1 / 1 Rezension

Frühe Neuzeit

M. Cicchini u.a. (Hrsg.): Les sphères du pénal avec Michel Foucault

 

Externe Angebote zu diesem Beitrag

Informationen zu diesem Beitrag

Titel:Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir
Herausgeber:Cicchini, Marco; Michel Porret
Ort:Lausanne
Verlag:Editions Antipodes
Jahr:
ISBN:978-2-940146-86-4
Umfang/Preis:303 p.

Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Frédéric Inderwildi
E-Mail: <->

Articulé en trois sections finement liées entre elles («Relire Surveiller et punir», «Nouveaux chantiers de l’histoire du droit de punir» et «Théorie et pratique actuelles du droit de punir») cet ouvrage collectif issu d’un colloque interdisciplinaire organisé à Genève nous plonge au coeur des études pénales.

Plus que tout autre de ses publications Surveiller et punir, sorti en 1975, porte l’empreinte d’une insertion dans un contexte politique où Michel Foucault s’investit totalement, la création du groupe d’information sur les prisons en 1971 en témoigne. Fruit d’un dialogue constant entre l’engagement politique et le travail intellectuel du philosophe, reposant sur des sources essentiellement normatives, l’ouvrage a incité les historiens à penser le droit de punir dans ses liens avec le crime, le criminel, la société et les institutions étatiques. Son texte incita les historiens à investir le champ peu exploité de la prison. Les retombées, tant dans le grand public qui dénonça les conditions de détention qu’auprès des chercheurs[1], furent importantes. Sentinelle démocratique sensible, Foucault présente la généalogie de l’individu moderne en tant que corps docile, muet et meurtri, mettant en évidence l’interaction entre la technologie disciplinaire et une science sociale normative.

L’outillage conceptuel que Michel Foucault propose (arts de gouverner, rationalité) est, dans ce recueil, analysé avec acuité. Dans l’introduction, Michel Porret et Marco Cicchini rappellent, dans le sillage de l’étude de Foucault, l’émergence d’études d’histoire sociale, institutionnelle et intellectuelle du régime suppliciaire puis carcéral. La première partie du livre (cinq textes) en propose différentes relectures. Ainsi Pierre Lascoumes voit dans l’ouvrage les prémices de la problématique de la gouvernementalité[2] centrée sur un espace social spécifique et replié sur lui-même: l’armée. Formant un ensemble fortement hiérarchisé, normé à l’excès, l’institution militaire présente toutes les caractéristiques d’un modèle de société rationnelle. Le soldat, figure incarnant parallèlement l’objet du gouvernement et le sujet gouverné, est présenté comme un corps modelé par le gouvernant. Jean-François Bert perçoit, dans l’oeuvre foucaldienne, la présence obsédante d’une histoire du corps sous les traits d’un humain victime de la rationalité disciplinaire de ses semblables au sein d’un corps social encadré dont le seuil de sensibilité varie fortement. Cyprien Blamires revient sur les raisons de l’intérêt de Foucault pour le panoptisme comme Bentham le concevait tout en récusant l’approche trop disciplinaire que le philosophe en fait. Philippe Combessie, en plaçant Foucault dans la suite d’une construction sociale du crime initiée par Durkheim et Fauconnet, repense la justice pénale en lui substituant, à terme, une extension de la justice civile parce qu’elle prend en compte le droit des victimes. Karel Bosko révèle que l’intérêt tardif de Foucault pour les régimes de surveillance en Europe de l’Est est intervenu après la publication de Surveiller et punir dans le sillage des réflexions du philosophe sur la notion de gouvernementalité. Ainsi l’exercice du pouvoir se lit dans les techniques – une question centrale dans Surveiller et punir – qui révèlent un double changement dans la rationalité punitive et dans la rationalité politique.

La deuxième section (six textes) couvre quelques chantiers de l’historiographie contemporaine en ouvrant une focale investigatrice à l’échelle internationale, notamment italienne dont Leonida Tedoldi brosse un utile bilan des recherches. Patrice Péveri plaide pour une histoire de la marque judiciaire en France sur une longue durée (1515–1832). Il montre l’utilité du stigmate pour les magistrats avant la création du casier judiciaire. Michel Porret, en analysant la singularité du supplice de Damiens, cas limite que Foucault place en tête de Surveiller et punir pour illustrer la volonté punitive de l’autorité, dénonce l’anachronisme suppliciaire comme représentatif de la culture judiciaire des Lumières. Léon Loiseau évoque les tentatives de hiérarchisation du crime chez les juristes réformateur et conservateur des Lumières. Jean-Lucien Sanchez ouvre la focale sur les récidivistes rejetés en Guyane et livre une analyse fine de la politique d’exclusion dont ils furent victimes sous la IIIe République. Laurence Guignard, en croisant le discours de la psychiatrie naissante avec celui de la philosophie spiritualiste et leur incidence sur les pénalistes, s’est intéressée à la responsabilité pénale partielle des aliénés et au projet de l’individualisation des peines.

L’ultime volet (huit contributions), plus sociologique, touche aux conceptions et pratiques actuelles du droit de punir dans le cadre pénitentiaire. Gilles Chantraine, en s’appuyant sur l’exemple des gouvernés des prisons canadiennes, milite pour une lecture critique des mécanismes punitifs d’aujourd’hui. Philip Milburn s’interroge sur les nouvelles formes des dispositifs de pénalisation contemporains en décelant dans le principe de responsabilisation un opérateur important du processus de normalisation. Dans le prolongement des deux auteurs précédents, pour qui l’univers carcéral est devenu gestionnaire après avoir été disciplinaire, Gaëtan Cliquennois constate un fort entrelacement des disciplines et des dispositifs sécuritaires, instruments essentiels de la gouvernementalité. L’examen des dispositifs, enchâssés dans les logiques des réglementations et des discours des acteurs carcéraux, précise la troublante articulation des technologies de contrôle et des dispositifs disciplinaires. Dans un registre parallèle, Coline Cardi traite de la pratique pénale à l’encontre des femmes. Elle propose une ébauche de cartographie sexuée de la société issue du milieu carcéral, où la déviance des femmes apparaît comme une déviance particulière éloignée des réponses dégagées par les études où la dimension sexuée était occultée. La prison est au centre des préoccupations d’Irene Becci et de Simona Ioana Schumacher. La première s’intéresse aux modalités d’exercice du pouvoir pastoral sur des détenus d’horizons religieux divers. Elle éprouve intelligemment l’hypothèse de Foucault concernant l’intention de punir. L’âme, visée comme le corps par l’intention punitive de l’autorité, y trouve une place centrale dans les interrogations des chercheurs qui doivent repenser les représentations religieuses autour d’un processus de sécularisation attaqué. La seconde montre comment se décline le vécu corporel et sensoriel de détenus purgeant une peine dite incorporelle qui les affecte profondément. Les catégories du sensoriel mobilisées qu’elle interroge (temps, espace, structure d’altérité, codes identitaires) révèlent une dynamique de leur combinaison qui donne aux corps captifs des profils sensoriels particuliers mettant en valeur une pénalité essentiel lement sensorielle. Bernard Andrieu décrit l’usage de l’isolement sensoriel dans les techniques punitives du corps prisonnier. L’isolement déshumanise et modifie les repères et les vécus du corps, projetant le corps sur le chemin d’une appropriation par le pouvoir. L’auteur établit une gradation dans la désaffection en se basant sur des témoignages encore très actuels. Enfin, sur la base des résultats d’une vaste enquête collective réalisée en Suisse romande, Noëlle Languin, Jean Kellerhals et Christian-Nils Robert proposent une lecture des représentations contemporaines du juste punir en trois images contrastées issues des philosophies du pénal: la rédemption provenant d’une désintégration sociale, l’équité issue d’une décadence morale et, la plus rare, la stigmatisation produite par les perversions individuelles qu’un coupable laxisme institutionnel permet[3]. L’analyse prend appui sur les réponses d’un questionnaire adressé à 4500 personnes (2000 réponses!) et fournit une réponse à l’interrogation initiale portant sur l’image de la juste sanction. Aucune de ces philosophies n’est ancrée dans une catégorie sociale, et le constat formulé in fine montre la nécessité d’une sanction en pleine conscience des problèmes d’exclusion et du manque d’effets préventifs, rejoignant en cela les conclusions de Foucault au moment de la naissance de la prison sous sa forme de surveillance.

Incontestablement, cette relecture proposée trente ans après la publication de l’ouvrage, permet de mesurer la dimension anticipatrice de la pensée de Michel Foucault sur la genèse et la réalité d’une société sécuritaire dont l’actualité et les exemples frappent. Sur le sujet, l’un des grands mérites de sa pensée aura été de lever le voile et de faire entendre le silence pénitentiaire. Surveiller et punir initie un questionnement neuf et certainement salutaire qui se poursuit puisque jamais plus la question carcérale ne s’est posée de la même manière. Au-delà des débats, nécessaires, sur l’univers carcéral, le livre pose de manière originale et neuve le problème du rapport que l’histoire entretient avec le présent. La publication de cet ouvrage collectif, selon les voeux des initiants, contribue non seulement à stimuler tous ceux qui se passionnent pour le droit de punir, mais fournit une base de réflexions contemporaines remarquables et de grande qualité.

[1] En effet, le livre déclencha une vive polémique chez quelques historiens, voir Michelle Perrot (recherches réunies par), L’impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Paris, Seuil, 1980. D’autres historiens travaillèrent dans cette perspective, voir, notamment, Arlette Farge, Le désordre des familles, Paris, Julliard, 1982.
[2] Foucault explique ce qu’il entend par «gouvernermentalité» dans la leçon du 1er février 1978 au Collège de France, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France (1977–1978), édition établie sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana par Michel Sennellart, Paris, Gallimard-Seuil, 2004, pp. 111–112.
[3] On consultera avec profit le tableau récapitulatif présenté en page 292.

Zitierweise Frédéric Inderwildi: Compte rendu de: Marco Cicchini, Michel Porret (sous la dir. de): Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir. Lausanne, Editions Antipodes, 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 2, 2008, pages 246-248. <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/infoclio/id=18309>
 
1 / 1 Rezension