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Titel
VOKS. Le laboratoire helvétique. Histoire de la diplomatie culturelle soviétique durant l’entre-deux-guerres


Autor(en)
Fayet, Jean-François
Erschienen
Chêne-Bourg 2014: Georg éditeur
Anzahl Seiten
598 S.
Preis
€ 24,00
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pauline Milani, Université de Fribourg

L’ouverture des archives soviétiques a permis de mettre à jour des fonds considérables pour l’étude de la politique étrangère de l’URSS. Jean-François Fayet, qui avait déjà consacré sa thèse au bolchévique Karl Radek, est revenu d’un séjour de deux ans à Moscou avec un livre remarquable sur la Société soviétique pour les échanges culturels avec l’étranger (VOKS).

Les volumineuses archives de la VOKS, complétées par celles de la Croix-Rouge soviétique et de la Commission pour l’aide étrangère à la Russie, celles du Département propagande du Comité exécutif de l’Internationale communiste et celles d’autres mouvements comme les Amis de l’Union soviétique, permettent à Fayet de brosser un tableau fin et nuancé de la diplomatie culturelle soviétique en Suisse durant l’entre-deux-guerres.

Contrairement à l’image véhiculée pendant la Guerre froide sur les moyens considérables de propagande déployés par l’URSS, l’entre-deux-guerres s’avère une époque pendant laquelle les diplomates soviétiques se heurtent à beaucoup de rejet et d’incompréhension en Europe. La Russie, totalement isolée sur le plan diplomatique au sortir de la guerre civile, décide d’utiliser la culture pour renouer ses relations internationales et améliorer sa réputation mise à mal par les récits des exactions bolchéviques. La VOKS, fondée en 1925, a ainsi pour mission d’influencer les opinions publiques au moyen d’une palette assez variée d’actions que Fayet décrit précisément : publications, films, expositions, conférences. Mais la VOKS, malgré ses liens avec l’Etat-parti et son inscription dans une multitude de réseaux de propagande, présente une structure légère qui ne lui permet finalement que des actions de faibles envergures, et la contraint à chercher des relais locaux, des particuliers prêts à témoigner des productions culturelles soviétiques.

La seconde partie de l’ouvrage analyse donc ces relais en Suisse, où le climat n’est pas propice à la réception des réalisations soviétiques. Au delà de la réalité du terrain, avec la diversité des langues et le fractionnement territorial, qui limitent les capacités d’une activité globale, les Soviétiques se heurtent également à un anticommunisme violent et soutenu par l’Etat fédéral. Néanmoins, les relais sont nombreux et passent à travers les sociétés d’amitié et d’échanges culturels. Essentiels pour toute diplomatie culturelle, ces contacts sont ici minutieusement mis à jour et on découvre des réseaux de sociabilité formés aussi bien de militants communistes que d’écrivains, d’industriels ou de touristes. Ces réseaux d’influence font partie d’une véritable stratégie de communication par laquelle un public lettré et bourgeois est principalement visé.

Mais la VOKS peine à trouver en Suisse des intellectuel-le-s prêt-e-s à prendre publiquement position pour l’URSS, et si certain-es se prêtent au jeu du voyage tous frais payés à Moscou, peu acceptent de prendre ensuite la défense du pays et de son régime. Cela peut s’expliquer en partie par l’absence en Suisse de la figure de l’intellectuel-le engagé-e, mais également par la pression sociale particulièrement importante qui s’exerce alors sur celles et ceux qui osent franchir le pas. Fayet rappelle ainsi le parcours de l’écrivaine et voyageuse Ella Maillard qui, suite aux attaques reçues dans la presse, s’abstient rapidement de toute déclaration sur l’URSS. Calomnies, perte d’emploi, diffamation, refus de prêt bancaires, les instruments de pressions sont nombreux pour qui ose s’afficher trop ouvertement philo-communiste, et le travail de la VOKS se heurte ainsi en Suisse à un climat fort peu constructif. En revanche, de nombreux exilé-e-s, de Russie ou d’Europe de l’Est, gardent des liens personnels avec l’URSS, et permettent ainsi de maintenir des échanges. Finalement, la VOKS peut s’appuyer sur un certain nombre de militant-e-s socialistes, dont certain-e-s développent un philosoviétisme par antifascisme. Mais le bilan de ce réseau reste toutefois bien maigre pour la VOKS.

Fayet dresse un tableau fin et nuancé de la diplomatie culturelle soviétique en Suisse. Faite de peu de moyens, pragmatique, parfois embarrassée, cette diplomatie doit manœuvrer pour trouver des ami-e-s de la Russie soviétique. La tâche est ardue, et le bilan finalement assez maigre, d’autant plus que les échanges restent à sens unique. La langue russe, faiblement connue hors des frontières soviétiques, constitue une barrière d’autant moins franchissable que les voyages en URSS sont sévèrement encadrés et que la population soviétique a finalement peu d’occasion d’aller à la rencontre des acteurs culturels étrangers.

Dans une introduction détaillée, qui offre une remarquable synthèse sur le développement de la diplomatie culturelle, Fayet rappelle que l’utilisation de la culture à des fins de politique étrangère est un phénomène qui touche un grand nombre d’Etats, qui pratiquent presque tous une diplomatie culturelle plus ou moins avouée. La Suisse met elle aussi en place ses premières structures durant l’entre-deux-guerres et la comparaison avec les efforts soviétiques est intéressante. Le pragmatisme, pour ne pas dire le tâtonnement, de cette politique, la faiblesse des moyens engagés (en argent comme en ressources humaines), tout comme la palette des activités montrent, si besoin était, que ni la diplomatie culturelle soviétique, ni la diplomatie helvétique, bien qu’élaborée une dizaine d’années plus tard, ne constituent des cas exceptionnels ; elles présentent même certaines similitudes.

Au delà de ces analogies, la Suisse joue un rôle de laboratoire pour la diplomatie culturelle soviétique, avec sur son sol une multitude d’organisations internationales, mais le pays reste à la marge des relations étrangères de l’URSS. L’intérêt et la limite de cette étude résident dans ce paradoxe. Il conviendrait d’examiner maintenant plus globalement cette diplomatie culturelle, sa réception dans d’autres pays et ses liens avec les diplomaties culturelles concurrentes. Du point de vue spécifiquement suisse, on retiendra la discrépance entre les activités de propagande culturelles réellement menées, et la menace ressentie de la part des autorités fédérales. En effet, la crainte de voir le pays submergé par la propagande soviétique est l’un des facteurs qui expliquent la constitution, en 1939, de Pro Helvetia, avec la mission de défendre la culture suisse contre les influences étrangères. La lecture de la présente étude relativise le danger ressenti par les autorités de l’époque.

On peut regretter l’absence d’une bibliographie en fin d’ouvrage, qui aurait été d’autant plus précieuse que Jean-François Fayet fait appel à une vaste littérature spécialisée. On se consolera avec un fort utile index des noms et notices biographiques, qui permet de situer les nombreuses personnalités rencontrées au fil de la lecture.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.02.2015
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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