G. Coutaz: Archives en Suisse

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Titel
Archives en Suisse. Conserver la mémoire à l'ère numérique


Autor(en)
Coutaz, Gilbert
Reihe
Le savoir suisse
Erschienen
Lausanne 2016: Presses polytechniques et universitaires romandes
Anzahl Seiten
125 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Jean-Daniel Zeller

Ce compte-rendu commente les différents chapitres dans leur ordre original et se termine par une synthèse générale sur la globalité du contenu de l’ouvrage.

Dans son premier chapitre, l’auteur plante le décor du monde archivistique en Suisse. Il note une évolution globalement positive ces dernières décennies mais pointe certains aspects qui restent problématiques.

L’auteur considère que la profession reste méprisée bien que les évolutions législatives de ces dernières décennies ont peu à peu forgé une place reconnue aux archivistes. Il rappelle que les archives ont plutôt fait parler d’elles à travers un certain nombre de scandales, plutôt que de réalisations exemplaires au service du citoyen. Le tournant informatique, que personne n’oserait nier, propose majoritairement une vision de la « société de l’information », un concept où l’on met tout et n’importe quoi, alors que la profession archivistique défend plutôt une « société de la connaissance », impliquant la production d’une information « qualifiée » voire « qualitative ». Lié au point précédent, l’obsolescence technologique, voir l’obsolescence programmée 1, constitue un obstacle bien réel à l’archivage. De même, la « dématérialisation » constitue un piège sémantique puisque que ces téraoctets de données nécessitent une quantité de serveurs bien matériels et par ailleurs coûteux, essentiellement en terme de maintenance à long terme.

En conclusion de cette introduction l’auteur termine néanmoins sur une note optimiste en constatant que les archivistes contemporains assument de plus en plus une nouvelle posture qui est de garantir un avenir au présent.

Le deuxième chapitre est destiné à exposer les concepts-clé de l’archivistique contemporaine. On peut regretter que les incises terminologiques, utilisées par ailleurs judicieusement tout au long de l’ouvrage, soient ici si nombreuses qu’elles rendent la lecture un peu pénible. Sur le fond, les notions essentielles sont présentées avec un développement bienvenu sur la notion d’évaluation, qui reste un travail méconnu mais néanmoins primordial de l’archiviste.

Dans le troisième chapitre, consacré à l’histoire des archives en Suisse, l’auteur suit une structure chronologique en soulignant l’extrême variabilité des organisations, due aux aléas de l’histoire et à la structure fédéraliste de la Suisse. Le chapitre détaille trois grandes phases historiques : le Moyen-Age et l’Ancien régime, qui comprend la période antérieure à la Confédération (env. 1000-1848) ; la période de réorganisation confédérale, qui implique une restructuration des pouvoirs politiques et par conséquent de leurs archives (1848-1980 ?) ; et enfin la période contemporaine, qui voit naître la professionnalisation progressive du milieu archivistique (dès 1980).

Ce découpage est bien évidemment un peu arbitraire dans la mesure où résumer une période d’une telle amplitude nécessite des choix simplificateurs, mais elle permet de bien prendre conscience des articulations temporelles qui ont constitué les archives de la Suisse actuelle. L’auteur complète ce chapitre par une courte présentation concernant l’intérêt récent pour les archives privées.

Le quatrième chapitre constitue une suite logique du précédent, dans la mesure où l’archivistique suisse actuelle dépend de son héritage historique. L’auteur décrit la mosaïque qui compose le paysage archivistique suisse, principalement en raison de sa structure fédéraliste mais également par le poids des archives ecclésiastiques dans les périodes plus anciennes. Il revient sur la question de certaines archives privées qui peuvent aussi trouver leur place dans les dépôts institutionnels, soit par leur intérêt en rapport à certaines communautés, soit par leur provenance, associée à des hommes ou femmes politiques et intimement liés aux archives institutionnelles dont ils sont également les sources via leurs activités administrativo-politiques.

Gilbert Coutaz décrit ensuite l’histoire et le rôle de l’association suisse des archivistes (AAS) depuis sa création en 1922, et les différents besoins croissants auxquels elle répond. Cette évolution s’illustre par la création progressive de différentes commissions (de la Commission de formation créée en 1975 jusqu’au Centre de compétence pour l’archivage à long terme des documents électroniques (CECO) en 2003).

Il aborde ensuite la question de la formation, en soulignant qu’elle a initialement été assumée par les associations pour aboutir finalement à la création d’une formation de base dans le domaine des sciences de l’information (bibliothèques, documentation, archives) selon le système dual suisse avec un niveau apprentissage (Certificat fédéral de capacité / Cfc) puis de Haute école spécialisée (HES-Bachelor). Cette option a été avalisée par le Congrès BDA de Lausanne en 1994 et mis en place progressivement dans les différentes zones linguistiques du pays. En 2002 a été créé un certificat de formation continue en archivistique, suivi d’un master au niveau universitaire en 2006. Nonobstant la mise en place de ces filières officielles de formation, l’association a continué d’étoffer son offre de formation continue, permettant à ses membres de « coller » à une évolution professionnelle explosive, due entre autre à l’impact de l’informatique dans tous les domaines de la société.

En préambule du chapitre consacré aux pratiques archivistiques en Suisse, l’auteur met en avant le particularisme suisse liée à sa petitesse, qui fait que sa revue professionnelle actuelle (revue ARBIDO, publiée depuis 1986) lie les trois domaines de l’information documentaire (archives, bibliothèques, documentation). L’autre dimension récente est bien entendu l’émergence de l’informatique dont l’AAS s’est préoccupée de façon quasiment prémonitoire (dès 1999) pour aboutir à la « Stratégie globale pour la conservation des documents électroniques en Suisse » en 2004.

Pour illustrer l’évolution de la pratique archivistique l’auteur introduit le glissement des concepts classiques des archives courantes, intermédiaire et définitives (dite théorie des trois âges) vers le concept des « trois statuts de l’information », soit les statuts de production, de trace, et de source, qui permet de mieux appréhender les incidences du numérique sur la pratique archivistique. Parallèlement, l’universalisation progressive des pratiques archivistiques a crée un fort appel d’air en faveur de la normalisation qui va se développer sur un rythme de plus en rapide depuis 1988 et va aboutir à la série de normes de description du Conseil International des Archives (CIA) entre 1995 et 2008 (dont une refonte radicale vient d’être annoncée au Congrès CIA de Séoul de septembre 2016 sous le titre « Records in Context »).

Il revient ensuite sur les grandes étapes du travail archivistique que sont la description, l’évaluation, le plan de classement, le calendrier de conservation, la conservation-prévention-restauration et la communicabilité et la communication. Après un rappel des principes qui gouvernent ces outils, il effectue un rapide (et parfois trop succinct) état de la situation en Suisse.

Dans le chapitre intitulé « Archivistes entre passé et futur », l’auteur s’attaque aux questions les plus actuelles pour les archivistes et l’archivistique et esquisse quelques pistes que la communauté archivistique explore pour y répondre. Parmi ces défis on peut relever la redéfinition de la place des archivistes et de leur identité professionnelle largement nécessitée par l’impact de l’informatique et de ses corolaires. L’auteur souligne le besoin de maîtriser le cycle de vie des documents dès leur production (records management) ; la nécessité de répondre aux demandes de cyberadministration et d’ouvertures des données administratives de tous ordres ; la nécessité pour les professionnels des archives de se positionner comme partenaires au sein même des applications métier de l’administration et des entreprises. Cela implique également un effort pour documenter l’activité même des services d’archives en vue de crédibiliser les prestations nouvelles qu’ils apportent aux collectivités ; et enfin la nécessité pour les petites structures (niveau communal), mais également pour les plus grandes concernant des savoir-faire rares ou nécessitant des connaissances hors du champ archivistique, de mutualiser leurs connaissances et leurs infrastructures.

Ces mutations entrainent également un effort de formation continue soutenu et la mise en place de nouveaux profils professionnels dans un monde ou les emplois de demain ne ressembleront vraisemblablement pas à ceux d’aujourd’hui, tout en préservant le socle déontologique de la profession qui est fondamentalement attaché à la préservation à long terme. L’auteur cite quelques-unes des réalisations récentes qui tentent avec plus ou moins de bonheur de répondre à ces défis.

L’ultime chapitre tente une synthèse du changement de paradigme que l’auteur exprime en disant (p. 113): « (…) les archivistes sont certes les gardiens du passé dont ils ont hérité, mais avant tout les garants des mémoires et des histoires du futur. » Il propose une dizaine de thématiques, comme autant de pistes prospectives, ou comme le programme à venir des archivistes helvétiques, dont je retiens les plus critiques à mes yeux :

Droit à l’oubli : l’histoire a besoin de noms et d’archives (p. 119): « Un vif débat cours depuis plusieurs années sur l’opportunité de conserver les données personnelles. […] Malgré les débats actuels sur la question de l’oubli informatique, la finalité de l’utilisation des données nominatives doit être réhabilitée et perçue comme une contribution à la connaissance générale. C’est un leurre de croire que la recherche historique peut se contenter des seules série statistiques, se passer de données d’état civil, judiciaires, notariales, cadastrales, ou encore médicales, hospitalières ou psychiatriques. »

Assumer l’hybridité de la conservation (p. 121): « Puisqu’il assure la transition entre les générations des fonds d’archives, l’archiviste joue un rôle naturellement hybride : il a en effet pour tâche de transmettre des archives mixtes, tantôt héritées sur papier, tantôt nativement numériques. […] Les archivistes d’aujourd’hui vivent le début d’une ère caractérisée par la rapidité des évolutions, où les effets des mutations de la société de l’information sont perçus, mais leurs impacts sur la durée restent encore incertains. »

Un cahier des charges à redéfinir (p. 122): « La société attend des archivistes qu’ils conservent la mémoire constituée par l’information organique et consignée. Leur mission est de la rendre consultable, […] en gardiens d’un patrimoine et d’un héritage nécessaires pour bâtir l’avenir. […] Ils doivent être des interlocuteurs et des partenaires de confiance pour chacune des personnes de l’administration, à n’importe quel niveau hiérarchique. Cette capacité se situe aux antipodes de bien des métiers qui tendent à se confiner dans la spécialisation.

Résumer le vaste de domaine de l’archivistique en Suisse en 125 pages, ce qui est la contrainte de la collection, tient de la gageure. Gilbert Coutaz s’en acquitte avec brio, en excellent connaisseur de la profession. Le sous-titre « conserver la mémoire à l’ère du numérique » est par contre quelque peu trompeur. En effet, si l’auteur fait largement allusion aux différents impacts du numérique tout au long de l’ouvrage, il ne traite pas de cette question de manière approfondie. Il s’agit bien d’un état des lieux, incluant une large rétrospective, ce qui a pour conséquence de limiter la prospective à un strict minimum. Il faudrait un livre pour cette seule question. Cet ouvrage, s’il peut frustrer l’archiviste connaisseur par une superficialité obligée, constitue un excellent état de situation pour le néophyte, voir un aide-mémoire de base pour l’archiviste aguerri.

On peut regretter l’option prise d’une bibliographie très succincte alors que l’évolution de la profession, compte tenu de son évolution rapide, suscite des publications de plus en plus nombreuses. Cette rapide évolution peut expliquer la modestie de cette rubrique qui est condamnée à être obsolète dès sa publication. Par commodité, ou pour pallier à cette contrainte, l’auteur renvoie au site des Archives cantonales vaudoises dont les pages bibliographiques offrent de nombreuses références assez complètes en ce qui concerne l’archivistique suisse, plus réduite en ce qui concerne l’archivistique en général. L’absence d’un lien vers le site du Portail international des archives francophone (PIAF) 2 dont le volet documentation fourni des bibliographies thématiques de qualité est un oubli dommageable.

En dépit de ces quelques réserves, l’ouvrage mérite de faire partie de la bibliothèque de l’honnête archiviste et encore plus dans celle de l’archiviste débutant.

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Note:
1 L'obsolescence programmée est l'ensemble des techniques destinées à réduire la durée de vie ou d'utilisation d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. Pour plus de détails, voir: https://fr.wikipedia.org/wiki/Obsolescence_programm%C3%A9e
2 http://www.piaf-archives.org//wikindx4/index.php#

Zitierweise:
Jean-Daniel Zeller: Compte rendu de: Gilbert Coutaz, Les archives en Suisse. Conserver la mémoire à l'ère numérique, Lausanne, PPUR, 2016. Zuerst erschienen in: infoclio.ch, 16.11.2016.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

infoclio.ch, 16.11.2016.

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