F. Walter: Hiver. Histoire d’une saison

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Titel
Histoire d’une saison.


Autor(en)
Waler, François
Erschienen
Paris 2015: Payot
Anzahl Seiten
464 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Alexis Metzger

Il fallait une certaine audace à François Walter pour choisir un sujet aussi vaste que l’hiver. S’il insiste en particulier sur «l’historicité du phénomène» (p. 351), on ne peut que l’approuver dans son choix de proposer un ouvrage nourri d’une bibliographie presque indisciplinée. Car nombre de sciences humaines ont leur place pour un tel objet d’étude et la pertinence de ce livre repose certainement sur la combinaison heureuse de références en histoire des représentations, histoire de l’art, histoire du climat, histoire des sciences, géographie, géoclimatologie, voire sociologie… Sommes-nous donc face à une histoire «totale» de l’hiver? Sans doute, car l’auteur part sur toutes les traces de cette saison, sans a priori, malgré une inscription dans l’histoire environnementale et culturelle (p. 12). Une ambition qui rejoint celle d’un Alain Corbin dans ses ouvrages, dont Le soleil, la pluie et le vent. Histoire des sensibilités au temps qu’il fait (Flammarion, 2013).

Cette ouverture disciplinaire n’est pas synonyme d’absence de délimitation du sujet ou d’argumentation défaillante. Au contraire. L’introduction précise que cette étude du rapport des hommes à l’hiver portera sur l’Europe de l’ouest, sur la période 1650–1950 (plutôt 1550–1950 après lecture de l’ouvrage). Pour autant, les mentions de l’hiver dans l’Antiquité ou au Moyen-âge ne sont pas absentes car elles permettent d’éclairer substantiellement la façon dont les hommes percevaient l’hiver à partir du XVIe siècle. En neuf chapitres (Où sont les hivers d’antan? Pourquoi l’hiver? Les grands hivers. Apprivoiser le temps. Empreintes. Résister. Supporter les épreuves. Vivre l’hiver. Figures de l’hiver) sont traités des sujets aussi divers que les fêtes, le déneigement, les guerres en hiver, le patinage, les souffrances liées au froid ou encore le «winter blues».

L’Hiver donc. Ou plutôt «les hivers» car comme le rappelle Martin de la Soudière, socio-ethnologue fer de lance des études sur l’hiver en sciences humaines avec le canadien Pierre Deffontaines, «à chacun son hiver» (p. 8). En fonction de la latitude, de l’altitude, de la richesse, des temps (historiques), l’hiver est vécu très différemment. Et c’est bien là une des autres richesses de ce livre: éviter les généralisations, mettre en lumière les modalités de l’«espace-temps» hivernal via de très nombreux exemples (citations, peintures, faits climatiques…). C’est ainsi que François Walter s’inscrit en faux contre toute déterminisme environnemental (p. 156–157, p. 204–205, p. 220) car une saison n’existe pas indépendamment des hommes qui la vivent et la «construisent».

Ce livre parle précisément de ces moments où les hommes tissent de nouveaux rapports avec l’hiver, des moments charnières où cette saison se modifie dans les représentations. Il y a certes ce «changement de paradigme» au cours du XXe siècle lorsque l’hiver devient ludique, où le ski transforme la neige en or blanc (p. 297). Mais aussi le XVIIe siècle qui voit les Hollandais peindre l’hiver à foison (p. 99–101). A juste titre, François Walter rappelle que l’hiver a des bornes savamment construites (calendaires et climatologiques). Mais faire une histoire culturelle de l’hiver, est-ce parler de journées bruineuses et grisâtres hivernales? Pour François Walter, non, assurément. L’hiver, pour les hommes, correspond bien plus à des types de temps liés à des paysages. Trois principalement: le grand froid, les chutes de neige et le manteau neigeux. Or on aurait pu attendre de l’auteur une réflexion sur ces différentes conditions météorologiques de l’hiver. Pourquoi donc «c’est l’hiver» lorsqu’il neige vers 0° et pas lorsqu’il pleut? Pour qui? François Walter l’écrit pourtant avec justesse: «Au froid s’associent la pluie et l’obscurité. Dans bien des régions d’Europe, l’hiver se décline de cette manière» (p. 66). Or il parle très peu de ces petites pluies d’hiver, des coups de vent fréquents en Europe de l’Ouest, bref, de ces «hivers» assez doux… Et il apparaît que cette histoire culturelle de la saison hivernale est bien plus une histoire de l’hiver froid que de l’hiver météorologique.

Loin de moi l’idée de dire que ce choix n’est pas justifié, mais on aurait souhaité une réflexion plus aboutie sur ce qu’est véritablement l’hiver pour «nous». Les Paysages d’hiver des maîtres hollandais montrent inlassablement des froids secs où les cours d’eau sont gelés. Aucune représentation d’un hiver doux n’apparaît sous le nom d’«hiver». Caillebotte aurait-il qualifié de paysage hivernal sa fameuse peinture Rue de Paris, temps de pluie? Certainement pas alors que les deux bourgeois auraient pu se promener dans Paris en plein mois de janvier. Glaces et neiges ont les faveurs dans les hivers des peintres (et d’autres), mais ils ne sont les marqueurs visibles que de moments de cette saison.

Comment donc expliquer qu’«en Angleterre, en janvier 1662, un jeûne est ordonné «afin de prier pour un temps qui soit davantage de saison, car il y a depuis un moment un temps d’été» alors qu’on devrait être dans le froid» (p. 244)? Pourquoi attendons-«nous» un certain type d’hiver? Cette attente a-t-elle évolué dans l’histoire? Certains types d’hiver ont-ils été privilégiés ici ou là, hier ou aujourd’hui? L’histoire des sensibilités est très délicate à écrire pour une saison en adoptant aussi bien une approche thématique (retenue par François Walter) que chronologique.

La lecture du livre de François Walter nous met face à un objet d’étude qui s’avère in fine extrêmement difficile à définir (voir celle du géographe canadien Louis-Edmond Hamelin page 67). Par sa variabilité inter- et intra-annuelle, par la pluralité des acteurs et territoires concernés, l’hiver n’est chaque fois «ni tout à fait le même ni tout à fait un autre». Il incite à la lecture car comme l’écrivait Alfred de Vigny en 1822 «Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires, / des histoires du temps passé, / Quand les branches d’arbres sont noires, / Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé!»

Zitierweise:
Alexis Metzger: Rezension zu: François Walter, Hiver. Histoire d’une saison, Paris: Payot, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 364-365.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 364-365.

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