C. Vuilleumier: Ordre des Avocats vaudois

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Titel
Ordre des Avocats vaudois. 120 ans entre Tradition et Justice


Autor(en)
Vuilleumier, Christophe
Erschienen
Colombier sur Morges 2018: Papers Etc.
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Marc Renkens

A l’occasion du 120e anniversaire de l’Ordre des avocats vaudois, son Conseil a mandaté l’historien Christophe Vuilleumier afin de rédiger un ouvrage sur l’histoire de l’ordre en question. Pour ce faire, l’auteur a eu accès aux archives privées de cette organisation, à savoir les procès-verbaux des séances de son Conseil ainsi que les rapports, discours, correspondances et autres circulaires émis par ses différents membres. Pour autant, il ne s’est pas contenté de ces seules sources pour mener à bien cette succincte histoire de 200 pages, mais a également consulté plusieurs documents conservés aux Archives cantonales vaudoises ainsi que la presse, dont la Gazette de Lausanne.

Dans son premier chapitre, Christophe Vuilleumier retrace, depuis le Moyen-Âge jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la situation en terres vaudoises des avocats et de leur proto-organisation. Il relate ensuite dans le deuxième chapitre la genèse, au cours du 19e siècle, de l’Ordre des avocats, lequel voit le jour le 10 décembre 1898. Puis, dans les trois derniers chapitres, il décrit les activités et les buts de cette organisation, détaille la succession jusqu’en 2018 de ses cinquante-quatre présidents puis bâtonniers (dont la liste est reproduite en annexe), et expose les problèmes ainsi que les enjeux auxquels elle s'est confrontée au cours des 120 années de son existence.

Nous ne pouvons bien sûr que saluer cette ouverture d’esprit de la part du Conseil de l’Ordre d’avoir mandaté un historien pour procéder à cette recherche et de lui avoir donné accès à ses archives privées pour réaliser ce mandat. Aussi, l’ouvrage de Christophe Vuilleumier permet de se faire une idée de la richesse de l’histoire des avocats vaudois et de leur association faîtière, une histoire malheureusement encore trop largement ignorée dans l’historiographie suisse. En cela, cet ouvrage a tout son intérêt. Mais surtout, au-delà de la diversité des thématiques abordées – par exemple celle de la situation des avocats sous les gouvernements des ducs de Savoie, puis de leurs Excellences de Berne (pages 9-31), celle de la création d’une bibliothèque (pages 73-74), celle de la question juive au cours des années 30 et 40 (pages 136-142), ou encore celle de l’accès des femmes au barreau (pages 112-116) – deux problématiques plus transversales à notre avis ressortent clairement tout au long cette recherche : d’une part, celle du rapport entre l’Ordre des avocats et la profession d’avocat dans le canton de Vaud, et, d’autre part, celle de la politisation des avocats vaudois et de leur association faîtière au cours des 19e et 20e siècles.

Pour rédiger cet ouvrage, Christophe Vuilleumier a certainement dû se plier aux règles de l’exercice de la "plaquette" commémorative. Par conséquent, l’analyse de ces deux questions de recherche dépasse très largement le mandat du Conseil de l’Ordre des avocats vaudois. Toutefois, au terme de la lecture, on n’en demeure pas moins sur notre faim, tant cet ouvrage ne fait que lever un coin de voile sur ces questions. Ainsi, concernant la première de ces deux problématiques, celle du rapport entre l’Ordre et la profession d’avocat, on peut remarquer que, si l’importance de la déontologie propre aux avocats et prônée par son association faîtière est à plusieurs reprises soulignée (par exemple aux pages 125-128, mais également en conclusion à la page 165), il serait très intéressant d’interroger les raisons d’être, politiques et sociales, de cette éthique professionnelle, ainsi que d’approfondir l’analyse du rôle joué par cette organisation dans son élaboration et sa diffusion au sein de la communauté des avocats vaudois. À ce sujet, l’auteur évoque notamment plusieurs fois l’importance du travail de disciplinarisation des avocats (aux pages 41, 56-58, 104, 144-148 ou encore 126-128). En l’état de la recherche, il demeure pourtant assez difficile de se faire une vision d’ensemble et concrète de l’influence réelle de l’Ordre sur les comportements professionnels des hommes de loi (par exemple en page 104). De même, il serait certainement fécond de relier cette question de la déontologie et de la disciplinarisation à celle, plus générale, de la dimension socialisatrice de cette association faîtière. Du reste, sur ce point, Christophe Vuilleumier nous apporte une autre très bonne piste de recherche lorsqu’il constate à la fin de son ouvrage que le canton de Vaud connaît en fait de véritables dynasties d’avocats (page 159). Quel rôle joue de ce point de vue l’Ordre comme espace de rencontre entre ces agents ? Finalement, cette recherche aborde aussi à plusieurs reprises la question de l’influence exercée par l’Ordre sur l’évolution de la profession d’avocat. Ici aussi, on est tenté de vouloir en savoir plus, par exemple sur les relations que cette organisation entretient avec l’Université de Lausanne, et en particulier la Faculté de droit, quant à la formation de ses étudiants et futurs avocats (voir page 110 à ce sujet). De plus, on se demande pourquoi les avocats vaudois et leur Ordre s’opposent avec une certaine vigueur à une série de réformes, comme le constate l’auteur tout au long de l’ouvrage (pages 90, 103, 151 ou encore 156), comme la création d’un brevet fédéral, la libre circulation des avocats, ou l’unification de tout un pan du droit, droit pénal et civil notamment, au point de donner l’impression que les Vaudois constituent en la matière les fers de lance du protectionnisme cantonal.

La seconde problématique qui se lit en trame de fond de cette histoire de l’Ordre des avocats vaudois est celle, très stimulante, d’une sociohistoire centrée sur la relation que les avocats, en tant que professionnels du droit, entretiennent avec la politique. Sur cette question de recherche également, Christophe Vuilleumier apporte plusieurs éléments primordiaux qui donnent envie de pousser plus loin l’analyse. Il constate en effet une forte implication des avocats dans la mise en forme juridique, durant la première moitié du 19e siècle, des systèmes politiques vaudois et national (pages 33-39 et 45), leur fort engagement politique au sein des organes législatifs et exécutifs aussi bien cantonaux que fédéraux (page 160) – ainsi les sept conseillers fédéraux vaudois de la deuxième moitié du 19e siècle exercèrent la profession d’avocat (pages 47-48) – et plus largement leur contribution à la définition juridique du monde social (que ce soit le Code des Obligations, le Code pénal ou encore le Code civil par exemple). Autant de faits malheureusement trop largement passés sous silence aussi bien dans les analyses d’histoire que de science politique portant sur le système politique suisse. Or, plutôt que de conclure un peu hâtivement avec l’auteur qu’il n’y a « rien d’étonnant à cela au vu de l’intimité que l’avocat entretient avec la loi » (page 4, voir dans le même sens page 36), on aurait préféré, au contraire, interroger cette évidence. On souhaiterait par exemple savoir comment ceux-ci arrivent à s’imposer comme des acteurs incontournables dans la construction des nouveaux systèmes politiques du 19e siècle, qu’ils façonnent en partie à leur avantage. De même, on se pose la question, dans une approche de sociologie du droit, des effets de cet engagement des professionnels du droit sur les interactions politiques. Il paraît dès lors logique de s’intéresser plus longuement aux actions politiques de l’Ordre comme lieu de socialisation des avocats. De ce point de vue, Christophe Vuilleumier apporte quelques éléments de réflexions, lorsqu’il constate que l’Ordre et ses membres sont très largement ancré à droite, comme l’illustre entre autres, au milieu des années 1920, l’"affaire" Maurice Conradi qui voit ce dernier être acquitté à Lausanne pour le meurtre du chef de la délégation soviétique, ce qui va provoquer la rupture des relations diplomatiques entre la Suisse et l’Union soviétique jusqu’en 1945 (pages 96-103).

En conclusion, même si l’on peut regretter que l’exercice de l’ouvrage commémoratif n’a pas permis à Christophe Vuilleumier d’approfondir davantage l’une ou l’autre des questions abordées, son ouvrage a néanmoins le mérite de rendre attentif à l’importance de la thématique générale de la place des avocats et de leur Ordre dans les interactions sociales et politiques vaudoises et suisses depuis le 19e siècle et d’ouvrir de multiples pistes de réflexions fécondes qui ne demandent qu’à être investies.

Redaktion
Veröffentlicht am
28.11.2018
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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