M. Caesar u.a. (Hrsg.): Religion et pouvoir

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Titel
Religion et pouvoir. Citoyenneté, ordre social et discipline morale dans les villes de l’espace suisse (XIVe–XVIIIe siècles)


Herausgeber
Caesar, Mathieu; Marco; Schnyder
Erschienen
Neuchâtel 2014: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
262 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Andreas Würgler, Département d'histoire générale Unité d'histoire suisse, Universität Genf

Les rapports entre religion et pouvoir figurent parmi les thématiques classiques de l’historiographie dédiée au Moyen-Âge et à l’époque moderne. Ce volume collectif dirigé par les historiens genevois M. Caesar et M. Schnyder regroupe douze articles (dont un en italien) autour de ces rapports dans des «villes de l’espace suisse». En guise d’introduction P. Monnet esquisse une vue générale de la ville médiévale tant dans l’auto-perception des contemporains que dans l’historiographie. Le résultat oscille, chez les deux, entre Jérusalem et Babylon: la ville comme espace idéal et matrix de toute innovation «positive» (démocratie, égalité, éducation, savoir, commerce) s’oppose à la ville comme lieu du vice et des épidémies, dirigée par des élites restreintes qui dominent une société hiérarchisée et exclurent parfois violemment les juifs, les pauvres, les étrangers.

Les dix articles qui suivent se focalisent sur le rapport religion/pouvoir en partant de points de vue divers, dans différentes villes et époques. Ils ont en commun de souligner les multiples imbrications soit coopératives soit conflictuelles du pouvoir et de la religion dans une variété de situations concrètes. Au niveau des institutions d’abord on constate que souvent, au Moyen-Âge, les conseils municipaux n’avaient pas d’autre lieu de réunion que les couvents des franciscains – à Lausanne (S. Manzi) ou Fribourg (K. Tremp Utz) et Lugano (M. Schnyder) –, que les fameux Consistoires de Genève (M. Caesar) ou de Lausanne (N. Staremberg) se composaient de membres ecclésiastiques et laïcs et que des confréries laïques à Lugano s’occupaient des tâches en même temps spirituelles, sociales, économiques et politiques (D. Adamoli). Ce fut un beau «symbole réel» que les pierres utilisées pour construire le couvent de la Sainte Marie des Anges à Lugano (1515–1525) aient été prises des ruines du château des ducs de Milan, lui-même détruit sur ordre des cantons suisses, nouveaux maîtres du Tessin (A. Moretti). Au niveau des procédures, par exemple de nomination de curé, on observe à Fribourg un modèle où la bourgeoisie nomme le (seul) curé de la ville du XIIIe au XXe siècle, tandis qu’à Berne – et c’est plus tôt la règle générale – la nomination se faisait par les autorités ecclésiastiques (K. Tremp Utz). A Lugano existait un système compliqué, prévoyant la nomination des prédicateurs pour l’Avent et le Carême par le magistrat (qui les paye aussi) selon une proposition faite alternativement par les ordres religieux présents dans le bourg (M. Schnyder). A Neuchâtel par contre les pasteurs réformés n’arrivent pas toujours à imposer leur droit de nomination soit contre le magistrat de la ville, soit contre le gouverneur – catholique – dans un cas de réfugié huguenot en 1688 (P.-O. Léchot). Tandis que – pour changer les choses en termes de relations extérieures – le recours au canton protecteur, Berne, ne semble pas avoir été de mise dans l’exemple neuchâtelois, les élites réformées d’une autre ville alliée, Mulhouse, se procurent l’appui militaire des cantons réformés (Bâle avec l’aide de Zurich, Berne et Schaffhouse) pour établir la paix publique et sécuriser leur autorité lors des conflits confessionnels des années 1580 (O. Kammerer). A Lugano, par contre, le magistrat défend son droit de nomination des prédicateurs contre des interventions ecclésiastiques (l’archévêque de Milan, l’évêque de Come, le patriarche de Venise, les supérieurs des ordres impliqués) et séculières (les cantons catholiques suisses) (M. Schnyder). Le chevauchement le plus explicite entre pouvoir et religion se trouve au niveau des normes – souvent symbolisées dans les rituels et cérémonies. C’est par le rituel «sacré» du serment que le pouvoir des magistrats sur leurs concitoyens est légitimé (O. Richard), c’est dans la procession religieuse organisée par les confréries à Lugano que se marque la distribution de pouvoir entre autorités politiques et ecclésiastiques, et c’est selon un processus similaire que le juriste Philibert Berthelier, ancien chef du parti eidguenot à Genève, exécuté illégalement par l’évêque, est transformé en saint martyre de type chrétien. Et ce sont les normes «chrétiennes» que les Conseils des villes visent à imposer en tant que magistrats «chrétiens», ce sont les règles d’une moralité chrétienne qui disciplinent la population au nom des autorités urbaines – dans les villes réformées de Neuchâtel, Lausanne ou Genève, dans les centres catholiques comme Genève avant la réforme, Fribourg ou Lugano. Cette proximité du temporel et du spirituel se reproduit au niveau social: dans presque toutes les familles des élites urbaines on trouve des membres soit des conseils politiques, soit des institutions religieuses; des nombreuses relations de parenté ou de parrainage lient ces deux sphères formellement séparées.

Les articles se concentrent sur la Suisse romande (Genève, Neuchâtel, deux fois Lausanne) et le Tessin (trois fois Lugano), tandis que la partie alémanique n’y figure que par Bâle (dont la réforme est datée à 1534 au lieu de 1529 par O. Richard dans son article portant sur le serment à Bâle) et la ville alliée de Mulhouse. La politique linguistique du volume fait traduire en français les citations en allemand, mais pas celles qui sont en italien ou en latin – un choix intéressant. L’imbrication fondamentale entre religion et pouvoir aux époques médiévale et moderne se manifeste aussi dans les divers concepts appliqués par l’historiographie et repris dans ce volume: tandis que les uns parlent de la «sacralisation» du politique, les autres évoquent la «laïcisation» du religieux, tandis que les uns parlent de la piété individuelle, les autres constatent une «communalisation» de l’église; et à la «sécularisation» des domaines religieux s’oppose la «cléricalisation » des élites politiques (K. Tremp Utz; M. Caesar; N. Staremberg) ou le «néocléricalisme » des pasteurs (P.-O. Léchot). Le concept le plus souvent discuté (Monnet, Tremp Utz, Kammerer, Richard, Caesar) est celui de «religion civique», même s’il ne figure pas dans le titre du volume, tandis que la «citoyenneté» mentionnée dans le titre n’est pas vraiment thématisée par les articles. La notion de «religion civique», introduite dans la discussion par le médiéviste français André Vauchez, signifie, en gros, que les autorités civiles disposent d’un droit de regard sur le religieux – ce qui est normal à l’époque. Mais F. Walter, dans sa conclusion, tente l’approche de l’autre côté proposant le terme «civisme religieux» pour souligner l’imbrication des deux dimensions. L’Etat moderne, qui se forme pendant les siècles envisagés, ne semble pas avoir réussi à se légitimer sans recours à la religion, et par conséquent, a besoin des normes religieuses pour justifier ses tentations de discipliner ou «policier» les bourgeois et les habitants. Les buts et les motifs de cette discipline pouvaient pourtant changer: les normes chrétiennes et les institutions religieuses (comme les couvents, les confréries ou les Consistoires) qui avaient jadis une raison d’être spirituelle étaient forcées, dès le 18e siècle au plus tard, de se légitimer par leur utilité sociale (A. Moretti; N. Staremberg) dont le contenu fut de plus en plus défini et géré par les autorités politiques laïques – un processus qui n’est a priori pas irréversible, comme on l’observe actuellement.

Zitierweise:
Andreas Würgler: Rezension zu: Mathieu Caesar, Marco Schnyder (dir.), Religion et pouvoir. Citoyenneté, ordre social et discipline morale dans les villes de l’espace suisse (XIVe–XVIIIe siècles), Neuchâtel: Editions Alphil – presses universitaires suisse, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 478-480.