G. de Pourtalès: Journal de la guerre 1914-1919

Cover
Titel
Journal de la guerre 1914-1919.


Autor(en)
de Pourtalès, Guy
Erschienen
Carouge 2014: Editions Zoé
Anzahl Seiten
1005 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Hervé de Weck

Famille d’origine huguenote, venue de Lasalle, dans les Cévennes, les Pourtalès font partie de la bourgeoise de Genève. Grâce au commerce et à une habile politique matrimoniale, ils entrent au XIXe siècle dans la noblesse européenne. Jacques-Louis achète la seigneurie de Tloskau en Bohême et obtient l’anoblissement héréditaire et le titre de chevalier en 1811. A la troisième génération, Louis et ses frères, James Alexandre et Frédéric, deviennent comtes prussiens. Plusieurs de leurs descendants servent dans l’armée ou la diplomatie prussienne comme Hermann, le père de Guy le romancier, ou Albert (1812-1861). Les Pourtalès possèdent l’hôtel DuPeyrou à Neuchâtel (1799-1806), l’ancienne chartreuse de La Lance (1794-1927) et le château de Gorgier (1813-1879). En 1808, Jacques-Louis fonde, à Neuchâtel, l’hôpital Pourtalès.

Guy de Pourtalès, un grand notable franco-suisse

Guy, le futur romancier, naît à Berlin en 1881, passe sa jeunesse à Genève, Vevey et Neuchâtel, fait ses études universitaires à Bonn et Berlin. En 1905, il se fixe à Paris, tout en gardant avec la Suisse des liens de famille et d’amitié. En 1914, il est marié et vit à Genève. La Première Guerre mondiale interrompt sa carrière littéraire. Réintégré à sa demande dans ses droits de citoyen français, Guy est mobilisé en 1914. Il va tirer parti de son statut particulier, de ses relations aristocratiques et de ses compétences linguistiques pour servir comme chauffeur puis comme interprète auprès des armées anglaises et américaines. Interface entre une brigade d’artillerie ou un hôpital de campagne britanniques et la population française puis intégré aux services de propagande, Pourtalès ne vit pas sous la tension du feu de l’ennemi mais dans le petit confort et le flegme des états-majors. Autant de situations qui lui laissent le temps de tenir à jour son Journal de la guerre dont les premières lignes rappellent le ton de certains écrits de poilus : « 1er août 1914 : Les nouvelles politiques étant fort mauvaises, j’ai quitté Genève à 2 heures 28, ayant fait mes adieux à ma bien-aimée Hélène sur le quai de la gare (…). »

Manque d’informations

De la part d’un universitaire, jeune écrivain prometteur aux multiples relations familiales et amicales partout en Europe, on attendrait une lucidité et un esprit critique qui dépassent les normes habituelles et que voit-on dans le Journal de la guerre ? Un intellectuel franco-suisse, engagé volontaire dans l’armée française, presque aussi intoxiqué par la désinformation, les rumeurs et les bobards que le commun des mortels…
Dès le 6 août 1914, il sert de chauffeur au commandant de la place de Chartres. Il faut attendre le 23 août pour qu’il apprenne de mauvaises nouvelles du front : « Nous aurions décidément été battus en Lorraine et les Allemands semblent avancer rapidement en Belgique. » Les communiqués sont rares et peu explicites, ce que Pourtalès trouve inquiétant, « étant donné qu’on en a été assez prodigue jusqu’à présent (…). Serions-nous déjà acculés aux expédients de [18]70 ? (…) De cette guerre, la plus meurtrière, la plus effroyable, la plus énorme que le monde ait jamais vue et qui déferle tout près de nous, l’on ne sait rien. » Il se montre en revanche catégorique concernant le front Est. « La victoire des Russes à Lemberg est définitive. Mille canons pris aux Autrichiens et quatre à cinq cent mille hommes hors de combat. C’est la fin finale de la monarchie austro-hongroise. Le rouleau compresseur slave s’avance puissamment et dans tous les sens à la fois. »

Pas une allusion à la situation très grave des armées françaises qui reculent depuis la frontière belge jusqu’à la Marne, face au déferlement allemand, application du plan Schlieffen. Pas une allusion au « miracle » de la Marne ! Le 8 septembre, « la bataille semble bien engagée à fond et je pense que le sort de l’Europe entière en dépend… (…) Les journaux du matin [le 10] annoncent que nous continuons à refouler victorieusement l’ennemi qui a reculé de 40 kilomètres au-delà de la Marne. (…) C’est donc à brève échéance, la belle de ce match formidable dont la première manche a été gagnée par l’Allemagne à Charleroi et la seconde par nous, dans la Marne. » Le 17 septembre, la défensive allemande « devient apparemment désespérée » ! On trouve, le 28 septembre, une première allusion à la guerre des tranchées, contenue dans un paragraphe du communiqué du haut commandement français recopié dans le Journal.

Le 2 octobre, « les Allemands seraient coupés à Péronne et dans le Nord ; corps d’armée seraient pris, 70000 hommes pour lesquels l’Orléans mobilise 100 trains et 150 trains pour enlever le matériel ! Cela paraît trop beau pour être vrai mais j’ai observé plusieurs fois que ces bruits, s’ils ne sont pas toujours confirmé dans leur ensemble, le sont généralement en partie (…). »

Le 5 novembre 1914, Pourtalès note : « Etant donné la modération des communiqués et la prudence de quelques paroles o/cielles prononcées depuis trois mois par Joffre l’on est en droit de supposer que cette situation bonne et ce succès prochain et !nal sont pleins de promesses magnifques ». « Joffre prévoit – note du 10 avril 1915 – la fin de la guerre pour septembre-octobre, Briand et les civils disent mai ou juin 1916. » Le 1er août 1915, encore une annonce optimiste : « Les Allemands résistent encore, mais il semble (…) que d’ici cinq ou six mois leurs réserves seront épuisées. Ce n’est qu’alors qu’on les verra faiblir ; mais je crois à un effondrement brusque et total. »

Pas facile, même pour un écrivain qui sert volontairement dans des états-majors français, britanniques et américains, de se faire une idée des opérations en cours et de l’évolution du conflit, puisque les communiqués, chez tous les belligérants, parlent de succès, cachent les échecs, font de la propagande (qui met en évidence une partie de la réalité ou la fait apparaître sous un jour particulier), ainsi que de la désinformation, soit de fausses informations. Ce que ses proches, ses nombreux amis « bien placés » ou la presse suisse apprennent à Pourtalès ne suffit pas à « dissiper un brouillard », que les rumeurs et les bobards tendent à épaissir.

Rumeurs et bobards

Le 6 août 1914, Pourtalès note que « les Suisses ont capturé un régiment [allemand] qui s’enfuyait devant les troupes françaises et l’ont désarmé. (…) Mais l’on ne sait ce qu’il y a de très véridique là-dedans. » Le doute ne l’habite pas longtemps, puisque, le 12, un chauffeur, attaché au ministère des Affaires étrangères, lui parle d’une bombe asphyxiante testée à Issy-les-Moulineaux, qui a tué 95 des 100 chiens-cobayes. Il croit à cette arme nouvelle, connue sous le nom de « turpinite », qui n’a jamais existé ! Le 13 août, il rapporte qu’un offcier français a vu en gare de Chartres des prisonniers allemands qui se sont rendus parce qu’ils mourraient de faim. « Officieusement [le 16 août] j’apprends que depuis hier une bataille formidable est engagée sur un front de 400 kilomètres, de Maastricht à Bâle. (…) On ne sait rien. (…) Personne ne connaît les plans de l’état-major mais les suppositions vont leur train. »

Des trains de blessés, « pleins de bonne humeur », passent par Chartres. Un turco « (je ne l’ai pas vu, mais c’est le député Mignot qui m’a a/rmé la chose) portait dans un mouchoir une tête d’Allemand ! ! ! Il la montrait complaisamment aux curieux. (…) Un blessé m’a raconté qu’une rivière était tellement remplie de cadavres allemands que leur artillerie passait à gué sur les corps (…). Ils incendient tout, villes et villages. » Plus loin, en date du 31 août : « Les blessés racontent que la bataille de Guise fut infernale. Les Allemands ont été décimés. Il paraît qu’ils ramassent les corps de leurs morts et de leurs blessés, les rassemblent en tas, les arrosent de pétrole et y mettent le feu, faisant griller les morts et les vivants ensemble. Ils usent de toutes les ruses, se déguisent en Anglais, en Français, puis, quand nos hommes s’approchent de con!ance, ils s’écartent brusquement, dévoilent leurs mitrailleuses (…). Aucune convention n’est respectée, car leur premier soin est de bombarder les ambulances, les Croix-Rouge, etc. »

A Péronne, vers le 10 octobre, « les Allemands exigent d’un boucher qu’il leur fournisse du tabac. Impossible, le boucher n’en a pas. Alors, sur la place publique, on l’attache à un arbre, sa femme en face de lui et leur enfant, sous leur yeux est tué à coups de hache (épisode vu par un Français). » Un pasteur anglican, « retour du front, a vu en Belgique (…) que les Allemands, officiers de uhlans, coupaient les mains des femmes qui avaient soigné des blessés ! ! ! ! ! »

Guy de Pourtalès, d’habitude assez crédule face aux rumeurs, rejette une « nouvelle stupéfiante : Paris serait bombardé par un canon boche tirant depuis Saint-Gobain (130 kilomètres) », pourtant l’information est vraie…

Les rumeurs s’avèrent aussi insaisissables et incontrôlables qu’une odeur qu’emporte la brise, surtout quand elles sont lancées à dessein pour dérouter les services de renseignement de l’ennemi ou pour maintenir le moral. En août 1914, des « témoins oculaires » disent avec assurance que la seule vue d’une tartine de pain su/t à attirer les uhlans a-amés. Ce genre de bobard entretient pour un temps l’optimisme délirant de l’opinion publique en Belgique et en France.

Les propos rapportés par Guy de Pourtalès mettent en lumière deux aspects de la rumeur. On a tendance à croire un pseudo-témoin ou quelqu’un qui est en contact avec les sphères supérieures du pouvoir, d’autant que ces informateurs donnent des détails concrets. Notre auteur rapporte des rumeurs et des bobards auxquels il semble croire sur le moment, même quand ils nous apparaissent d’une criante invraisemblance. A Chartres, il ne tente pas de retrouver le turco qui emporte dans un mouchoir une tête d’Allemand !

Pourtalès et la propagande française en Suisse

Avant 1914, le capitaine Larguier organise un poste SR (service de renseignement) à Genève, le lieutenant-colonel Parchet, qui lui succède, en installe à Bâle, à Zurich et sur la frontière à Pontarlier, Evian et Annemasse. Son réseau est le plus important des services français. Des agents se trouvent au sein de la police genevoise, une initiative fort utile lorsque la guerre survient.

Depuis 1914, les Allemands diffusent en français une Gazette des Ardennes, abondamment illustrée, destinée aux Alsaciens et aux Lorrains. Le dessinateur alsacien Hansi imagine en 1916 une publication-sosie (même titre, mêmes caractères) qui doit répandre dans ces régions l’idée française. Il s’agit de la faire parvenir dans les pays neutres, la Suisse en particulier. Pourtalès, alors au Quai d’Orsay, dirige cette opération qui utilise comme « truchement » la Tribune de Genève, il en devient le gérant. Dans le même but, il organise également, depuis Paris, des tournées musicales et théâtrales, des expositions, des conférences et la di-usion de brochures. Il rend compte à Georges Clemenceau en personne des « faits liés à la Suisse ».

Guy de Pourtalès n’est qu’une maille du vaste filet des services de renseignement en Suisse. L’affaire Mougeot est un autre exemple d’action télécommandée par le ministère français de la Guerre, sans lien avec la voie du 2e Bureau habituellement utilisée en Suisse. Le comte Mougeot, officier de dragons de réserve et fils d’un ancien ministre des PTT, achète la fabrique d’horlogerie Bévillard qui, pendant deux ans, lui sert de couverture. Il acarte blanche et ne rend des comptes qu’au ministre. Faisant grande publicité autour de leur affaire commerciale, il tisse, avec des collaborateurs, unimportant réseau sur l’ensemble de la Suisse à l’aide d’indicateurs, de micros cachés, de tracts de propagande.

En lisant le Journal de la guerre 1914-1919 de Guy de Pourtalès, on pense à ce qu’Annette Becker dit de la propagande des belligérants. « Des deux côtés, la cause est entendue : chacun a de bonnes raisons d’agir, militaires et rationnelles, et ceux d’en face sont, eux, d’ignobles barbares, des sadiques antireligieux, qui calomnient après avoir saccagé. Des deux côtés on veut convaincre les neutres du bien-fondé de sa cause par les écrits, les photographies, les dessins. » Les intellectuels et les écrivains ne se montrent pas moins sensibles à la propagande et à la désinformation que le commun des mortels ; ils se laissent aussi souvent intoxiquer par des rumeurs et des bobards.

Zitierweise:
Hervé de Weck: Rezension zu: Guy de Pourtalès, Journal de la guerre 1914-1919, Carouge, Editions Zoé, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 4, 2015, pages 316-321.

Redaktion
Autor(en)
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique neuchâteloise, Vol. 4, 2015, pages 316-321.

Weitere Informationen