K. Schulten: Waterloo (18 juin 1815)

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Titel
Waterloo (18 juin 1815). La double incertitude


Autor(en)
Schulten, Kees
Erschienen
Paris 2009: Éditions Economica
Anzahl Seiten
298 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Hervé de Weck

Pourquoi le Néerlandais Kees Schulten, ancien président de la Commission internationale d’histoire militaire, publie-t-il en français un nouveau livre sur la bataille de Waterloo, puisqu’une bibliographie, même sommaire, en donne une liste impressionnante? Il exploite les travaux et les articles publiés sur le sujet, mais il apporte du nouveau et se montre excellent vulgarisateur. Il évoque la bataille, rétablissant les faits et les réalités, dénonçant les mythes et des erreurs maintes fois recopiées.

On lit avec grand intérêt Waterloo (18 juin 1815). La double incertitude, oeuvre d’un historien mais aussi d’un militaire qui avoue ne pas avoir «la formation professionnelle de Napoléon Ier, de Wellington et de Blücher» mais qui prend en compte le temps (souvent plusieurs heures) que mettent les ordres pour parvenir à leurs destinataires, la vitesse possible vu les conditions du moment, donc la durée des mouvements des formations, y compris les bouchons aux passages obligés, la longueur des colonnes, le temps nécessaire à une division ou à un corps d’armée pour passer d’une formation de marche à une formation de combat. Avec de tels paramètres, il démontre que telle troupe n’aurait pas pu intervenir conformément aux ordres donnés. Drouet d’Erlon n’a pas pu déployer à temps son corps d’armée pour participer à la bataille de Ligny. Aux Quatre-Bras, il lui manquait l’espace pour manoeuvrer mais, avec ou sans ses hommes, le cours de la bataille n’aurait pas été différent … Vu l’heure à laquelle Grouchy a reçu l’ordre, il lui était impossible d’arriver à temps à Waterloo.

Le facteur «Incertitude», ce que les chefs ignorent de leur adversaire, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie, joue comme toujours un rôle primordial, avant et pendant la bataille de Waterloo. A la fin des Cent-jours en juin 1815, Napoléon se trouve face à une coalition européenne qui veut remettre Louis XVIII sur le trône. La prise de Bruxelles, son objectif stratégique –, devrait démanteler l’alliance de ses adversaires (à Londres, la cour serait alors prête à négocier) et asseoir son pouvoir en France. Il concentre donc son armée dans le plus grand secret, entre Beaumont et Philippeville, et pousse sur la chaussée Charleroi – Les-Quatre-Bras. Il envisage deux variantes: la plus favorable, Wellington et Blücher se replient, la moins favorable, ils livrent bataille.

Beaucoup d’historiens voient de grandes hésitations chez Wellington le soir du 15 juin, un manque flagrant d’initiative chez Ney, le matin du 16 juin, et chez Grouchy lors de sa poursuite des Prussiens, de la lenteur chez l’Empereur le matin du 17 juin, mais ils ne prennent pas en compte les dilemmes face auxquels ces généraux se trouvent. Par expérience, Wellington et Blücher savent que l’Empereur surprend ses adversaires en les attaquant à des endroits et à des moments inattendus. Ils envisagent donc une offensive de Napoléon avec Bruxelles comme objectif. Leurs préparatifs d’invasion de la France vont donc de pair avec ceux destinés à défendre la ville. Les 15 et 16 juin 1815, Napoléon procède avec lenteur. Parce qu’il s’est trompé sur les mouvements et les positions des armées de Wellington et de Blücher, il lui faut du temps pour saisir la situation. Ses erreurs d’appréciation expliquent les malentendus avec Ney et Grouchy.

Après les affrontements des Quatre-Bras et de Ligny, il fallait un Empereur, par miracle commandant en chef omniscient, pour voir, non plus les deux ailes d’une même opération, mais deux opérations différentes: d’une part la marche vers Bruxelles avec le gros de son armée sous son commandement personnel, d’autre part la poursuite des Prussiens par Grouchy. On a beaucoup parlé d’une offensive de Napoléon au point de jonction des forces de Wellington et de Blücher, dans le but de les séparer, mais rien n’indique que l’Empereur connaissait ce point de jonction. Il apparaît donc faux de lui attribuer l’intention de détruire l’une après l’autre ces deux armées.

La bataille de Waterloo n’a pas été choisie par Napoléon mais imposée par Wellington car, dès le matin du 16 juin, l’Empereur a perdu l’initiative des opérations. Il ne s’attend pas à devoir livrer une bataille rangée; pour lui Waterloo est une mauvaise surprise. Il ne le comprend que le 17 juin au soir, jusqu’alors il croyait que Wellington se repliait. On ne peut donc pas reprocher à Grouchy, qui ignore les positions de Wellington et de Blücher, de ne pas avoir envisagé l’hypothèse que Blücher marche en direction de Waterloo au lieu de se replier direction Est. Sa décision d’aller à Wavre et d’y attendre les instructions de l’Empereur apparaît logique. Le 18 juin vers 13 heures, il entend une canonnade à l’Ouest … Convaincu que les ordres de l’Empereur sont conformes à la situation, il continue son mouvement vers Wavre.

Le 18 juin, Wellington et Blücher ont la ferme intention de joindre leurs forces et de livrer bataille à Napoléon avec des effectifs supérieurs: 56 000 hommes, 12 000 cavaliers et 150 canons aux ordres de Wellington, 75 000 hommes à ceux de Blücher. Au cas où l’Empereur attaque Wellington en position au sud de Waterloo, Blücher peut renforcer l’aile gauche de son allié et menacer le flanc droit français. Si Blücher n’arrive pas à temps avec ses trois corps, Napoléon, avec 56 000 hommes, 16 000 cavaliers et 246 canons, a une chance de l’emporter sur Wellington. Vu les conditions du terrain, l’attaquant se trouve en position moins favorable que le défenseur qui doit éviter de se faire culbuter, tenir le choc, le temps que Blücher arrive. Les protagonistes ne connaissent pas exactement les forces de l’adversaire mais, par expérience, ils en ont une idée assez précise.

La stratégie défensive de Wellington consiste à barrer la route de Bruxelles. Le duc sait que son adversaire n’a pas de choix entre la continuation de son offensive et un repli stratégique. Un repli, même justifié par des raisons militaires, équivaudrait à une défaite. Si Napoléon n’attaquait pas le 18 juin, les Alliés lanceraient leur offensive contre la France le 19 juin …

Au cours de la bataille, vers 16 heures, l’Empereur perd le contrôle de sa cavalerie qui, «par un mouvement d’impatience», lance trop tôt des charges mal préparées: l’infanterie pourtant à disposition n’est pas intégrée dans l’action, l’artillerie à cheval manque, le sol est détrempé, ce qui oblige les cavaliers à ne pas dépasser le trot mais, surtout, les régiments de Wellington ont pu former le carré. Ces attaques spectaculaires n’ont aucun effet opératif, d’autant plus que la cavalerie britannique et néerlandaise repousse les cavaliers français qui se regroupent pour charger à nouveau. En début de soirée, l’armée de Wellington, très éprouvée, aligne encore assez de forces pour résister aux attaques françaises; un corps de Blücher menace d’enfoncer le flanc droit de l’armée française, un autre a établi le contact avec l’aile gauche de Wellington. Les effectifs des alliés dépassent donc largement ceux de Napoléon. Chez les Français, la démoralisation rend sensible aux rumeurs: Grouchy s’est vendu aux Anglais, de nombreux officiers se tiendraient prêts à rallier Louis XVIII! Pour l’attaque finale, Napoléon dispose encore de huit bataillons de sa Garde, dont la force se trouve bien réduite …

On connaît la suite! Les quelque 10 000 morts et 35 000 blessés des deux camps éparpillés dans les zones de combat, les 10 000 prisonniers français aux mains des alliés. Le 7 juillet, Louis XVIII entre à Paris …

Exploitant l’importante littérature consacrée à Waterloo, Kees Schulten a su faire de la «nouvelle histoire-bataille», mettre en évidence l’incertitude et l’ignorance relative dans lesquelles se trouvent les commandants, quels que soient leur grade, sur le champ de bataille. Ce n’est jamais une partie d’échec, mais un affrontement dans un brouillard pas seulement dû au feu des armes …

Citation:
Hervé de Weck: compte rendu de: Kees Schulten: Waterloo (18 juin 1815). La double incertitude. Paris, Economica, 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 2, 2010, p. 270-272.

Redaktion
Veröffentlicht am
14.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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