis
$ 50.00
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Agnès Desmazieres, European University Institute, Florence

La question de la réception des sciences sociales par les différentes confessions chrétiennes constitue un champ de recherche novateur de l'histoire culturelle, à la croisée entre histoire des sciences et histoire du fait religieux. La psychologie – entendue dans un sens large, allant de la psychologie expérimentale à la psychanalyse, en passant par les différentes formes de psychothérapie – suscite un intérêt historique majeur. Cette discipline, apparue récemment, à la fin du XIXe siècle, interroge de manière particulière l'homme croyant par sa remise en cause de l'anthropologie traditionnelle et, par là, de la morale chrétienne.

L'ouvrage de Susan E. Myers-Shirk nous introduit au coeur de cette question. L'historienne, en examinant la diffusion de la psychologie parmi les pasteurs protestants américains, concentre son attention sur l'impact de la découverte de cette nouvelle discipline sur la morale des protestants libéraux. Contestant la thèse formulée par Philip Rieff, dans son classique "The Triumph of the Therapeutic"1, selon laquelle le libéralisme serait à l'origine du processus de sécularisation, Myers-Shirk affirme que le protestantisme libéral, caractérisé par une ouverture aux sciences, est porteur de valeurs exprimées dans une "sensibilité morale libérale" (p. 7), concept-clé de son analyse. L'étude de la réception protestante de la psychologie révèle ainsi la recherche d'une voie moyenne entre science et religion. La division de son livre en quatre parties chronologiques met en lumière, d'une part, le rôle crucial joué par la seconde guerre mondiale dans la diffusion de la psychothérapie parmi les protestants américains et, d'autre part, l'impact de la critique évangélique sur la relation d'aide pastorale des pasteurs libéraux à partir des années 1960.

Le premier chapitre retrace l'itinéraire d'Anton Boisen, pionnier américain de la relation d'aide pastorale, que des troubles psychotiques ont éveillé à la psychologie. Son parcours n'est pas sans analogie avec celui de Clifford Beers, initiateur du mouvement de l'hygiène mentale. Boisen est amené à distinguer maladie organique et maladie fonctionnelle, rejetant la thèse de l'origine morale des maladies mentales. Dans un deuxième chapitre, Myers-Shirk examine l'oeuvre majeure que Boisen a contribué à fonder: le Council for the Clinical Training of Theological Students, organe pluridisciplinaire chargé de superviser la formation clinique des séminaristes. L'alliance qui y est réalisée entre cure d'âmes et médecine favorise une approche clinique de la relation pastorale et une division des tâches entre médecin et pasteur. L'étude de cas apparaît ainsi comme le fondement de la méthodologie de la relation pastorale. Si l'unanimité se fait autour du primat de l'expérience, des clivages n'en demeurent pas moins entre tenants de la psychanalyse, praticiens du case-work ou représentants d'une orientation avant tout pastorale. Le troisième chapitre s'arrête sur la pratique même de la relation d'aide pastorale dans l'entre-deux-guerres. L'éclectisme prédomine faute d'une standardisation de la formation. Pour Myers-Shirk, qui conteste ici à nouveau les assomptions de Rieff, une constante demeure: la transformation des individus n'est pas voulue pour elle-même mais destinée à améliorer la société.

Le quatrième chapitre éclaire la césure opérée par la seconde guerre mondiale. Myers-Shirk décrit ainsi le "counseling boom" (p. 86) de l'immédiat après-guerre. L'influence de la psychologie humaniste, en particulier de celle de Carl Rogers pour la pratique, mais aussi des psychanalystes dissidents, telle Karen Horney, pour la théorie, est cruciale. Alors que dans les années 1930 prédominait la dimension de conseil dans la relation pastorale, prime désormais la décision personnelle, individuelle, dans le cadre de thérapies non directives. Une distinction, qui fait l'objet du chapitre 5, se dessine donc entre tenants d'une clinique pastorale et praticiens d'une relation pastorale d'aide, inspirée de Rogers. L'auteur analyse à cette occasion le déclin d'une interprétation politique et sociale de la relation pastorale, qui est désormais analysée en terme d'épanouissement individuel.

Myers-Shirk nuance toutefois, dès le chapitre 6, l'enthousiasme pour la thérapie non directive. Les pasteurs se trouvent confrontés à un dilemme: peut-on privilégier la liberté au détriment de la responsabilité? L'épanouissement individuel peut-il l'emporter sur le bien de la communauté? Le débat se cristallise autour de la question du mariage. La réponse est d'abord pragmatique et vise à développer la préparation au mariage. Les chapitre 7 et 8 mettent en lumière le caractère genré de la relation pastorale. Dans le discours moral libéral, la femme est associée à la vertu, à la communauté, la relation, tandis que l'homme représente l'autonomie, la liberté, la réalisation. Les pasteurs visent, dans la relation d'aide, à réunifier ces deux domaines. C'est ainsi que certains encouragent le mouvement en faveur de l'autonomie des femmes et de l'égalité homme – femme, y compris au sein des églises. Myers-Shirk pointe toutefois du doigt le fait que cet engagement pour l'autonomie féminine s'exprime surtout en termes masculins.

Susan E. Myers-Shirk constate, au début des années 1960, un retour du langage théologique, qui fait l'objet de son neuvième chapitre. On assiste, d'une part, à une professionnalisation des "pastoral councelors" qui exercent désormais hors du cadre paroissial et, d'autre part, à une redécouverte par les pasteurs de leur ministère propre. Cette évolution répond tout d'abord à une demande des paroissiens qui restent fidèles à une image traditionnelle du ministre. Elle s'explique également par une prise de distance à l'égard de Rogers dont la psychologie élude la question du péché. La finalité salvifique de la relation d'aide pastorale est remise à l'honneur. Ce changement coïncide avec l'apparition d'une nouvelle forme de relation pastorale, d'inspiration conservatrice et évangélique, qui est étudiée dans le chapitre 10. Ce "Christian counceling", est l'oeuvre de laïcs, plus que de pasteurs, qui prônent une fusion entre médecine et cure d'âme. Se fondant sur la Bible, il met l'accent sur la dimension salvifique de la guérison.

Un des grands mérites de Susan E. Myers-Shirk est d'avoir fondé son analyse tant sur le discours que sur les pratiques de la relation pastorale. Elle met ainsi en évidence le primat d'une approche pragmatique parmi les pasteurs américains. D'autre part, avec raison, elle fait de la question morale l'enjeu principal de la réception protestante des découvertes psychologiques du XXe siècle. Très justement, elle souligne la place accordée à la volonté par Anton Boisen et nombre de ses suivants. Sa distinction entre "sensibilité morale libérale" et une "sensibilité morale conservatrice" (p. 214) révèle la coexistence, dans la relation pastorale, de deux tendances qui correspondent à deux visions de la morale: la première, caractérisée par une distinction sans séparation entre médecine et cure d'âme, puise dans la psychologie de Carl Rogers, tandis que la seconde, marquée par une intégration des deux disciplines, emprunte notamment à la psychologie de Viktor Frankl. Le rôle joué par Rogers est particulièrement marquant. A une éthique de l'autonomie est opposée une éthique des valeurs. Ne pourrait-on pas retrouver également dans la relation pastorale catholique des positionnements analogues2? Une comparaison entre conception protestante et conception catholique de la relation d'aide donnerait sans doute encore plus de force à la brillante démonstration de Susan E. Myers-Shirk. Son livre, particulièrement stimulant, apporte, plus largement, un éclairage précieux sur les mutations récentes du protestantisme libéral américain.

Annotations:
1 Philip Rieff, The Triumph of the Therapeutic. Uses of Faith after Freud, 2e éd., Chicago-Londres 1987 (1e éd. 1966).
2 Des spécialistes du catholicisme se sont également penchés sur cette question. Voir notamment: Agnès Desmazières, La psychanalyse à l'Index? Sigmund Freud aux prises avec le Vatican (1921-1934), in: Vingtième Siècle. Revue d'histoire 102 (2009), p. 79-91; Kevin C. Gillespie, Psychology and American Catholicism. From Confession to Therapy? New York 2001; Hanneke Westhoff, Geestelijke bevrijders. Nederlandse katholieken en hun beweging voor geestelike volksgezonheid in de twingtiste eeuw, Nijmegen 1996; Benjamin Ziemann, The Gospel of Psychology. Therapeutic, Concepts and the Scientification of Pastoral Care in the West German Catholic Church (1950-1980), in: Central European History 39 (2006), p. 79-106.

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